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Affaire Habré : Questions et réponses sur « Belgique c. Sénégal »

Audiences publiques tenues devant la Cour internationale de justice au sujet du différend concernant Hissène Habré

La Cour internationale de Justice (CIJ) a tenu à La Haye, du 12 au 21 mars 2012, des audiences publiques sur l’affaire intitulée « Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c.Sénégal) », relative au sort de l'ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré.

Hissène Habré est accusé de milliers d'assassinats politiques et d'avoir recouru systématiquement à la torture lorsqu'il dirigeait le Tchad, de 1982 à 1990, avant de s'exiler au Sénégal. Sept de ses victimes ont porté plainte au Sénégal en janvier 2000, accusant Habré de tortures, d’actes de barbarie et de crimes contre l'humanité. Un juge sénégalais l'a inculpé en retenant ces chefs d'accusation, mais après des immixtions politiques du gouvernement sénégalais dénoncées par deux Rapporteurs des Nations Unies sur les droits de l'homme, les juridictions d'appel ont annulé les poursuites au motif que les tribunaux sénégalais n'étaient pas compétents pour juger de crimes commis à l'étranger.

Dad9;autres victimes, dont trois ressortissants belges d’origine tchadienne, ont alors déposé plainte en Belgique. En septembre 2005, au bout de quatre années d'enquête, un juge belge a inculpé Hissène Habré et la Belgique a demandé son extradition. Un tribunal sénégalais s'est déclaré incompétent pour traiter cette demande et le gouvernement sénégalais a soumis l'affaire Habré à l'Union africaine (UA), pour « indiquer la juridiction compétente pour juger cette affaire ». L'UA a créé un Comité d'éminents juristes africains et, sur la recommandation de ce dernier, a demandé au Sénégal en juillet 2006 de juger Habré « au nom de l'Afrique ». Le Sénégal a accepté ce mandat de l'UA et a amendé sa législation pour donner à ses tribunaux une compétence extraterritoriale pour juger de crimes internationaux, mais pendant des années, le gouvernement sénégalais s’est efforcé d’empêcher la tenue d’un procès.

La Belgique a déposé une requête contre le Sénégal auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ) en février 2009, après le refus par le Sénégal d’extrader Habre ou de le faire juger devant ses tribunaux. La Belgique a ultérieurement déposé trois autres demandes d'extradition. Les deux premières ont été rejetées pour vices de forme, le gouvernement sénégalais n'ayant apparemment pas transmis les documents juridiques belges intacts au tribunal, et la troisième est toujours en cours d'examen. En 2011, le Sénégal a annoncé, puis est revenu sur sa décision d'expulser Hissène Habré au Tchad.

Pour plus d’informations sur cette affaire, veuillez consulter le lien suivant : https://www.hrw.org/fr/news/2012/03/09/les-grandes-lignes-de-laffaire-habr

1. Quel est l'argument de la Belgique ?

2. Que demande la Belgique à la Cour ?

3. Quelle est la position du Sénégal ?

4. Pourquoi les efforts pour traduire Habré en justice durent-ils depuis si longtemps ?

5. Quelle est la position du Comité des Nations Unies contre la torture ?

6. Quelle est la décision de la Cour de justice de la CEDEAO ?

7. Quelle position le Sénégal a-t-il prise publiquement sur l'éventualité de juger Habré ?

8. Quelle est la position du gouvernement tchadien ?

9. Quelle est la position de l'Union africaine ?

10. Quelles questions les juges de la CIJ ont-ils posées ?

11. Où les victimes de Habré estiment-elles qu'il doit être jugé ?

12. Quand la CIJ rendra-t-elle sa décision dans cette affaire?

13. Habré restera-t-il au Sénégal jusqu'à ce qu'une décision intervienne?

14. La décision de la Cour sera-t-elle contraignante?

                                            

1. Quel est l'argument de la Belgique ?

La Belgique soutient que le Sénégal a failli à ses obligations internationales découlant de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Convention contre la torture ») et d'autres règles contraignantes de droit international, en refusant de juger Hissène Habré sur son sol ou de l'extrader. Selon les diplomates qui ont rédigé cette convention, un de ses « objectifs essentiels » était « de s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse se soustraire aux conséquences de son acte en se rendant dans un autre pays »,et une des obligations principales pour les Etats, contenue dans son article 7, était de « poursuivre ou extrader ». En outre, d’après la Belgique, pendant des années, le Sénégal n’avait pas établi sa compétence extraterritoriale pour les cas de torture, obligation contenue dans l’article 5 de la Convention et que ce manquement continue d’avoir des conséquences dans l’affaire.

