(Rabat, le 20 février 2012) – Le Maroc poursuit actuellement en justice des militants ayant mené une campagne pacifique pour le boycott des élections qui se sont tenues il y a trois mois, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces poursuites judiciaires contredisent les déclarations des responsables marocains, selon qui les autorités n’ont arrêté personne pour s’être exprimé en faveur d’un boycott.
L’un des procès reprendra le 22 février 2012 devant le tribunal de première instance de Marrakech. Poursuivis pour avoir distribué des tracts en infraction avec la loi, les inculpés ont été arrêtés à Marrakech les 16 et 17 novembre 2011, alors qu’ils commençaient à distribuer des tracts exhortant les Marocains à boycotter les élections législatives du 25 novembre. Un autre groupe de militants pro-boycott ayant diffusé des tracts comparaît déjà devant la justice dans la ville de Benguerir.
« Les poursuites engagées par le gouvernement marocain contre des militants qui avaient simplement appelé à boycotter les élections mettent en lumière l’écart - qui doit être réduit - entre la nouvelle constitution respectueuse des principes des droits humains, et certaines pratiques répressives toujours en vigueur », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Human Rights Watch a publié le 23 novembre des éléments de preuve indiquant que la police, dans tout le pays, a convoqué plus de 100 personnes pour interrogatoire depuis le mois d’octobre, parce qu’elles distribuaient des tracts pro-boycott ou pour d’autres actions visant à exhorter les électeurs à ne pas voter. Les partisans du boycott avançaient que les réformes menées par le Palais - annoncées depuis le 20 février 2011, début des manifestations de rue réclamant des changements - n’étaient pas allées assez loin dans le sens de la séparation des pouvoirs et de la limitation des prérogatives royales.
Le 24 novembre, le ministre de l’Intérieur a écrit une lettre à Human Rights Watch pour nier ses allégations, déclarant qu’elles étaient basées sur des témoignages « à la crédibilité douteuse » et se référant à une déclaration du gouvernement datée du 20 novembre, selon laquelle personne n’a été arrêté pour avoir appelé au boycott.
Abdelouahid Kanin, un habitant de Marrakech qui, avec Moustapha Ourchid, comparaîtra le 22 février, a décrit comment les policiers de Marrakech l’ont arrêté, lui et ses collègues, quelques jours seulement avant ces dénégations de la part du gouvernement :
Le 16 novembre [2011], nous nous sommes rassemblés à Bab Doukkala [àMarrakech]. Nous étions environ 30, du 20-Février [mouvement de jeunes appelant à des réformes], de Ennahjd Eddimouqrati [la Voie démocratique, un parti d’extrême-gauche], du PSU et du PADS [Parti socialiste unifié et Parti de l’avant-garde démocratique socialiste, tous deux de gauche]. Nous avons scandé des slogans, et personne ne nous a embêtés, mais lorsque nous avons essayé de distribuer des tracts appelant au boycott, les policiers sont intervenus. Ils ont arrêté 10 d’entre nous : moi et un autre de Ennajhd, 3 de Al Adl Wal Ihsan [Justice et spiritualité, un mouvement islamiste], trois militants des droits amazighs, et deux du Mouvement du 20-Février.
Les policiers nous ont interrogés pendant trois heures, essentiellement sur nos affiliations politiques et sur nos raisons de distribuer les tracts. A la fin, ils nous ont fait signer nos procès-verbaux et nous ont libérés. Le jour suivant, nous sommes encore sortis distribuer des tracts et la police a arrêté à nouveau deux d’entre nous, en même temps que quatre nouvelles personnes.
Parmi les personnes arrêtées avec Kanin et Ourchid le 16 novembre, figurent Ilyas Alkhadiri et Ismaïl Mechmach, qui comparaîtront séparément pour répondre du même chef d’accusation . Deux personnes parmi celles arrêtées le 17 novembre, Wael Nassih et Mohamed Oubaha, sont inculpées dans un troisième procès avec les sur la base des mêmes chefs d’accusation. Tous les inculpés sont actuellement en liberté.
Les six hommes ont été inculpés en vertu de l’article 2 du code de la presse, qui inflige une amende de 2 000 à 15 000 dirhams (233 à 1 752 US$) en cas de distribution de matériel écrit qui ne mentionne pas les nom et adresse de l’imprimeur.
Les militants marocains des droits humains font remarquer que des citoyens distribuent régulièrement aux passants des tracts sur des sujets politiques ou autres, sans que la police n’intervienne, même lorsque ces tracts n’indiquent pas l’identité de l’imprimeur. Les poursuites lancées dans ces affaires en particulier, où les tracts diffusent un message politique, paraissent donc sélectives, a ajouté Human Rights Watch.
« L’arrestation et l’engagement de poursuites contre des partisans d’un boycott pacifique diffère peu de l’arrestation des adhérents de tel ou tel parti », a observé Sarah Leah Whitson.