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Russie : Une expulsion forcée bafoue les idéaux olympiques

Une maison de Sotchi est démolie, mais il n’est pas trop tard pour indemniser la famille

(Moscou, le 19 septembre 2012) – L’expulsion illégale d’une famille à Sotchi jette une ombre sur les préparatifs des Jeux olympiques d’hiver de 2014, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le Comité international olympique (CIO) devrait intervenir sans délai pour faire en sorte que les autorités russes versent des indemnités à la famille, a souligné Human Rights Watch. 

« La démolition de la maison et l’expulsion forcée de cette famille comptant de jeunes enfants constituent une tragédie pourtant tout à fait évitable », a expliqué Jane Buchanan, chercheuse senior à la Division Europe et Asie centrale. « Les Jeux olympiques d’hiver de 2014 sont ternis par cette souffrance humaine inutile. »

Aujourd’hui aux alentours de 17 heures (heure de Sotchi), des huissiers de justice ont évacué la famille Khlistov, dont la propriété a été expropriée sans indemnisation pour la construction du site olympique. Les huissiers ont supervisé la démolition de la maison sous les yeux des membres de la famille et de journalistes. L’habitation était située au milieu d’un immense chantier de construction d’installations et de bâtiments olympiques en cours depuis avril 2011. 

Sergueï Khlistov vivait depuis 16 ans dans une modeste maison de deux étages dans le quartier d’Adler à Sotchi. Son épouse, sa fille, son beau-fils et deux petits-enfants âgés de 4 et 8 ans vivaient également dans cette habitation. Le 14 septembre 2012, les autorités locales ont démoli une remise située à côté de la maison des Khlistov, prévenant la famille qu’elles démoliraient la maison quelques jours plus tard.

« Le CIO avait amplement l’occasion de veiller à ce que les autorités n’aillent pas aussi loin au nom de la construction olympique », a souligné Jane Buchanan. « Mais au lieu de réagir, le CIO a adopté une approche attentiste reposant sur de fausses garanties de la part des autorités locales. »

La démolition fait suite à une longue procédure judiciaire opposant les autorités russes aux Khlistov concernant la propriété et l’usage de leur maison et de leur terrain. Les autorités affirment que l’utilisation par les Khlistov du terrain et de l’habitation était illégale et elles ont assigné la famille en justice afin d’exproprier le terrain destiné au projet olympique.

Ce faisant, les autorités ont été en mesure d’éviter la procédure régulière d’indemnisation versée aux propriétaires expulsés aux fins de la construction du site olympique. Elles refusent également de reconnaître les preuves montrant que l’État avait précédemment considéré la maison comme une structure légale, entre autres le fait que le terrain a été enregistré au cadastre des constructions individuelles en 1994, que le bâtiment a reçu un agrément technique à deux reprises et que la famille avait payé des impôts.

L’expulsion forcée et la démolition violent les obligations qui incombent à la Russie au regard du droit international des droits humains, a expliqué Human Rights Watch. En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l’homme, le gouvernement russe est tenu de respecter et de protéger les droits de tous les citoyens contre toute immixtion arbitraire dans leur résidence ou leur vie familiale. Le non-respect et la non-protection de ces droits, ainsi que la non-garantie d’un procès équitable concernant la maison où les Khlistov vivaient depuis 1996, et que les autorités ont considéré légale jusqu’à 2010, constituent des violations de la Convention européenne.

L’expulsion forcée, ou éviction par la force ou contre leur volonté de personnes de leurs foyers ou des terres qu’elles occupent ou dont elles dépendent, sans qu’un accès à une protection juridique ou autre appropriée ne soit assuré et sans l’octroi d’une indemnisation raisonnable, constitue une violation grave du droit international.

L’expulsion et la démolition ont par ailleurs eu lieu en dépit de l’avis juridique émis par le bureau du procureur régional responsable de la supervision des préparatifs olympiques, lequel a jugé que l’utilisation du terrain par les Khlistov était légale, recommandant aux autorités d’inclure la famille dans le programme d’indemnisation au profit des personnes relogées en raison de la construction du site olympique.

« Les autorités semblent totalement indifférentes à la souffrance humaine causée à cette famille par les préparatifs des jeux olympiques, » a déploré Jane Buchanan. « Suffisamment de dommages physiques et psychologiques ont été occasionnés. Il est temps de faire ce qui est juste, de réduire au minimum tout futur préjudice et de verser à la famille les indemnités qu’elle mérite. »

Contexte général
Le quartier d’Adler à Sotchi accueille de multiples projets de construction de grande envergure pour les installations sportives et autres infrastructures associées aux prochains Jeux olympiques d’hiver de 2014.

La modeste habitation de deux étages des Khlistov, située à la deuxième rangée de la rue Khadizhenskaïa, était la seule maison encore debout au milieu d’un immense chantier de construction. En avril 2011 avait débuté la construction d’un hôtel à vingt mètres au sud de chez eux, d’une route surélevée à 10 mètres à l’est, et d’un parking à l’ouest.

En 1994, les autorités locales avaient officiellement accordé à Sergueï Khlistov le droit d’utiliser une parcelle de terre faisant partie d’une ferme collective, « Culture du sud », où Khlistov avait travaillé pendant 40 ans. Le terrain devait être utilisé comme « potager ». En même temps, dans une décision séparée, les autorités avaient enregistré le terrain de Khlistov au cadastre des habitations individuelles (IZHS selon l’abréviation russe), ce qui impliquait la possibilité de bâtir une maison sur le terrain. Le fait que deux usages différents aient été attribués simultanément à la parcelle semble être dû à une erreur commise par les autorités à l’époque. Depuis l’enregistrement du terrain auprès de l’IZHS en 1994, le bâtiment a reçu un agrément technique à deux reprises, et Khlistov a payé des impôts à l’IZHS.


En février 2010, des fonctionnaires d’Olympstroï, la société publique responsable de la construction des sites et autres infrastructures en vue des Jeux olympiques d’hiver de 2014, ont informé les Khlistov que leur maison tombait sous le coup des projets de constructions olympiques et que la famille serait relogée dans une nouvelle habitation construite dans le quartier. Les autorités de Sotchi ont transféré le droit d’utilisation des terrains de la zone, dont la parcelle des Khlistov, à Olympstroï.

Toutefois en octobre 2011, l’administration de Sotchi a intenté un procès contre les Khlistov pour construction illégale d’habitation sur la parcelle. Le tribunal s’est mis en défaut de notifier l’audience traitant l’affaire à Khlistov et à ses représentants. En leur absence, le tribunal de district d’Adler a octroyé aux autorités de Sotchi le pouvoir de démolir la maison. Les Khlistov ont fait appel, mais le tribunal de district d’Adler s’est à nouveau mis en défaut de leur notifier l’audience en novembre 2011. Le jugement du tribunal est demeuré inchangé. Les Khlistov ont introduit un recours auprès de la cour de cassation de Krasnodar, une cour d’appel, laquelle a également omis de notifier l’audience aux Khlistov et a statué le 26 janvier 2012, confirmant la décision de l’instance inférieure. Les Khlistov ont introduit d’autres recours afin que la décision initiale du tribunal soit réexaminée. Les tribunaux ont refusé tout examen de ces appels.

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