2. Que demande la Belgique à la Cour ?

La Belgique demande à la Cour d'affirmer que le Sénégal a violé la Convention contre la torture et d'autres règles de droit international en s'abstenant de poursuivre pénalement Hissène Habré ou de l'extrader. Elle demande à la CIJ d'ordonner au Sénégal de soumettre « sans délai » l’affaire Habré à ses autorités judiciaires compétentes pour l’exercice de l’action pénale, ou à défaut d'extrader Habré vers la Belgique « sans plus attendre ».

3. Quelle est la position du Sénégal ?

Le Sénégal reconnaît son obligation de poursuivre ou d’extrader aux termes de la Convention contre la torture et affirme avoir toujours l'intention de juger Habré sur son sol, tout en examinant la dernière demande d'extradition déposée par la Belgique. Le Sénégal maintient qu'il n'a pas violé la Convention contre la torture et affirme qu'une procédure aussi complexe et coûteuse prend du temps et nécessite de surmonter des difficultés logistiques et financières. Le Sénégal souligne qu'il a amendé ses lois et sa constitution pour donner à ses tribunaux compétence pour statuer sur les crimes présumés de Habré et affirme qu'il a fallu des années d'efforts pour obtenir le financement international nécessaire pour couvrir tous les coûts de la procédure. Le Sénégal affirme également qu'une décision de la Cour de justice de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a créé des obstacles supplémentaires.

4. Pourquoi les efforts pour traduire Habré en justice durent-ils depuis si longtemps ?

Le Sénégal n'a rien entrepris contre Habré entre 1990 et le dépôt de la plainte par ses victimes en 2000. Après le classement sans suites par les tribunaux sénégalais de l'inculpation de Habré en 2001, les autorités belges ont enquêté sur l'affaire pendant quatre ans, puis ont demandé son extradition en 2005. Le Sénégal s'est alors tourné vers l'UA, qui lui a donné mandat en juillet 2006 de poursuivre Habré. Deux nouvelles années se sont écoulées avant que le Sénégal amende sa législation pour se doter d'un cadre légal lui permettant de juger Habré. Le gouvernement avait également insisté que soit versé la totalité des fonds pour le procès, à savoir 27,4 millions d'euros (36,5 millions de dollars) par la communauté internationale avant d'entamer toute procédure judiciaire. Plusieurs bailleurs de fonds ont immédiatement offert de l'argent, mais il a fallu trois ans de négociations pointilleuses pour que le Sénégal accepte une proposition de budget de 8,6 millions d'euros (11,4 millions de dollars) de l'UA et de l'Union européenne, budget entièrement financé au cours d'une table-ronde de donateurs en novembre 2010. Depuis lors cependant, le gouvernement sénégalais a allégué que la décision de la Cour de justice de la CEDEAO l'empêchait d'avancer et aucune investigation des crimes reprochés à Habré n'a jamais commencé.

5. Quelle est la position du Comité des Nations Unies contre la torture ?

Après le rejet de leur plainte au Sénégal, les victimes et plaignants tchadiens ont déposé une plainte (qu'on appelle une « communication ») contre le Sénégal auprès du Comité de l'ONU contre la torture, l'accusant d'avoir violé la Convention contre la torture. Dans une décision du 19 mai 2006, Guengueng c. Sénégal, le Comité a conclu que le Sénégal avait violé l'article 5 (2) de la Convention en s'abstenant d'établir sa compétence extraterritoriale dans les cas de torture et avait violé à deux reprises les dispositions de l'article 7 exigeant qu'il poursuive ou extrade – d'abord en s'abstenant de juger Habré en 2000-01, puis en ne l'extradant pas en 2005. Le Comité a appelé le Sénégal à poursuivre ou extrader Habré et à établir sa compétence sur la torture commise à l’étranger par une personne se trouvant au Sénégal. Quand le Sénégal a retardé la procédure judiciaire contre Habré, le Comité a réagi en effectuant une mission au Sénégal en 2009. En novembre 2011, le rapporteur du Comité a de nouveau rappelé au Sénégal ses obligations.

