(Dakar) – L’accord du Sénégal, donné le 24 juillet 2012, pour l’établissement d’un tribunal spécial pour juger l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, s’il est mis en œuvre rapidement, pourrait être un tournant décisif dans la longue campagne pour le traduire en justice, a déclaré une coalition d’organisations de défense des droits humains aujourd’hui.
Habré est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture lorsqu’il dirigeait le Tchad, de 1982 à 1990. Habré vit en exil au Sénégal depuis plus de 21 ans mais n’a toujours pas été traduit en justice. Le 20 juillet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné au Sénégal de poursuivre Habré « sans autre délai » si elle ne l’extrade pas.
« Après tant d’années d’efforts et tant de déceptions, les victimes de Hissène Habré pourraient enfin entrevoir la lumière au bout du tunnel », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui travaille avec les victimes depuis 13 ans. « La volonté politique semble être là au Sénégal, et la décision de la Cour internationale de Justice signifie que ce pays ne peut pas faire marche arrière, mais nous avons encore du chemin à parcourir. Le Sénégal devrait initier la procédure rapidement, avant le décès d’autres survivants. »
Après quatre jours de discussions à Dakar, du 20 au 24 juillet, le Sénégal a donné son accord au projet de l’Union africaine (UA) de juger Habré devant un tribunal spécial au sein du système judiciaire sénégalais présidé par des juges africains nommés par l’UA. Le président sénégalais, Macky Sall, a exprimé son souhait que l’instruction contre Habré commence avant la fin de l’année, et le calendrier adopté par les parties prévoit que le tribunal soit opérationnel avant la fin de l’année.
D’après le Comité International pour le Jugement Équitable de Hissène Habré – qui comprend, entre autres, l’Association tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l’Homme (ATPDH), l’Association des Victimes de Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), Human Rights Watch et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) – la décision du Sénégal, qui fait suite à l’arrêt de la CIJ, est une victoire importante pour les victimes de Habré.
« Le Sénégal a marqué l’Histoire en 1999 en étant le premier pays à devenir membre de la Cour pénale internationale, et il pourrait marquer l’Histoire à nouveau en devenant le premier pays à poursuivre des crimes relatifs aux droits humains commis par un dirigeant étranger », a déclaré Alioune Tine, président de la RADDHO basée à Dakar. « Le gouvernement sénégalais montre sa détermination à combattre l’impunité au niveau le plus élevé. »
Le nouvel accord prévoit la création de « Chambres africaines extraordinaires » au sein de la structure judiciaire existante à Dakar. Le mandat des chambres sera de poursuivre la ou les personnes les plus responsables pour les crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990. Les chambres auront différentes sections chargées de gérer les enquêtes, les procès, et les recours en appel et seront composées des juges sénégalais et africains.
La coalition – qui a demandé à plusieurs reprises l’extradition de Habré vers la Belgique car c’est l’option permettant d’obtenir justice dans les plus brefs délais – a appelé le Sénégal à mettre en place le nouveau tribunal rapidement et à entamer la procédure contre Habré le plus tôt possible. Le Sénégal doit encore obtenir l’accord du projet par son parlement et a déclaré se lancer prochainement à la recherche de financement international pour le tribunal.
La coalition a également déclaré que le Sénégal pourrait agir rapidement afin d’incorporer les résultats des enquêtes belge et tchadienne dans les crimes reprochés à Habré plutôt que de tout recommencer à zéro.
Un juge belge et son équipe ont passé près de quatre ans à enquêter sur les crimes de Habré avant de l’inculper pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture en 2005, amenant la Belgique à demander son extradition du Sénégal. Une commission nationale de vérité de 1992 au Tchad a accusé le gouvernement de Habré d’usage systématique de la torture et d’avoir commis jusqu’à 40 000 assassinats politiques.
Le projet de statut du nouveau tribunal permet également aux procureurs sénégalais de poursuivre « les crimes les plus graves » de Habré plutôt que de l’accuser de tous les crimes qui lui sont reprochés. Cette mesure vise à assurer un procès gérable qui ne s’étendra pas sur des années.
« Si le Sénégal s’engage réellement à rendre justice aux victimes, il doit terminer les enquêtes et le juger équitablement le plus rapidement possible », a déclaré Jacqueline Moudeïna, avocate des victimes de Habré et coordinatrice du Comité International. « Le Sénégal devrait également garantir aux victimes le droit de participer pleinement au procès et devrait prendre des mesures pour s’assurer que le procès soit significatif pour les Tchadiens.»
Le projet de statut du nouveau tribunal permet aux victimes de participer au procès en tant que parties civiles. Il prévoit également l’enregistrement du procès afin qu’il soit diffusé au Tchad et que les audiences soient accessible aux journalistes et organisations non gouvernementales.
La coalition a recommandé la création d’un comité de gestion fort – composé du Sénégal, de l’UA, et des bailleurs de fonds – afin d’assurer une bonne gestion financière du budget du tribunal, de superviser la formation du personnel judiciaire et la sensibilisation du public tchadien, et de fournir une assistance technique en cas de besoin.
L’arrêt historique de la CIJ du 20 juillet indique que le Sénégal a manqué à ses obligations en vertu de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il ordonne au Sénégal de traduire Habré en justice « sans autre délai » en le poursuivant au Sénégal ou en l’extradant vers la Belgique. En juin, la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton a exhorté le gouvernement sénégalais à prendre des « mesures concrètes » pour poursuivre Habré au Sénégal ou l’extrader vers la Belgique.
« En moins de quatre mois, le gouvernement de Macky Sall a fait progresser une affaire qui a stagné pendant des années », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Avec cet accord et les récentes déclarations publiques faites par Sall et d’autres hauts fonctionnaires, nous sommes convaincus que le gouvernement prendra des mesures pour maintenir cet élan et traduire rapidement Habré en justice. »