(Paris, le 12 septembre 2010) - Alors que le débat sur le projet de loi sur l'immigration va débuter à l'Assemblée nationale mercredi 15 septembre, la Commission des lois doit impérativement amender le texte pour interdire les renvois de demandeurs d'asile avant la fin de l'examen de leur demande, ont déclaré aujourd'hui ACAT-France, Amnesty International France et Human Rights Watch.
Des amendements, déposés par plusieurs députés de la majorité comme de l'opposition réformeraient la procédure « prioritaire » en permettant à tous les demandeurs d'asile de rester légalement sur le territoire français pendant toute la durée de la procédure d'examen de leur demande.
« Aujourd'hui, des milliers de demandeurs d'asile sont menacés d'être renvoyés dans leur pays d'origine avant même que leur demande ait été définitivement examinée », a déploré Florence Boreil, responsable du programme Asile à l'ACAT-France. « La Commission doit saisir l'opportunité du projet de loi pour garantir un examen effectif des demandes d'asile et protéger les demandeurs contre des renvois vers des pays où ils risqueraient d'être persécutés. »
En 2009, plus de 22% des demandes d'asile - soit 8 632 sur un total de 38 803 - tombaient sous le coup de la procédure « prioritaire », y compris des demandes de réexamen basées sur de nouvelles informations. Selon cette procédure, l'Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA), un organe gouvernemental, doit statuer sur une demande en 15 jours au lieu de 114 jours en moyenne.
Certes, en cas de rejet, cette procédure permet le dépôt d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), une juridiction indépendante mais, après la décision initiale, le demandeur peut être renvoyé vers son pays à tout moment. Depuis juin 2007, s'il est renvoyé avant son audience devant la Cour, sa situation ne peut plus être examinée par celle-ci.
« Un système d'asile qui n'offre qu'une seule chance est injuste et dangereux », a déclaré Judith Sunderland, chercheuse senior au sein de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Tous les ans, la CNDA accorde une protection à des milliers de personnes dont la demande a été initialement rejetée par l'OFPRA. »
En 2009, la CNDA a accordé le droit d'asile à plus de cinq mille personnes dont la demande avait été rejetée par l'OFPRA ; le taux d'accord était de 14,3%, au niveau de l'OFPRA et de 29,4% après révision des décisions par la CNDA. Ainsi, la CNDA assurait plus de 50% des protections reconnues en France.
Le droit à un recours devant la CNDA qui suspende toute mesure d'éloignement est fondamental pour éviter le renvoi d'un réfugié potentiel vers les menaces de persécutions qu'il a fuies. C'est une condition indispensable pour garantir une procédure d'asile juste et crédible. A de nombreuses reprises, les instances internationales de protection des droits de l'homme ont mis en garde la France contre les conséquences irréparables d'erreurs d'appréciation de l'OFPRA chargé d'examiner une demande d'asile. Ces instances exigent que les demandeurs ne soient pas renvoyés tant que leur demande n'a pas été entièrement examinée, recours compris.
« La procédure d'asile est destinée à protéger les personnes contre un risque de persécution en cas de renvoi. En France, la procédure prioritaire prévoit exactement l'inverse puisqu'elle institutionnalise ce risque en privant les personnes d'un recours effectif devant un juge spécialisé », a observé Jean-François Dubost, responsable du programme Réfugiés et Migrants à Amnesty International France.
Contexte
- Dans le cadre de la procédure prioritaire, contrairement à la procédure d'asile normale, les demandeurs d'asile sont simplement tolérés sur le territoire français jusqu'à la décision de l'OFPRA sans disposer d'une autorisation de séjour. Ils sont exclus du dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile et ne reçoivent aucune aide sociale. Ils ne perçoivent donc aucune allocation pour se nourrir, se loger, s'habiller ou se déplacer, ce qui a un impact négatif significatif sur leur capacité à mener à bien leur demande.
- La procédure prioritaire, en place depuis le début des années 90, est utilisée pour les demandeurs venant de pays placés par la France sur une liste de « pays d'origine sûrs », pour ceux considérés comme une menace à l'ordre public, et ceux dont la demande est considérée comme frauduleuse, abusive ou seulement destinée à empêcher la mise en œuvre d'une mesure d'éloignement.
- La procédure prioritaire est souvent utilisée lorsqu'un débouté demande le réexamen de sa situation par l'OFPRA sur la base de nouvelles informations. Enfin, tombent également sous le coup de cette procédure les personnes qui demandent l'asile en rétention administrative en instance d'éloignement.
- Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Commissaire européen aux droits de l'homme, et le Comité des droits de l'homme des Nations Unies ont régulièrement exprimé des inquiétudes face à la procédure prioritaire de la France en recommandant la mise en place d'un recours suspensif. Lors de son examen du rapport présenté par la France, en mai 2010, le Comité contre la torture des Nations Unies s'est dit « préoccupé du fait que 22% des demandes d'asile présentées en 2009 auraient été traitées sous la procédure dite prioritaire, qui n'offre pas de recours suspensif...le Comité n'est pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture ».