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Nigeria : L’interdiction des mariages entre « personnes du même sexe » constituerait une violation de leurs droits

Ce projet de loi mettrait en péril le droit à la vie privée et constituerait une menace pour de nombreux militants

(Lagos, le 1er novembre 2011) - Le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale du Nigeria concernant l’interdiction des «mariages de personnes du même sexe» menacerait tous les droits des Nigérians, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, Amnesty International et la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes (IGLHRC). Ce projet de loi, qui est examiné pour la troisième fois en cinq ans, renforcerait les sanctions déjà draconiennes prévues pour des relations homosexuelles entre adultes consentants et établirait un précédent qui mettrait en péril les droits de tous les Nigérians à la vie privée, à l’égalité, à la liberté d’expression et d’association, et au droit de ne pas subir de discrimination.

Dans une lettre adressée au président nigérian Goodluck Jonathan, aux dirigeants du Sénat et de la Chambre des représentants, à la Commission nationale des droits humains et à d’autres organismes nationaux, régionaux et internationaux, les trois organisations ont exhorté les législateurs à faire barrage à ce projet de loi. S’il est adopté, elles ont demandé au président Goodluck Jonathan d’y opposer son veto. La première audience publique consacrée à l’examen du projet de loi a eu lieu lundi 31 octobre 2011. À l’ouverture de la session, le président du Sénat, David Mark, a déclaré que le mariage entre personnes de même sexe était une « insulte à la culture et à la tradition» nigérianes ».

 « Il s’agit d’un projet de loi pernicieux qui ne semble concerner que les mariages entre personnes de même sexe, mais constitue en fait une attaque contre l’ensemble des droits fondamentaux », a indiqué Graeme Reid, directeur du programme Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « La définition du mariage entre personnes de même sexe va jusqu'à inclure toute personne qui serait juste soupçonnée d'entretenir une relation homosexuelle. Et elle menace les défenseurs des droits humains en prenant pour cibles ceux qui défendent des causes impopulaires. »

Le 27 septembre 2011, le Sénat nigérian a approuvé en deuxième lecture le projet de loi visant à interdire les unions homosexuelles. Le mariage entre personnes de même sexe y est défini comme «l’union de personnes du même sexe souhaitant vivre ensemble comme mari et femme ou pour toute autre raison inhérente à une relation homosexuelle». Aux termes de ce texte, les personnes de même sexe qui vivent ensemble en formant un couple sont passibles d'une peine de trois ans de prison. Toute personne qui est témoin d’une telle relation, l’encourage ou lui prête assistance, est passible d’une sentence pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Pourtant, lors de l’Examen périodique universel du Nigeria en 2009, le gouvernement avait déclaré: «En tant que citoyens, tous les Nigérians jouissent des droits fondamentaux garantis par la Constitution».

En 2006, une version de ce projet de loi avait été présentée à l’Assemblée nationale, mais n’avait jamais fait l’objet d’un vote. Cette version, proposée en 2008, a été abandonnée après deux lectures, en raison du tollé qu’elle a suscité au sein de la société civile nigériane et de la communauté internationale. Elle a de nouveau été présentée en 2011. Si le Sénat approuve le projet de loi en troisième lecture, il devra être validé par la Chambre des représentants et le président Jonathan Goodluck avant d’être promulgué.

Les membres du Sénat ont justifié ce projet de loi en comparant les relations entre personnes du même sexe à l’inceste et en qualifiant les rapports homosexuels de «criminels», «impies» et «contre-nature». Ils considèrent qu’il aura un effet dissuasif en ce qui concerne l’homosexualité au Nigeria. Selon l’article 214 du Code pénal nigérian, les «relations charnelles contraires à l’ordre de la nature» sont passibles d’une peine pouvant atteindre 14 ans d’emprisonnement. Comme l’a expliqué Human Rights Watch dans un rapportde 2008, il s’agit d’une disposition en vigueur pendant l’ère victorienne qui a perduré après la fin de l’Empire colonial britannique. La charia (droit islamique), mise en place dans le nord du Nigeria en 1999, érige en infraction la «sodomie», crime puni par la lapidation.

« Ce projet de loi étoffe les sanctions pénales encourues pour relations homosexuelles entre adultes consentants et élargit notablement l’éventail des personnes susceptibles d’être prises dans les mailles du filet  », a déploré Erwin van der Borght, directeur du programme Afrique d’Amnesty International. « Ce projet de loi vise en outre toute personne qui assiste à une cérémonie ou à un rassemblement homosexuel – réel ou présumé – et quiconque est témoin ou complice d’une relation de ce type. »

Le projet de loi va à l’encontre de plusieurs dispositions inscrites dans les normes régionales et internationales relatives aux droits humains, ont fait valoir Human Rights Watch, Amnesty International et la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes. L’article 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantit à toute personne la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis sans distinction aucune, l’article 3 garantit à tous la totale égalité devant la loi, tandis que l’article 28 précise: « Chaque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discrimination aucune, et d'entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproques. »

En 1994, dans l’affaire Toonen c. Australie, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, dont l’interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) fait autorité et qui est chargé de surveiller son application par les États, a statué que les lois pénalisant les relations homosexuelles entre adultes consentants bafouaient les protections inscrites dans le Pacte en matière de vie privée et de discrimination. Or, le Nigeria a adhéré sans réserve au PIDCP en 1993.

