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France : Rejeter le projet de loi anti-Roms

Le Parlement doit abandonner les dispositions problématiques du projet de loi sur l’immigration

(Paris, le 27 septembre 2010) - Le Parlement français doit rejeter les mesures d'un projet de loi fourre-tout sur l'immigration qui s'avère viser les Roms et réduire les droits des migrants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'Assemblée Nationale doit commencer à débattre de ce projet de loi présenté par le gouvernement le 28 septembre 2010.

Le projet de loi, dont l'objet consiste officiellement à transposer trois directives de l'Union Européenne, contient des amendements apportés à la dernière minute par le gouvernement afin d'élargir les motifs d'expulsion des citoyens européens. Ces motifs comprendraient désormais les abus commis à l'encontre du système d'assistance sociale français, les profits tirés de la mendicité de tiers et l'occupation abusive de terrains. La moment choisi et l'orientation de ces amendements ainsi que les déclarations de ministres laissent fortement penser que ces mesures visent les Roms.

« Il est choquant que le gouvernement français agisse en faveur de mesures qui visent clairement les Roms à l'heure où la Commission européenne menace la France de poursuites en justice pour les expulsions de Roms conduites cet été, » a déclaré Judith Sunderland, experte de Human Rights Watch pour l'Europe occidentale. « Ces mesures ont des relents de populisme exercé à l'encontre du peuple aujourd'hui le plus discriminé et le plus vulnérable d'Europe. »

Le projet de loi prévoit par ailleurs :

  • La création de zones d'attente flottantes spécialement conçues pour la détention de groupes récemment arrivés;
  • La déchéance de la citoyenneté acquise en cas de condamnation pour certains crimes;
  • La réduction des droits des migrants détenus et
  • Des règles plus strictes pour les demandeurs d'asile effectuant leur demande à la frontière sans l'introduction d'appels suspensifs dans le cadre de la procédure de demande d'asile «prioritaire».

Tel qu'il est rédigé, le projet de loi rend possible l'expulsion de citoyens européens dont le séjour en France constitue un « abus de droit » tels que ceux qui renouvellent leur séjour de trois mois afin de rester en France sans pour autant remplir les conditions nécessaires à un séjour de longue durée et ceux qui restent en France afin de bénéficier du système d'assistance sociale, notamment en matière d'hébergement d'urgence. Cette mesure serait applicable aux citoyens européens présents en France depuis moins de trois mois.

Le ministre de l'immigration Éric Besson a annoncé des amendements de dernière minute lors d'une conférence de presse, le 30 août, à l'occasion de laquelle le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux s'est empressé de souligner l'augmentation des délits commis par les Roumains à Paris ces dix-huit derniers mois. Affirmant que le gouvernement n'avait pas vocation à stigmatiser quelque groupe sue ce soit, M. Hortefeux a évoqué une certaine « ...réalité, celle qui peut être constatée par n'importe quel citoyen lorsqu'il voit des femmes et des enfants passer des journées entières à mendier dans des conditions épouvantables, pour rapporter leur butin à un donneur d'ordre resté à l'abri ou au pays ! »

En vertu de la réglementation européenne sur la liberté de circulation, les citoyens de l'Union Européenne peuvent séjourner dans un autre pays de l'UE sans condition pour trois mois. Pour un séjour de longue durée, les personnes doivent avoir un emploi, être auto-employées ou disposer des moyens suffisants pour vivre sans devenir un fardeau pour le système de d'assistance sociale du pays d'accueil. Mais la principale directive européenne sur la liberté circulation, qui date de 2004, établit spécifiquement que l'expulsion ne devrait pas être  « une conséquence automatique ... du recours au système d'assistance sociale de l'Etat membre d'accueil. »

Le projet de loi vise également à accroître la possibilité d'expulser les étrangers considérés comme représentant une menace à l'ordre public, notamment aux personnes passibles de poursuites pour certain délits, dont le trafic de drogues, la traite d'êtres humains, les profits tirés de la prostitution de tiers, l'exploitation de la mendicité, certaines formes de vol aggravé et l'occupation abusive de terrains au sens de la loi de 2000 régissant les sites destinés aux gens du voyage.

La loi européenne sur la liberté de circulation autorise l'éloignement de citoyens européens représentant « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société de l'État membre d'accueil. » Ce seuil de tolérance très élevé a été confirmé par la Cour de justice européenne. Fin août, un tribunal de Lille a rejeté l'argument du gouvernement français selon lequel vivre dans un campement non autorisé suffisait à justifier une expulsion au motif de la sécurité publique.

« Qualifier la mendicité organisée et la construction de maisons de fortune sur des terrains publics ou privés de grave menace à l'ordre public revient seulement à jouer sur la peur et les préjugés à l'encontre des Roms », a déclaré Judith Sunderland. « Le Parlement doit rejeter ces disposition. »

Les débats autour du projet de loi sur l'immigration se dérouleront avec, en toile de fond, une campagne estivale fortement relayée dans les médias de démantèlement des campements informels et l'éloignement du territoire français de Roms originaires de Bulgarie et de Roumanie. D'après les chiffres du gouvernement, 1 700 Roumains et Bulgares auront été eloignés entre le 28 juillet et fin septembre. Dans le cadre de son plan de démantèlement de 300 camps illicites d'ici la fin de l'année, les autorités avaient déjà expulsé les Roms d'au moins 128 camps à la fin du mois d'août. Sur l'ensemble de l'année 2009, seulement 580 citoyens de l'ensemble des autres pays européens avaient été éloignés selon les statistiques officielles.

