Skip to main content

Algérie: Forte répression des manifestations à l’approche des élections

Mises en détention et autres tactiques visant à bloquer tout rassemblement dans la capitale

(Paris, le 9 mai 2012) – Les autorités algériennes ont recouru à des arrestations, parmi d’autres tactiques, pour empêcher les gens de manifester dans la capitale pendant la période précédant les élections du 10 mai 2012, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces de sécurité continuent de placer en détention les gens qui essaient de manifester pacifiquement à Alger, dont au moins un candidat aux élections, et ont empêché des gens d’arriver jusqu’à la ville si elles les suspectaient d’avoir l’intention de manifester.

Le gouvernement a levé l’état d’urgence en février 2011. Les forces de sécurité, néanmoins, justifient leurs actions en se basant sur les lois répressives régissant les rassemblements publics, notamment une interdiction des rassemblements à Alger, la capitale, imposée suite à une manifestation ayant dégénéré en 2001. Ces lois vont à l’encontre des obligations de l’Algérie en termes de droits humains prescrites par le droit international. Le gouvernement devrait mettre un terme aux restrictions non justifiées de la liberté de rassemblement à Alger, a déclaré Human Rights Watch.

« Si les autorités algériennes ont vraiment l’intention de respecter les droits humains et les réformes démocratiques, elles devraient assouplir les lois pour montrer qu’elles ne craignent pas de laisser les Algériens exercer leur droit de rassemblement », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Les forces de sécurité ont pris des mesures préventives et utilisé la force contre des groupes ayant tenté de braver l’interdiction des manifestations dans la capitale, particulièrement lorsque le motif de la manifestation était considéré comme politiquement sensible. Généralement, les forces de sécurité essaient de bloquer l’accès à l’endroit prévu pour une manifestation. Puis elles y pénètrent pour disperser tous ceux qui ont réussi à atteindre l’endroit, arrêtant certaines personnes et les transportant vers les postes de police, où elles les détiennent durant plusieurs heures avant de les remettre en liberté.

Dans son important discours du 14 avril 2011, le président Abdelaziz Bouteflika a annoncé des réformes, entre autres des amendements de la Constitution et des lois sur les élections, les partis politiques et les médias. 

Depuis, le Parlement a approuvé de nouvelles lois dans tous ces domaines. Pourtant, le droit à la liberté de rassemblement reste fortement compromis. Les autorités n’ont ni levé l’interdiction de 2001, à durée illimitée, ni révisé la loi de 1991 régissant les rassemblements, qui exige une autorisation préalable pour toute manifestation publique.

Une interdiction illimitée de toutes les manifestations ne constitue pas une réponse adaptée à une marche ayant dégénéré en violences il y a 11 ans, mais plutôt une négation du droit des gens à se rassembler, a déclaré Human Rights Watch.

L’Algérie est un État partie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit le droit de rassemblement pacifique, ainsi que la liberté d’association et d’expression. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, qui vérifie si les États se conforment au pacte, a prévenu l’Algérie que ses lois et pratiques concernant les rassemblements ne répondent pas aux critères de base exigés des États parties en termes de droits humains.

Arrestations arbitraires à Alger
Il y avait une forte présence policière le 20 avril à Alger, pour l’anniversaire des manifestations de 1980. Des Kabyles (Amazighs algériens) se sont rassemblés chaque année à cette date pour demander que leurs droits culturels soient mieux respectés. Abdelwahab Farsaoui, président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), un mouvement de jeunes gens fondé en 1992 autour des thèmes des droits humains et de la démocratisation, a décrit à Human Rights Watch un incident qui s’est produit au centre-ville d’Alger :

J’étais avec neuf autres membres du RAJ, nous devions rencontrer un journaliste de la télévision française. Le rendez-vous était fixé en face de la Grande Poste. Quand nous sommes arrivés, nous avons vu un grand déploiement de forces de sécurité en train de vérifier les cartes d’identité des gens et d’arrêter certains d’entre eux. Il y avait eu un appel à manifester à Alger le 20 avril. Un groupe de policiers est arrivé et nous a demandé nos cartes d’identité. Puis ils nous ont arrêtés, bien que nous protestions  que nous n’avions rien fait. Ils nous ont emmenés dans une voiture de police jusqu’au poste de Cavaignac [au centre d’Alger], où nous sommes restés plusieurs heures avant d’être relâchés tard dans l’après-midi.

Farsaoui a précisé que pendant qu’il était au poste de police, il avait vu un autre groupe, des étudiants d’en-dehors d’Alger, la plupart de Tizi-Ouzou, arrêtés en même temps que les membres du RAJ. Un policier les interrogeait. Ils ont dit qu’ils étaient venus à Alger pour passer un examen de français au Centre culturel français, et lui ont montré la convocation à l’examen. Le policier a répondu, selon Farsaoui, « mais vous êtes censés passer l’examen demain. Tizi-Ouzou n’est qu’à une heure et demie d’Alger, vous auriez dû arriver demain ».

Redouane Boudjemâa, professeur de journalisme à l’Université d’Alger et membre du Groupe arabe d’observation des médias (Arab Working Group on Media Monitoring), une organisation non gouvernementale indépendante, a déclaré à Human Rights Watch que, le 20 avril, dix de ses étudiants avaient été empêchés de se rendre à Alger pour la semaine de cours débutant après le congé du vendredi :

Mes étudiants m’ont appelé pour me dire qu’ils ne pourraient pas assister aux cours du samedi parce que le vendredi, la police les avait empêchés d’embarquer sur les trains pour Alger. Ils avaient quitté la capitale pour le week-end, pour rentrer dans leurs villes d’origine. La plupart sont de Tizi-Ouzou [en Kabylie]. Le Comité national des étudiants amazighs démocrates avait appelé à marcher de l’Université d’Alger jusqu’au siège du gouvernement. Je pense que le gouvernement essayait de limiter le mouvement en empêchant les jeunes hommes de rentrer dans la capitale.

