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Tunisie : Les autorités doivent mettre fin au recours excessif à la force et libérer les prisonniers politiques

Les forces de police tunisiennes ont tué des dizaines de manifestants depuis le 17 décembre

Rectificatif : Quelques heures après la diffusion de ce communiqué le 15 janvier, le président du Parlement Fouad Mebazaa, et non le Premier ministre Mohammed Ghannouchi, a été proclamé président par intérim par le Conseil constitutionnel.

(New York, le 15 janvier 2011) - Le Premier ministre Mohammed Ghannouchi, qui s'est autoproclamé président par intérim* de la Tunisie le 14 janvier 2011, après le départ du président Zine El Abidine Ben Ali, devrait immédiatement ordonner aux forces de sécurité de cesser le recours à une force létale injustifiable contre les civils et traduire en justice les personnes qui se sont rendues coupables de toute utilisation criminelle de la force, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le gouvernement par intérim devrait également commencer à libérer tous les prisonniers détenus pour des propos pacifiques ou des activités politiques pacifiques, a ajouté Human Rights Watch.

Les forces de police tunisiennes ont tué des dizaines de manifestants en tirant sur la foule dans les villes intérieures de Kasserine, Thala, Regueb, ainsi que dans la capitale, Tunis, au cours des violences politiques qui ont fait rage dans le pays depuis le 17 décembre 2010.

« Rien ne pourrait mieux signaler le changement réclamé par les Tunisiens que de mettre en place des mesures concrètes pour mettre fin à la répression sanglante, permettre aux citoyens d'exercer leurs droits de manière pacifique, et libérer les prisonniers politiques », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

Le gouvernement a indiqué que 23 Tunisiens sont morts lors des manifestations à ce jour. Toutefois, Sadok Mahmoudi de la branche de Kasserine de l'Union générale tunisienne du travail a déclaré à l'Agence France-Presse que 50 civils sont morts au cours des manifestations qui se sont déroulées dans les trois villes intérieures pour la seule période du 8 au 10 janvier. Mahmoudi a attribué ces chiffres à des sources au sein du personnel médical du principal hôpital de Kasserine.

Amnesty International a signalé que le 9 janvier la police a ouvert le feu à Kasserine sur des manifestants lors des obsèques d'un jeune de 17 ans qui avait été tué la veille, causant la mort de neuf personnes.

Le gouvernement a fait des déclarations soutenant que la police avait agi pour défendre les biens publics après que des manifestants aient mis le feu - selon la version officielle - à des bâtiments administratifs à Kasserine. Toutefois, le nombre de civils tués par armes à feu, et l'absence d'allégations selon lesquelles les manifestants ont commis des actes qui auraient exigé le recours à la force létale en réponse, jettent un doute grave sur l'affirmation des autorités que le recours à une force meurtrière était justifié, a remarqué Human Rights Watch.

Le 10 janvier, l'ex président Zine El Abidine Ben Ali a qualifié les manifestants de « terroristes » et a promis de sévir contre eux. Mais le 12 janvier le Premier ministre Mohammed Ghannouchi a annoncé que le gouvernement allait enquêter sur les incidents de violence et examiner les allégations des manifestants portant sur la corruption du gouvernement. Il a également déclaré que les personnes détenues lors des manifestations seraient libérées, à l'exception de celles dont il serait prouvé qu'elles étaient impliquées dans des actes de violence extrême, de destruction et de pillage.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois autorisent ceux-ci à utiliser seulement le degré de force nécessaire et proportionnel afin de protéger les biens et les personnes, et de ne recourir à la force létale intentionnelle que lorsque cela est strictement inévitable, pour protéger des vies humaines. Les Principes de base exigent que les gouvernements fassent en sorte que l'usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par des responsables de l'application des lois soit puni comme une infraction pénale.

