(Beyrouth, le 16 septembre 2010) -Les autorités judiciaires libanaises s'abstiennent généralement d'exiger des comptes aux employeurs qui violent les droits fondamentaux des employées domestiques migrantes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le gouvernement devrait adopter un plan visant à garantir que ces employées peuvent compter sur les tribunaux libanais pour protéger leurs droits, a ajouté Human Rights Watch.
Le rapport de 54 pages, « Without Protection: How the Lebanese Justice System Fails Migrant Domestic Workers » (« Sans protection : Comment le système judiciaire libanais exclut les employées domestiques migrantes »), examine 114 décisions de la justice libanaise touchant des employées domestiques migrantes. Le rapport constate que le manque d'accès à des mécanismes de plainte, la lenteur des procédures judiciaires et l'aspect restrictif des politiques relatives aux visas dissuadent de nombreuses travailleuses de déposer plainte ou d'engager des poursuites contre leurs employeurs. Même quand des travailleuses déposent des plaintes, les autorités de police et judiciaires omettent régulièrement de traiter comme des délits certains abus dont elles sont victimes.
« En fermant les yeux sur les violations subies par les employées domestiques, la police et le système judiciaire libanais se rendent complices des violations persistantes commises par les employeurs à l'encontre de ce groupe vulnérable », a déclaré Nadim Houry, directeur de Human Rights Watch à Beyrouth. « Enfermer une personne ou la frapper est un délit, quelle que soit l'identité de la victime. »
Parmi les 114 cas examinés pour le rapport, Human Rights Watch n'a pu trouver un seul exemple où un employeur ait été mis en accusation pour avoir enfermé des travailleuses dans des domiciles, confisqué leurs passeports ou leur avoir refusé de la nourriture, alors même que ces violations de la loi sont monnaie courante. Les familles libanaises emploient quelque 200 000 travailleuses domestiques migrantes, dont la plupart sont originaires du Sri Lanka, d'Éthiopie, des Philippines et du Népal.
Les plaintes déposées par ces travailleuses contre leurs employeurs traînent souvent dans les tribunaux pendant des mois, et parfois des années. Cette situation ne fait qu'accabler davantage les travailleuses, parce que les politiques restrictives du Liban en matière de visas font qu'il leur est difficile de rester dans ce pays pour continuer leurs poursuites judiciaires. Human Rights Watch a examiné 13 plaintes déposées par ces travailleuses contre leurs employeurs, et a constaté qu'il fallait en moyenne 24 mois pour que ces plaintes soient traitées. Le traitement des plaintes pour salaires impayés a même duré entre 21 à 54 mois. Même les plaintes simplifiées déposées devant des tribunaux du travail ont mis 32 mois en moyenne pour être traitées. En vertu du système de kafeel (parrainage), une travailleuse domestique qui quitte son employeur - même pour déposer plainte - perd le droit de vivre au Liban et risque la détention et l'expulsion.
Souvent, les cas de violence physique contre des employées domestiques migrantes ne recueillent pas suffisamment d'attention de la part de la police et des procureurs. Dans un cas remontant à 2005, la police a attendu 21 jours après avoir reçu une plainte à propos d'un employeur qui battait une employée de maison, avant d'ouvrir une enquête a ce sujet. Un examen des rapports de police dans de nombreux cas de violence contre ces travailleuses montre que souvent dans les enquêtes sur ces cas, la police ne pose aux employeurs que des questions générales et accepte leurs déclarations comme véridiques sans les recouper avec celles d'autres témoins potentiels.
Si les autorités ont engagé des poursuites dans certains cas où des employées domestiques migrantes avaient été sévèrement battues, ces cas restent rares et n'ont entraîné que des peines légères. Dans une affaire largement commentée, une cour pénale libanaise a condamné un employeur à une peine de prison le 9 décembre 2009, pour avoir frappé à maintes reprises une employée de maison philippine. Toutefois, la peine prononcée n'était que de 15 jours. À la connaissance de Human Rights Watch, la condamnation la plus sévère pour avoir battu une employée domestique a été d'un mois de prison. Cette peine a été prononcée par une cour pénale le 26 juin 2010, contre un employeur qui avait battu à maintes reprises une employée domestique sri lankaise tout en la contraignant à rester enfermée dans la maison.