Dans un autre incident récent, le 26 avril, la police a arrêté plusieurs militants connus qui étaient en train de manifester en face du tribunal de Sidi Mohamed à Alger, par solidarité avec Abdelkader Kherba, membre du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), qui avait été arrêté le 18 avril et passait alors en jugement.

Les forces de sécurité ont arrêté Hakim Addad, ancien secrétaire général du RAJ, qui est candidat du Front des forces socialistes (FFS) aux élections législatives du 10 mai, de même que Tahar Belabès, porte-parole du CNDDC ; Mourad Tchiko, membre du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP); Abdou Bendjoudi, militant du Mouvement des jeunes indépendants pour le changement (MJIC); et Yacine Zaïd, membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH).

Addad a déclaré à Human Rights Watch que les manifestants se comportaient pacifiquement et se contentaient d’exiger la libération de Kherba. Ils ne gênaient pas le flux de la circulation et ne provoquaient pas de désordre, a-t-il déclaré. Après avoir arrêté les manifestants, la police les a répartis entre plusieurs commissariats d’Alger et les a détenus pendant plusieurs heures avant de tous les relâcher sans inculpation.

Kherba lui-même a été poursuivi pour avoir participé à une manifestation pacifique. La police l’a arrêté en face du tribunal de Sidi Mohamed, où il était venu manifester sa solidarité avec les greffiers, qui étaient alors en grève depuis dix jours et organisaient un sit-in pour exiger de meilleures conditions de travail pour le personnel du tribunal. Kherba avait une caméra et filmait le sit-in quand il a été arrêté, a déclaré Amine Sidhoum, son avocat, à Human Rights Watch. 

Les autorités ont inculpé Kherba d’« incitation directe à un rassemblement illégal » ainsi que d’« entrave à la liberté du travail » en vertu des articles 55 et 56 de la loi n° 90-02 du 6 février 1990, une loi « relative à la prévention et au règlement des conflits collectifs de travail et à l’exercice du droit de grève ». L’article 55 interdit d’amener ou de maintenir une cessation de travail; et l’article 56 interdit d’utiliser la fraude ou la violence pour entraver la liberté du travail. Sidhoum a déclaré qu’il avait plaidé que ces charges ne pouvaient pas s’appliquer aux actions de Kherba étant donné que les greffiers étaient déjà en grève depuis dix jours.

Lors de la première audience de l’affaire Kherba, le 26 avril, le procureur général a requis une peine de trois ans de prison. Mais le 3 mai, le tribunal l’a condamné à an avec sursis et à une amende de 20 000 dinars algériens (267 US$), avant de le libérer le même jour.

Contexte juridique
La loi algérienne régissant les rassemblements, promulguée en 1989 pendant une période d’ouverture politique et juridique, a été modifiée par le Parlement en 1991, alors que le pays a été le théâtre de manifestations massives et parfois de violents affrontements entre manifestants opposés au gouvernement et forces de sécurité.

La loi de 1991 a fortement restreint le droit à la liberté de rassemblement en modifiant les conditions légales pour tenir une manifestation, obligeant le groupe prévoyant un rassemblement à obtenir l’autorisation des autorités, au lieu de simplement les avertir.

Les « manifestations publiques » comprennent les parades, les processions, et de façon générale toutes formes de rassemblements organisés dans les voies et espaces publics. Les organisateurs de manifestations publiques doivent en demander la permission huit jours avant l’événement.

Le wali (gouverneur de province) doit annoncer son accord ou son interdiction du rassemblement public au moins cinq jours avant la date prévue. Lui ou ses subordonnés peuvent interdire tout rassemblement en informant ses organisateurs qu’il constitue « un risque réel de troubler l’ordre public » ou bien qu’« il paraît clair que l’objectif réel du rassemblement menace le maintien de l’ordre public ». De plus, la loi interdit toute activité, lors des rassemblements, qui seraient contraires aux « constantes nationales [les caractéristiques constitutives et immuables de la Nation] » ou qui pourraient « porter atteinte aux symboles de la révolution du 1er novembre, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ».

Participer à, ou inviter autrui à participer à une manifestation non déclarée est passible, selon la même loi, de trois mois à un an de prison et d’une amende de 3 000 à 15 000 dinars algériens (40 à 200 US$).

De février 1992 à février 2011, l’Algérie a été soumis à un état d’urgence qui a restreint davantage le droit à la liberté de rassemblement, en conférant au ministère de l’Intérieur de vastes pouvoirs, dont le droit d’interdire tout rassemblement « susceptible de troubler l’ordre public et la quiétude ».

Malgré la levée de cet état d’urgence, l’interdiction illimitée de toutes les manifestations reste en vigueur à Alger. Les autorités ont imposé cette interdiction le 18 juin 2001, quatre jours après une énorme marche pro-amazigh à Alger, qui avait attiré des participants de toute la Kabylie, région majoritairement amazighe, et qui avait dégénéré en pillages de boutiques et en affrontements entre la police, les manifestants et des jeunes gens du coin. Quatre personnes avaient été tuées et plus de 300 blessées. Justifiant l’interdiction, le gouvernement avait alors déclaré sa « ferme détermination à faire face à la grave dégradation de la situation observée pendant les événements tragiques et malheureux de ces derniers jours ».

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.