En juillet 2011, Navi Pillay, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, a rappelé à son tour au gouvernement sénégalais qu' « abriter une personne qui a commis la torture et d'autres crimes contre l'humanité sans la poursuivre en justice ni l'extrader est une violation du droit international ».

6. Quelle est la décision de la Cour de justice de la CEDEAO ?

Le 1er octobre 2008, Hissène Habré a déposé un recours devant la Cour de Justice de la CEDEAO, dans lequel il affirmait qu'appliquer les changements législatifs intervenus au Sénégal à son propre cas constituerait une violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales. Le 18 novembre 2010, la Cour de la CEDEAO a décidé qu'afin d'éviter de violer ce principe, Habré devrait être jugé devant « une juridiction spéciale ad hoc à caractère international ». Des experts de droit international ont unanimement mis en doute cette décision, au motif que le principe de non-rétroactivité ne s'appliquait pas à des actes qui, au moment où ils ont été commis, étaient déjà proscrits par le droit national ou international (tels que, dans ce cas, la torture et les crimes de guerre).

Le Sénégal a déclaré à la CIJ que la décision de la Cour de la CEDEAO l'empêchait de poursuivre Habré devant ses propres tribunaux et que créer un tribunal spécial serait plus coûteux et plus compliqué. La Belgique a répondu que les préoccupations concernant la rétroactivité soulevées par la décision de la Cour de la CEDEAO, découlaient en réalité du fait que le Sénégal avait auparavant failli à sa responsabilité de mettre les lois nécessaires en place.

L'UA avait réagi rapidement à la décision de la Cour de la CEDEAO et son commissaire, Ramtane Lamamra, a présenté en janvier 2011 au président sénégalais Abdoulaye Wade un projet de création d'un tribunal simple composé de juges sénégalais et internationaux. Le président Wade a rejeté ce plan. Le Sénégal et l'UA ont toutefois poursuivi leurs discussions et, en mars 2011, sont parvenus à un accord de principe sur un nouveau projet de création, au sein du système judiciaire sénégalais, d’un tribunal spécial dont certains juges seraient nommés par l'UA. Sur le plan financier, cette proposition visait à éviter de dépasser l'enveloppe budgétaire de 8,6 millions d'euros approuvée par les bailleurs de fonds, en prévoyant que le tribunal pourrait « choisir de poursuivre un échantillon représentatif des crimes les plus graves relevant de leur compétence ».Mais en mai 2011, le Sénégal s'est retiré des négociations avec l'Union africaine sur la création de ce tribunal.

Dans son contre-mémoire, le Sénégal a déclaré n'avoir demandé qu'un « délai raisonnable » dans ses discussions avec l'UA et a affirmé devant la CIJ que « les consultations avec l'Union africaine se poursuivaient en vue de la mise en place de cette juridiction ad hoc à caractère international », et que ces discussions étaient à un stade « très avancé ». Cependant selon la Commission de l'UA, le Sénégal a, en mai 2011, suspendu les discussions « sine die », c'est-à-dire sans fixer de date pour leur reprise, et depuis lors n'a pas répondu aux questions posées par la Commission de savoir « pourquoi il avait besoin d'un ajournement sine die et s'il avait l'intention d'aller de l'avant avec le procès ». Le rapport d'étape de janvier 2012 de la Commission de l'UA ne fait aucune mention de quelconques discussions avec le Sénégal et ne cite plus ce pays comme l'hôte possible d'un éventuel procès de Hissène Habré (cf. ci-dessous).