Même les employeurs qui tuent leurs employées domestiques s'en sortent souvent avec des peines légères. Dans une affaire datant de 1999, une cour pénale a condamné un employeur qui a battu à mort une domestique sri lankaise à seulement un an et demi d'emprisonnement.
« Ces verdicts sont un petit pas dans la bonne direction, mais ne représentent qu'une simple tape sur les doigts », a indiqué Nadim Houry. « Les autorités doivent veiller à ce que les employeurs coupables d'exactions à l'encontre des travailleuses domestiques reçoivent des sanctions appropriées à l'infraction et pouvant servir de moyen de dissuasion pour les autres employeurs. »
Human Rights Watch a documenté de nombreuses violations des règles de procédure et du droit à un procès équitable dans des affaires où des travailleuses domestiques migrantes étaient accusées d'un délit, en général de vol. Sur les 84 affaires pénales contre des travailleuses domestiques examinées par Human Rights Watch, 37 travailleuses - 44 pour cent du total - n'avaient pas d'avocat pour assurer leur défense. La plupart - au moins 57 des 84 cas examinés - devaient aussi faire face à des procédures judiciaires et de police sans l'aide de traducteurs certifiés, malgré le fait que nombre d'entre elles ne parlent pas l'arabe couramment. Les interprètes ont été rares, même dans les cas où l'employée était accusée d'un crime grave.
Le rapport a également constaté la détention préventive généralisée des travailleuses domestiques migrantes accusées de crimes. Au moins 76 pour cent des travailleuses dans les cas examinés - 64 sur les 84 - ont été détenues avant le procès. La plupart de celles qui ont finalement été déclarées non coupables avaient été détenues lors du procès pendant trois mois en moyenne avant d'être relâchées, mais quatre d'entre elles au moins avaient passé plus de huit mois en prison avant qu'un tribunal ne les déclare non coupables.
« Les travailleuses domestiques se retrouvent trop souvent en prison sur la base d'accusations portées par leurs employeurs, sans bénéficier de l'assistance d'un avocat ou d'un traducteur », a expliqué Nadim Houry. « Elles méritent la même présomption d'innocence et les mêmes garanties de procédure équitable que tout le monde. »
Malgré les récentes déclarations de responsables libanais, y compris les ministres de l'Intérieur et du Travail, selon lesquelles ils veulent améliorer le traitement des employées domestiques migrantes, l'action du gouvernement s'est limitée à des initiatives de réformes réduites, comme par exemple un contrat de travail unique obligatoire pour ces employées instauré en janvier 2009. Le gouvernement s'est également abstenu de mettre en place des mécanismes efficaces pour le contrôle des lieux de travail des employées domestiques migrantes.
Human Rights Watch a appelé les autorités libanaises à :
- Élaborer un plan national visant à accroître la probabilité que les plaintes contre les employeurs pour des crimes commis contre les travailleuses domestiques migrantes aboutissent à des poursuites judiciaires ;
- Adopter une loi instaurant un mécanisme simplifié de résolution des conflits afin de régler les différends de salaire entre les employeurs et les travailleuses migrantes en temps opportun ;
- Fournir aux employées domestiques migrantes qui sont victimes de mauvais traitements, ou bien sont accusées d'un délit, un accès à l'aide juridique et à des interprètes certifiés ;
- Mettre en œuvre des programmes de formation pour les policiers, les agents d'immigration et les juges afin d'identifier et de traiter les plaintes d'employées domestiques migrantes relatives à des abus ; et
- Réformer le système de parrainage des visas afin que les visas d'employées domestiques ne soient plus liés à des garants individuels, et que celles-ci puissent déposer plainte sans craindre d'être détenues ou expulsées.