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« Paris doit envoyer un message fort au Caucase du Sud », par Giorgi Gogia

Le président Sarkozy devrait évoquer les droits humains lors de son voyage en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie

Publié dans: Le Monde

Tribune parue dans la rubrique « Idées » du Monde

On aimerait tant que le voyage éclair de Nicolas Sarkozy dans le sud du Caucase les 6 et 7 octobre soit l’occasion pour lui de placer les droits humains au cœur des discussions ! Les enjeux sont énormes dans cette région éminemment stratégique mais ô combien instable. Comme le reste de l’Europe, la France lorgne sur les réserves d’hydrocarbures de l’Azerbaïdjan et le réseau régional de pipelines pour assurer sa sécurité énergétique. Avec la découverte récente d’immenses réserves de gaz naturel en Azerbaïdjan, dont Total est partenaire à hauteur de quarante pour cent, le voyage de M. Sarkozy tombe à point nommé.

La France cherche également à jouer un rôle important dans la région sur le plan politique. M. Sarkozy a négocié la fin de la guerre qui opposait la Russie et la Géorgie en 2008 au sujet de la région séparatiste d’Ossétie du Sud. Ce fut un succès diplomatique pour lui et il figurera sans nul doute parmi ses arguments de campagne pour l’élection présidentielle. Paris est aussi la principale voix de l’Union Européenne au sein du Groupe de Minsk, chargé de négocier la résolution du plus ancien conflit de la région, qui oppose l’Azerbaïdjan à l’Arménie dans le Haut-Karabagh.

Mais il y a aussi eu des revers. Les troupes russes ont quitté depuis longtemps le territoire géorgien non-contesté, mais elles ne se sont toujours pas retirées d’Ossétie du Sud ni d’Abkhazie, l’autre région séparatiste géorgienne, comme le stipulait pourtant l’accord. Les négociations sur les principes de base de la résolution du conflit du Haut-Karabagh se sont soldées par un nouvel échec l’été dernier.

Si M. Sarkozy souhaite réellement faire la différence dans cette région, il devra user de toute son influence pour soulever les questions de droits humains directement auprès des présidents de chacun des trois pays dans lesquels il se rendra.

Son influence sera plus que jamais utile en Azerbaïdjan où le gouvernement a récemment emprisonné des opposants politiques, des militants des droits humains et des personnes actives sur les réseaux sociaux. Dans ce pays toujours, la capitale Bakou se refait une beauté, expulsant, expropriant et démolissant au passage des habitations illégalement, sans compensation adéquate pour les résidents. M. Sarkozy devrait intimer au président Ilham Aliyev de mettre fin à ces violations et de le faire rapidement, avant que ce bilan en matière de droits humains ne soit étalé au grand jour à l’occasion du concours de chansons de l’Eurovision, qui se tiendra à Bakou au mois de mai prochain.

En Arménie, le gouvernement a récemment libéré quelques prisonniers politiques pour améliorer son bilan en matière de droits humains, trois ans après les violences liées aux élections de 2008 et la répression policière qui s’en est suivi, mais il doit faire bien davantage : s’assurer que les élections de 2012 soient justes, promouvoir et non limiter la pluralité des médias audiovisuels et garantir que les nouvelles dispositions légales contre la diffamation ne soient pas détournées afin de faire taire les médias indépendants.

La Géorgie s’enorgueillit de son engagement en faveur de la démocratie et l’État de droit. Raison de plus pour le président français d’aborder les problèmes de droits de l’homme avec le président Mikheil Saakashvili. Tbilissi a énormément investi afin de réformer en profondeur un système policier corrompu, mais n’a pas enquêté de façon exhaustive sur l’usage abusif de la force par la police ces dernières années. De nouvelles lois adoptées à la suite d’une série de manifestations politiques permettent de maintenir des personnes trois mois en détention sans leur donner accès aux droits auxquels ils pourraient prétendre s’ils étaient accusés de crime. M. Sarkozy devrait dire à M. Saakashvili que ces lois incitent aux mauvais traitements et que c’est en amenant les policiers responsables d’abus à rendre compte de leurs actes, et non en favorisant l’impunité, que le gouvernement géorgien parviendra à restaurer la confiance de son peuple dans la police. Il devrait aussi rappeler que chacun a droit à l’égalité devant la loi.

Nicolas Sarkozy doit dire clairement aux dirigeants et aux peuples du Caucase du Sud que la bonne gouvernance et les droits humains sont tout aussi importants aux yeux de la France que le pétrole et le gaz. Il devrait souligner ce que la France a retenu du printemps arabe : défendre les droits, et non les régimes autoritaires, est la clé de la stabilité à long terme.

Giorgi Gogia est chercheur senior pour Human Rights Watch, basé à Tbilissi.

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