(Dakar, le 16 novembre 2010) - Une coalition d'organisations de défense des droits humains a déclaré aujourd'hui que la réunion de bailleurs de fonds internationaux, prévue à Dakar le 24 novembre pour organiser le financement du procès de Hissène Habré, constitue une étape essentielle dans la longue campagne menée pour traduire l'ancien dictateur tchadien en justice.
Les procédures à l'encontre du dictateur en exil ont été suspendues pendant des années du fait de l'exigence du Sénégal de voir la communauté internationale verser l'intégralité du financement demandé. Les promesses de dons attendues lors de la réunion de mardi prochain devront atteindre approximativement le budget global présenté par l'Union africaine et l'Union européenne, fixé à US$ 11,7 millions (€8,59 millions). Le gouvernement sénégalais a par ailleurs annoncé qu'il entamerait les procédures préliminaires dès qu'il aurait reçu le financement.
« Après tant d'années de ténacité et de déceptions, les victimes de Hissène Habré peuvent enfin apercevoir le bout du tunnel », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui travaille avec les victimes. « Le Sénégal doit ouvrir une information judiciaire au plus vite, avant que d'autres survivants ne meurent. »
Habré est accusé de milliers d'assassinats politiques et de torture systématique alors qu'il dirigeait le Tchad entre 1982 et 1990, avant sa fuite au Sénégal. Inculpé au Sénégal en 2000 pour crimes contre l'humanité et actes de torture, la justice sénégalaise s'est ensuite déclarée incompétente pour le juger. Ses victimes se sont alors tournées vers la Belgique. A l'issue de quatre années d'enquête, un juge belge a délivré un mandat d'arrêt international en septembre 2005, mais la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar s'est également déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'extradition et les autorités sénégalaises ont alors consulté l'Union africaine. Le 2 juillet 2006, l'Union africaine a demandé au Sénégal de juger Hissène Habré "au nom de l'Afrique", ce que le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a accepté. Pourtant, depuis près de quatre ans, le Sénégal avait refusé d'entamer les démarches nécessaires au procès tant qu'il ne recevrait pas de la communauté internationale un financement estimé, selon les autorités sénégalaises, à 27 millions d'euros.
Suite à de longues négociations, l'Union africaine et l'Union européenne ont présenté une proposition conjointe de budget de €8.59 millions. Ce budget est basé sur une estimation de la durée de l'instruction à vingt mois et du procès à cinq mois. L'Union africaine, l'Union européenne, la Belgique, le Tchad, les Pays-Bas et les Etats-Unis ont déjà annoncé des contributions significatives au procès, tandis que d'autres donations sont attendues.
Le procès se tiendra selon les règles du système judicaire sénégalais, mais la poursuite de crimes de masse commis par un ancien chef d'Etat d'un pays étranger nécessite l'application de règles particulières en matière de responsabilité pénale internationale, ont affirmé HRW, l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH), la Rencontre Africaine pour le Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) basée à Dakar, et la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH). Les organisations ont ainsi appelé le Sénégal et l'Union africaine à conclure rapidement un accord concernant la protection des victimes et témoins, les immunités pour les témoins impliqués et la diffusion des audiences au Tchad.
Le Sénégal a affirmé qu'il ne voulait en aucun cas gérer les fonds destinés au procès. Selon le plan de financement, les contributions seront donc déposées sur un compte bancaire géré par l'Union africaine. Un Comité de Gestion composé des représentants du Sénégal, de l'Union africaine, de l'Union européenne et des principaux donateurs supervisera la gestion des fonds.
« Le procès équitable de Habré au Sénégal pourrait marquer un tournant historique dans la lutte pour que les auteurs d'atrocités en Afrique soient enfin tenus pour responsables de leurs actes», a déclaré Alioune Tine, Président de la RADDHO.
Les organisations ont également rappelé que l'un des enjeux majeurs pour optimiser l'impact du procès de Habré est d'en assurer l'accès au peuple tchadien, qui est le plus concerné par cette affaire. Une partie du budget sera donc consacrée à la sensibilisation, la diffusion de l'information dans la presse, et les activités extra-judiciaires liées au procès.
« Organiser le procès de Habré dans un lieu situé à des milliers de kilomètres de ses victimes et du pays qu'il a dirigé demande un programme de sensibilisation significatif afin que le procès soit accessible et compris par les Tchadiens, qu'il enrichisse leur propre appréhension du passé et qu'il satisfasse leur volonté de justice », a conclu Dobian Assingar, Président d'honneur de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme et représentant de la FIDH.