Le départ du président Ben Ali n'innocente pas les agents des forces de sécurité qui ont tué des citoyens de manière injustifiée. À moins que le gouvernement intérimaire n'agisse rapidement pour enquêter sur ces incidents et pour exiger des comptes aux agresseurs, la communauté internationale devrait ouvrir sa propre enquête.


Le 12 janvier, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Tunis. La police a réagi avec violence, rouant de coups de nombreux manifestants et en arrêtant des dizaines. L'Agence France-Presse a rapporté que la police avait ouvert le feu et tué quatre personnes dans la nuit du 12 au 13 janvier.

Des dizaines de personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations au mois de décembre. Nombre d'entre elles ont maintenant été relâchées. Les autorités devraient immédiatement communiquer les noms, les localisations et les accusations pesant contre toute personne pouvant encore se trouver en garde à vue dans le cadre des événements récents, a insisté Human Rights Watch.


Sous le règne de Ben Ali, qui était président depuis qu'il s'était emparé du pouvoir en 1987, les autorités tunisiennes toléraient peu de dissidence, et des policiers en civil soumettaient souvent les activistes, les journalistes indépendants et les personnes qui s'exprimaient contre le gouvernement à des arrestations, des passages à tabac, du harcèlement et de la surveillance. Human Rights Watch ainsi que d'autres organisations ont documenté des actes de torture commis par la police sur des détenus. Dans tous les cas documentés par Human Rights Watch, aucune enquête effective sur les allégations d'abus commis par la police n'a été menée.

Dans un discours télévisé prononcé le 13 janvier, Ben Ali a promis de se retirer à l'issue de son cinquième mandat de cinq ans en 2014. Il a donné l'ordre à la police d'arrêter d'utiliser des balles réelles, sauf pour empêcher la perte de vies humaines. Il a promis une enquête « indépendante » sur les morts et les violations, et de déterminer les responsabilités « de toutes les parties sans exception ». Il s'est aussi engagé à permettre une plus grande liberté d'assemblée et une « liberté totale pour les médias avec tous leurs canaux et à ne pas fermer les sites Internet ».

Dans la matinée du 14 janvier, des manifestants qui se seraient comptés par milliers ont défilé dans le centre de Tunis, certains d'entre eux réclamant ouvertement le départ de Ben Ali. D'autres victimes de tirs de la police ont été signalées. Plus tard dans la journée, Ben Ali a dissous le gouvernement et appelé à des élections législatives dans les six mois.

Quelques heures plus tard, il a quitté le pays et le Premier ministre Ghannouchi a pris sa succession comme président par intérim, en invoquant l'article 56 de la constitution tunisienne. Ghannouchi a promis de mettre en œuvre dans le pays des réformes économiques, sociales et politiques pendant son mandat de président par intérim de la Tunisie. Human Rights Watch a exhorté Ghannouchi à ordonner une enquête impartiale et crédible sur les meurtres et les exactions qui ont eu lieu ces dernières semaines et à veiller à ce que leurs auteurs soient traduits devant les tribunaux.

Les manifestations ont commencé il y a quatre semaines pour protester contre le chômage et la pauvreté dans les régions intérieures du pays, mais les revendications se sont élargies pour inclure la fin de la corruption, de la répression exercée par la police et de l'impunité, ainsi que de la violence de l'État contre les citoyens. Les manifestations se sont étendues depuis la petite ville de Sidi Bouzid jusqu'à de nombreuses régions, et des avocats, des artistes, des militants de la société civile, des syndicalistes, des lycéens et des étudiants ont rejoint les jeunes et les chômeurs dans les manifestations.


« Arrêter l'usage de la force injustifiable, obliger les responsables à rendre des comptes et libérer les personnes emprisonnées pour leurs opinions ou propos politiques non-violents : voilà ce que doit faire le gouvernement afin de prouver aux Tunisiens qu'un véritable changement est en cours après des décennies de régime autoritaire », a conclu Sarah Leah Whitson.

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