La Commission européenne devrait décider très rapidement si la France a violé les lois européennes sur la libre circulation et la Charte européenne des droits fondamentaux. Des inquiétudes se sont fait jour quant au fait que ces éloignements, que le gouvernement qualifie pour un grand nombre de « volontaires » en contrepartie du versement d'une somme en liquide, n'aient pas respecté les garanties procédurales, dont la nécessaire évaluation de la situation individuelle d'une personne, la proportionnalité d'une ordonnance d'éloignement et la possibilité de remettre en cause la décision devant un tribunal. Le projet de loi présenté au Parlement ne requiert pas explicitement la réalisation de cette évaluation par les autorités lorsqu'elles décident d'éloigner un citoyen de l'UE.

D'autres dispositions troublantes
Le projet de loi autoriserait par ailleurs le gouvernement à créer des « zones d'attente » ad hoc avec le but de détenir légalement et traiter rapidement les demandes d'asile d'un groupe de dix étrangers ou plus qui seraient entrés en France sans passer par un point d'entrée frontalier établi. En janvier, un groupe de plus de 100 demandeurs d'asile est arrivé en Corse en bateau. Les autorités françaises ont été forcées de les libérer après que les juges aient déclaré leur détention illégale. Les zones d'attente, qui existent déjà au niveau des points frontaliers et dans les aéroports français, s'appuient sur une fiction légale qui permet au gouvernement de traiter une personne comme si elle était encore en dehors du pays. Les personnes détenues dans ces zones d'attente ont moins de droits et font l'objet de déportations rapides.

Les recherches de Human Rights Watch ont permis de prouver que des enfants non accompagnés étaient détenus aux côtés d'adultes dans des zones d'attente en France et ont été déportés vers des pays qu'ils n'avaient fait que traverser ou vers leur pays d'origine sans aucune considération quant à la capacité de leurs parents ou des services de protection de l'enfance de leur pays à s'occuper d'eux à leur retour.

Human Rights Watch a déclaré que ce projet de loi aurait pour effet de banaliser la détention des demandeurs d'asile, d'accélérer l'examen de leurs demandes et de donner aux autorités une trop grande latitude pour décider à quel moment les personnes détenues dans ces zones de transit sont informées de leurs droits et à partir de quand elles peuvent commencer à les exercer. La directive « Retour » de l'Union européenne permet aux États Membres de suspendre les règles de détention des immigrés pour un temps limité seulement, lorsqu'un « nombre exceptionnellement élevé » de migrants irréguliers « fait peser une charge lourde et imprévue » sur les autorités.

« Les zones d'attente existantes sont déjà un désastre en termes de droits, surtout en ce qui concerne les enfants non accompagnés et les demandeurs d'asile, » a déclaré Judith Sunderland. « La création de zones mobiles leur rendra encore plus difficile la recherche de la protection dont ils ont besoin. »

Le seul article de ce projet qui porte sur les procédures d'asile est destiné à clarifier les bases du rejet de la demande d'un individu qui souhaiterait entrer en France afin d'y demander asile. Le projet de loi ne résout pas l'absence de recours suspensif pour les demandeurs d'asile présents sur le territoire français dont la demande est traitée en vertu de la procédure accélérée, dite « prioritaire », malgré les récentes recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture et du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et de plusieurs amendements proposés par les partis d'opposition et un député de l'UMP, le parti majoritaire de M. Sarkozy. Human Rights Watch a fait campagne aux côtés d'Amnesty International France et de l'ACAT France en faveur de la réforme de la procédure prioritaire.

En réaction aux émeutes de Grenoble en juillet, qui ont vu les policiers essuyer des tirs d'armes à feu, le gouvernement a amendé le projet de loi afin d'y inclure la déchéance de la citoyenneté pour les individus condamnés pour homicide volontaire ou involontaire d'agents de la fonction publique, qu'il s'agisse de représentants des forces de l'ordre, de pompiers ou de juges. Le droit français prévoit déjà pour les personnes naturalisées la possibilité d'être déchue de leur citoyenneté française en cas de condamnation pour un délit commis à l'encontre des intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, ce qui facilite leur expulsion subséquente vers leur pays de citoyenneté de naissance, où ils n'ont peut-être jamais eu ou n'ont plus aujourd'hui aucun lien social ou familial digne de ce nom.

Le projet de loi retarderait par ailleurs l'examen de la rétention de migrants par un juge spécialisé des 48 heures actuellement à cinq jours, limiterait la portée de cet examen, augmenterait la durée maximale de rétention de 32 à 45 jours et permettrait d'interdire aux personnes expulsées du territoire français toute forme de retour en France ou dans aucun autre des 24 pays concernés par les accords de « Schengen » sur la liberté de circulation, pour des périodes allant jusqu'à cinq ans.

Les groupes de protection des droits humains et la Commission nationale consultative sur les droits de l'Homme ont averti que l'ensemble de ces dispositions allaient vraisemblablement donner lieu à des violations des droits humains. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a exprimé son inquiétude de voir l'interdiction de retour dans l'espace Schengen affecter sérieusement la possibilité de ceux qui ont besoin d'un asile de bénéficier de la protection de l'Europe.

 

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