7. Quelle position le Sénégal a-t-il prise publiquement sur l'éventualité de juger Habré ?

Les déclarations du Sénégal à la CIJ selon lesquelles il a toujours l'intention de juger Habré diffèrent sensiblement de ses déclarations publiques. En juillet 2011, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Madické Niang, a déclaré: « Il est important de souligner que Hissène Habré ne peut plus être jugé au Sénégal ». Plus tard, il a confirmé qu'il était « impossible au Sénégal de juger Habré ». Au moment de l'annonce de la suspension de la décision d'expulser Habré vers le Tchad, le ministère sénégalais des Affaires étrangères, dans un communiqué, a de nouveau exclu la possibilité de tenir un procès au Sénégal. Le président Wade a également déclaré en 2011 que le Sénégal ne pouvait pas juger Hissène Habré et qu'après la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, le Sénégal était « dessaisi » de l’affaire.

8. Quelle est la position du gouvernement tchadien ?

Le Tchad soutient les efforts pour traduire Habré en justice. Le gouvernement tchadien a levé l'immunité de Habré en 2002 pour permettre sa poursuite en Belgique. Le 22 juillet 2011, après la tentative avortée du Sénégal d'expulser Habré vers le Tchad, le gouvernement tchadien a annoncé qu'un procès en Belgique était l'option « la plus appropriée » pour rendre justice aux victimes. Le Tchad n'a jamais demandé l'extradition de Habré du Sénégal et il est peu probable qu'il puisse bénéficier d'un procès équitable au Tchad.

9. Quelle est la position de l'Union africaine ?

La Belgique et le Sénégal reconnaissent tous les deux que le mandat de l'UA n'exempte pas le Sénégal de son obligation d'extrader ou de poursuivre.

Depuis qu'elle a ordonné au Sénégal en 2006 de poursuivre Habré « au nom de l'Afrique », l'UA a chargé un émissaire spécial de suivre ce dossier, a aidé à préparer un budget pour financer le procès et à lever les fonds nécessaires, et a appelé le Sénégal à de nombreuses reprises à traduire Habré en justice sans retard. Dans un rapport présenté lors du dernier sommet de l'organisation en janvier 2012, la Commission de l'UA relevait cependant que « des progrès minimes avaient été faits dans l'organisation du procès de Hissène Habré depuis 2006 » et ne mentionnait plus la possibilité qu'un tel procès se tienne au Sénégal. A la place, la Commission mentionnait deux autres lieux possibles pour la tenue du procès : la Belgique, comme le demandent le Tchad et les victimes de Habré et où un procès pourrait être organisé rapidement, et le Rwanda, le seul autre pays africain qui ait offert de tenir un tel procès.

10. Quelles questions les juges de la CIJ ont-ils posées ?

Pendant les audiences, les juges ont posé un nombre inhabituel de questions. Plusieurs de ces questions, semble-t-il, avaient pour but de clarifier le droit de la Belgique à ouvrir cette procédure contre le Sénégal.

Le juge Ronny Abraham a demandé sur quel fondement juridique la Belgique pouvait invoquer les obligations du Sénégal, dans le cas où les victimes n'étaient pas de nationalité belge au moment des faits. La Belgique a répondu qu'aux termes des projets d'articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, la Belgique pouvait invoquer la responsabilité du Sénégal car la Convention sur la torture impose des obligations à la communauté internationale (« erga omnes ») qui sont exécutables par tout État partie à la Convention. En outre, selon ces articles, la Belgique est « l'État lésé » car elle a exercé sa compétence et réclamé l'extradition de Habré. Dans une affaire concernant un citoyen chilien victime de tortures qui avait adopté la nationalité espagnole, le Comité de l'ONU contre la torture avait estimé que, selon l'article 5 (1) (c) de la Convention, un État avait la faculté discrétionnaire, plutôt que l'obligation contraignante, d'exercer sa compétence au nom de victimes qui sont ses citoyens.