« En tant qu’État le plus peuplé d’Afrique et en tant que leader mondial émergent, le Nigeria a une responsabilité particulière et se doit de regarder au-delà des valeurs étroites et spécifiques pour faire sienne une vision mondiale qui englobe les droits de tous ses citoyens », a indiqué Cary Alan Johnson, directeur exécutif de la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes. « Le Nigeria est un pays vaste et très divers. Les lesbiennes, gays, personnes bisexuelles et transgenres ont leur place dans cette riche diversité. »

Dans leur lettre, Human Rights Watch, Amnesty International et la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes ont mis l’accent sur les graves questions relatives aux droits humains que soulève le projet de loi:

  • L’objectif évident de cette nouvelle loi est de renforcer les sanctions déjà existantes pour les relations homosexuelles librement consenties entre adultes.
  • Le fait d’incriminer des personnes parce qu’elles « vivent ensemble comme mari et femme» élargit encore la cible de ces sanctions. Elles ne seraient plus limitées à des relations sexuelles entre personnes de même sexe, mais pourraient inclure la simple cohabitation ou toute «relation intime» homosexuelle présumée. La déclaration de culpabilité reposerait alors sur des preuves bien plus minces et les arrestations se fonderaient sur les préjugés et la suspicion. Selon les organisations, le droit de tous les Nigérians à la vie privée serait alors mis en péril.
  • Le projet de loi prévoit une condamnation à cinq ans de prison pour toute personne qui est témoin, aide ou soutient de quelque manière que ce soit une relation entre deux personnes de même sexe, sanction plus lourde que pour les personnes contractant «un mariage homosexuel». Cette disposition permettra de sanctionner toute personne qui apporte son aide ou des conseils à un couple homosexuel présumé, par exemple en les informant de leurs droits ou en approuvant leur relation. Les organisations de la société civile et les défenseurs des droits humains seraient alors des cibles faciles.
  • Aux termes du projet de loi, toute personne – nigériane ou étrangère – qui contracte une union homosexuelle ou entretient simplement une relation homosexuelle dans un autre pays et souhaite la poursuivre au Nigeria, peut faire l’objet de sanctions pénales lorsqu’elle foule le sol nigérian. Cette disposition confère à l’État des pouvoirs très étendus pour s’immiscer dans la vie privée des citoyens.

En 2006, le ministre de la Justice du Nigeria a présenté un projet similaire qui érigeait en infraction les mariages homosexuels, mais aussi le fait de défendre publiquement les personnes homosexuelles – et prévoyait donc de sanctionner les associations qui défendent les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Seize organisations de défense des droits humains nigérianes, africaines et internationales, ont condamné ce projet de loi qui bafoue les droits à la liberté d'expression, d’association et de réunion garantis par le droit international, notamment par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et qui compromet la lutte contre l’épidémie de VIH/sida dans le pays.

En effet, le Nigeria se place au troisième rang mondial en ce qui concerne le nombre de personnes infectées par le VIH/sida. Le projet de loi entraverait davantage les initiatives de prévention et d’éducation sur le VIH/sida, en condamnant à la clandestinité certains groupes touchés par l’épidémie, par crainte de violences. Dans son rapport pays sur le Nigeria de 2010, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a reconnu que la criminalisation de populations vulnérables, notamment d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, entrave les efforts déployés pour élargir l’accès aux services de prévention et de traitement en rapport avec le VIH/sida.En outre, le rapport ONUSIDA sur l’épidémie mondiale de sida (2010) notait que les obstacles à la prévention efficace en matière de VIH au Nigeria étaient les lois, les règlements et les politiques qui entravent l’accès au traitement, aux soins et à l’appui pour les groupes de populations vulnérables. Le projet de loi ne fera qu’exacerber ce problème.

La Déclaration politique sur le VIH/sida des Nations unies de 2011, adoptée lors de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur le sida au mois de juin, a estimé que «de nombreuses stratégies nationales de prévention du VIH ne sont pas adéquatement axées sur les populations dont les données épidémiologiques montrent qu’elles sont à haut risque, en particulier les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes». Selon les organisations, le projet de loi est en totale contradiction avec cette Déclaration.

Au Nigeria, les violences contre les lesbiennes, gays, personnes bisexuelles et transgenres sont fréquentes. En septembre 2008, plusieurs journaux nationaux ont publié des articles critiquant une Église chrétienne de Lagos qui accueillait ces personnes. Dans ces articles figuraient les noms, les adresses et les photographies des membres et du pasteur de la congrégation. Face aux actes de harcèlement et aux menaces de la police, l'Église a fermé ses portes et le pasteur a fui le pays. Certains membres de la congrégation ont perdu leur emploi et leur maison, et ont été contraints de se cacher. Plusieurs d’entre eux vivent toujours sous la menace de violences physiques et de harcèlement.

«Au Nigeria, la communauté LGBT est déjà isolée, marginalisée et privée de divers droits inscrits dans la Constitution du pays », a conclu Graeme Reid. « Si ce texte est adopté, le gouvernement nigérian cautionnera une discrimination et une violence accrues contre un groupe déjà vulnérable. Ce projet de loi et ses dispositions anticonstitutionnelles doivent être enterrés une bonne fois pour toutes. »

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