En fait, la Belgique a également compté pendant plus de quatre ans sur les assurances données par le président Wade, selon lesquelles il était prêt à extrader Habré vers la Belgique. D'ailleurs, en 2003, les autorités belges ont certifié que l'affaire pouvait se poursuivre car « trois plaignants sont de nationalité belge et le Tchad et le Sénégal ont décidé de ne pas juger » Habré. Il faut noter que, sans l'intervention de la Belgique, Habré aurait totalement échappé à la justice quand les tribunaux sénégalais ont annulé les poursuites contre lui en 2001. En l'occurrence, la Belgique – plus qu'aucun autre Etat impliqué – a agi en conformité avec l'objectif de la Convention sur la torture, qui est « de rendre plus efficace la lutte contre la torture ».

La juge Joan Donoghue a demandé si l'obligation du Sénégal de « poursuivre ou extrader » s'appliquait à des actes de torture commis avant juin 1987, date à laquelle la Convention est entrée en vigueur pour le Sénégal. La Belgique a répondu que malgré une décision initiale du Comité contre la torture contre la rétroactivité dans d'autres affaires ultérieures dont Guengueng c. Sénégal qui est abordée plus bas, il n'a fait aucune distinction entre des actes de torture prétendument commis avant l'entrée en vigueur de la Convention et ceux commis après. Quoi qu'il en soit, la Belgique a souligné que beaucoup des crimes les plus graves attribués à Habré avaient été commis entre 1987 et 1990. La juge a également demandé si les obligations du Sénégal découlant de l'article 7 s'étendaient aux crimes commis avant 1999, date à laquelle la Convention est entrée en vigueur pour la Belgique. La Belgique a répondu que « les obligations procédurales qui incombent au Sénégal ne sont pas conditionnées ratione temporis par la date des actes de torture allégués ». La violation par le Sénégal de la Convention contre la torture n’aurait pas été la torture elle-même, mais le fait que le Sénégal s'était abstenu de traduire en justice le tortionnaire présumé. Par conséquent, la date de la violation est fixée au moment où s'impose l'obligation d'extrader ou de poursuivre. Dans l'affaire Guengueng c. Sénégal, le Comité contre la torture a estimé que les violations de la Convention par le Sénégal s'étaient produites « à tout le moins au moment de l’introduction de la plainte par les requérants en janvier 2000 », alors que le pays était légalement obligé - mais a refusé - de poursuivre Habré, et que le Sénégal « a une nouvelle fois manqué à ses obligations en vertu de l’article 7 de la Convention » en 2005 « en refusant de faire suite à cette demande d’extradition ». Ces deux violations ont été commises après 1999.

Le juge Antônio Augusto Cançado Trindade a demandé quelle était, compte tenu du coût estimé du procès, la valeur probante du rapport de la commission d’enquête nationale du ministère tchadien de la justice, dans lequel le régime de Habré est accusé d'avoir commis jusqu'à 40 000 assassinats politiques et de recourir systématiquement à la torture. Ce rapport est un élément précieux pour démontrer à quelle échelle le gouvernement de Habré commettait des crimes, ainsi que le contrôle personnel qu'exerçait Habré sur l'appareil répressif tchadien. Parmi les autres éléments de preuve relatifs à cette affaire figurent des documents de la police politique de Habré, la DDS (« Direction de la documentation et de la sécurité »), qui décrivent en détail comment Habré avait placé la DDS sous son autorité directe et gardait un contrôle étroit sur ses opérations. Ces documents contiennent les noms de 1 208 personnes exécutées ou mortes en détention. Dans ces archives se trouvent des preuves que Habré avait reçu directement 1 265 communications de la DDS sur le statut de 898 détenus. D'anciens membres de la DDS ont également témoigné que Habré était constamment tenu informé des activités de la DDS. En outre, des centaines de victimes ont livré un témoignage sur les exactions qu'elles ont subies.

11. Où les victimes de Habré estiment-elles qu'il doit être jugé ?

Les victimes estiment qu'un procès en Belgique serait « l’option la plus concrète et la plus rapide » pour faire en sorte que Habré réponde des accusations portées contre lui dans le cadre d'une procédure équitable. Un procès pourrait être organisé rapidement en Belgique car un juge d'instruction et une équipe de policiers belges ont déjà enquêté sur l'affaire pendant quatre ans. L'équipe a effectué une visite au Tchad en 2002, inspectant des charniers et d'anciens centres de détention, interrogeant d'anciens complices et d'anciennes victimes de Habré et analysant des milliers de pages de documents provenant des archives de la police politique de Habré.

Les victimes et ceux qui les soutiennent se battent depuis plus de 21 ans pour amener Habré devant la justice. Bien qu'ils aient déposé leur première plainte au Sénégal en 2000, les victimes affirment avoir perdu tout espoir de le voir juger dans ce pays. Habré est accusé par une commission d’enquête tchadienne d'avoir vidé les coffres du pays avant de fuir, et il a de puissants partisans au Sénégal qui ont tenté d'influer sur le cours de la justice. En 2000, le rapporteur de l'ONU sur l'indépendance du système judiciaire a dénoncé des ingérences de l'exécutif au moment de l'abandon des poursuites au Sénégal. La décision de 2005 rejetant la demande d'extradition a été prise sur requête du procureur de la république. Même avec un changement de pouvoir au Sénégal après la victoire de Macky Sall sur Abdoulaye Wade à l'élection présidentielle le 25 mars 2012, les victimes de Habré se disent convaincues que ses partisans continueront de jouer de leur influence. La décision de la CEDEAO, qui semble recommander la création d'un nouveau tribunal, constitue une bonne excuse pour traîner davantage les pieds et pour d'autres ingérences. De nouveaux retards seront inévitablement causés par la nécessité que les moyens de financement promis en 2010 soient de nouveau trouvés et promis.

La Belgique est le seul pays à avoir reçu et entendu les victimes et qui continue à leur ouvrir une porte vers la justice. Les victimes craignent qu'un procès dans un autre pays que la Belgique, par exemple au Rwanda, prenne de nombreuses années à organiser – des années pendant lesquelles de nombreux survivants seraient susceptibles de mourir sans que justice leur soit rendue. Un tel procès exigerait des amendements législatifs pour créer un cadre juridique adéquat pour statuer sur les crimes reprochés à Habré (qui n'ont probablement aucun rapport direct avec ce pays), un nouvel engagement de financer le procès de la part des bailleurs de fonds internationaux et le redémarrage d'une enquête transnationale complexe.

12. Quand la CIJ rendra-t-elle sa décision dans cette affaire?

La Cour n'est pas tenue de prendre sa décision dans le cadre d’un calendrier précis. Cependant, dans des affaires récentes, elle a rendu son jugement au bout de quatre à huit mois.

13. Habré restera-t-il au Sénégal jusqu'à ce qu'une décision intervienne?

La CIJ n'a pas indiqué qu’il faut empêcher Habré de quitter le Sénégal jusqu'à ce qu'elle statue dans cette affaire. Cependant, en février 2009, la Belgique a demandé à la CIJ de donner une telle indication et en réponse, le Sénégal s'est solennellement engagé en mai 2009 à garder Habré sur son territoire en attendant la décision définitive de la Cour.

En dépit de cet engagement, le 8 juillet 2011, le président Wade a écrit au gouvernement tchadien et à l'UA pour leur annoncer l'expulsion de Habré vers le Tchad – où il a été condamné à mort par contumace pour d'autres crimes. Mais deux jours plus tard, le Sénégal a officiellement annulé cette décision qui avait déclenché un tollé international, y compris une protestation de la Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme.

Le Sénégal pourrait aussi décider d'extrader Habré vers la Belgique avant la décision finale de la CIJ. Dans ce cas, la Belgique retirerait probablement sa requête contre le Sénégal devant la CIJ.

14. La décision de la Cour sera-t-elle contraignante?

Toutes les décisions de la Cour sont définitives (sans appel) et contraignantes pour les parties, selon l’article 94 de la Charte de l'ONU. Dans les affaires dans lesquelles un Etat estime que l'autre Etat a failli à ses obligations découlant de la décision, il peut porter l'affaire devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui est habilité à recommander ou prendre des mesures pour que la décision soit suivie d'effet.

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