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Rwanda : Les autorités devraient permettre à Human Rights Watch de poursuivre son travail

Le gouvernement refuse d’accorder un visa à une chercheuse travaillant sur les droits humains dans un contexte de répression de toute voix critique

(New York, le 23 avril 2010) - La décision du gouvernement rwandais de refuser un visa de travail à la représentante de Human Rights Watch à Kigali est symptomatique d'une tendance accrue de réprimer la liberté d'expression au Rwanda avant les élections présidentielles prévues au mois d'août, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Human Rights Watch compte faire recours contre cette décision et poursuivre son travail sur les droits humains au Rwanda.

« Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à une véritable tentative de museler toute voix critique », a déploré Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement rwandais fait tout pour réduire au silence les voix indépendantes avant les élections. »

Le 23 avril 2010, des agents de la Direction générale de l'Immigration ont informé Carina Tertsakian, chercheuse senior à Human Rights Watch sur le Rwanda, qu'un visa de travail ne lui sera pas accordé sous le motif qu'il y avait des anomalies dans sa demande, notamment dans les signatures et les dates indiquées sur les documents présentés.

Les responsables du siège de Human Rights Watch à New York avaient attesté par écrit de l'authenticité de tous les documents et des signatures, mais les agents de l'immigration ont soutenu que leurs explications n'étaient « pas satisfaisantes ». Toutefois, ces agents  n'ont pas cherché à contacter le siège de Human Rights Watch ni les personnes dont les signatures étaient contestées.

Les agents de l'immigration ont refusé de transmettre leur décision par écrit. Ils ont informé Mme Tertsakian, qu'en tant que citoyenne britannique, elle ne serait pas autorisée à prolonger la durée légale de son séjour, qui est de 90 jours et dont le délai expire le 24 avril.

Mme Gagnon s'est rendue à Kigali la semaine du 19 avril pour tenter de rencontrer les autorités rwandaises à ce sujet. Le directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth, a adressé une lettre personnelle au président Paul Kagame pour lui faire part de façon détaillée des préoccupations concernant le traitement de la demande de visa de Mme Tertsakian, en lui réaffirmant que tous les documents présentés dans la première et la deuxième demande étaient authentiques. Les agents de l'immigration rwandaise pour leur part n'ont pas répondu aux demandes de rencontre adressées par Mme Gagnon.

Human Rights Watch a commencé à travailler sur les questions relatives aux droits humains au Rwanda avant le génocide de 1994. Toutefois, au cours des deux dernières années, le gouvernement rwandais a entravé de plus en plus le travail de l'organisation. En septembre et décembre 2008, le gouvernement a refusé à deux reprises l'entrée dans son territoire à feue Alison Des Forges, une experte renommée sur le Rwanda et conseillère principale de Human Rights Watch sur la région des Grands Lacs. Au cours des dernières semaines, les discours du gouvernement rwandais à l'encontre des organisations des droits humains se multiplient et les hautes autorités ciblent Human Rights Watch particulièrement pour les critiques publiques acerbes. En outre, les articles hostiles à Human Rights Watch sont de plus en plus nombreux dans les médias progouvernementaux.

Contexte

Rejet de la demande de visa de travail

Carina Tertsakian, une ressortissante britannique, est arrivée au Rwanda le 25 janvier 2010 et a obtenu un visa de travail. Le 3 mars, elle fut interpellée par les agents de l'immigration sur les documents relatifs à sa demande de visa qui évoquèrent une date erronée et des prétendues différences dans les signatures de ses collègues sur les documents. Les agents ont ensuite confisqué son passeport et l'ont convoquée le lendemain de nouveau, avant de la soumettre à une nouvelle série d'interrogatoires concernant une fois de plus des dates et des signatures.

Le 8 mars, Mme Tertsakian a été officiellement convoquée par le service des enquêtes criminelles de la police (Criminal Investigations Department) pour comparaître le lendemain. La police lui a déclaré qu'elle était soupçonnée de faux et usage de faux, avant de l'interroger sur les mêmes points que ceux soulevés par les agents de l'immigration. Avant cet entretien, Human Rights Watch avait déjà adressé à partir de son siège deux lettres aux autorités, confirmant l'authenticité de tous les documents. Mais, apparemment, les agents n'ont pas tenu compte de ces correspondances.

Le 10 mars, les agents de l'immigration ont retourné à Mme Tertsakian son passeport, mais son visa de travail avait été révoqué. Les agents ont refusé de fournir par écrit une explication de cette révocation et lui ont indiqué qu'elle pouvait présenter une deuxième demande de visa.

Le 16 mars, Mme Tertsakian déposa une deuxième demande accompagnée d'une déclaration notariée du directeur juridique de Human Rights Watch attestant de l'authenticité de tous les documents. Elle a attendu plus d'un mois avant de recevoir la réponse des services de l'immigration alors que le délai habituel de traitement de ce type de demandes est de trois jours. Les agents de l'immigration rwandaise lui ont communiqué le refus de visa le 23 avril, la veille de l'expiration de son séjour légal au Rwanda.

Répression de la liberté d'expression

Ce cas particulier s'inscrit dans un contexte d'intolérance croissante à l'égard de toute forme de contestation ou de voix critiques en cette période pré-electorale.

Les membres des partis d'opposition ont fait l'objet de harcèlement, de menaces et d'intimidations. Deux des nouveaux partis d'opposition, les Forces démocratiques unies (FDU) - Inkingi et le Parti démocratique vert du Rwanda ont été empêchés de s'enregistrer et ont été confrontés à maintes reprises à des manœuvres d'obstruction de la part des autorités. Les réunions du Parti démocratique vert du Rwanda et du PS-Imberakuri (un autre parti d'opposition) ont été interrompues à plusieurs reprises, parfois de façon violente. Le PS-Imberakuri a finalement réussi à se faire enregistrer, mais est depuis lors sous le contrôle de « membres dissidents » qui selon de nombreux observateurs seraient manipulés par le Front patriotique rwandais (FPR, parti au pouvoir) pour museler le président du parti Bernard Ntaganda. M. Ntaganda lui-même a été convoqué devant le Sénat à la fin de l'année 2009 pour répondre à des accusations portant sur « l'idéologie génocidaire ». Il n'a pas été inculpé. Toutefois, en avril 2010, les membres de la commission politique du Sénat ont déclaré que ces accusations étaient bien fondées.

Victoire Ingabire, la présidente des FDU-Inkingi, a été interrogée par la police à six reprises depuis février 2010 (elle est retournée au Rwanda en janvier 2010 après de nombreuses années en exil), paralysant ainsi les activités de son parti. En mars, la police l'a arrêtée à l'aéroport et lui a interdit de voyager. Le 21 avril, elle a été arrêtée et accusée d'« idéologie génocidaire », de « divisionnisme » et de collaboration avec des groupes terroristes, y compris les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé actif en République démocratique du Congo, composé en partie de personnes qui ont pris part au génocide de 1994. Ingabire a été libérée sous caution le 22 avril, mais n'est pas autorisée à quitter le pays ou la capitale, Kigali. Une campagne publique a été menée sans cesse à son encontre dans les médias progouvernementaux qui parlaient essentiellement de ses déclarations publiques dans lesquelles elle a critiqué le gouvernement et demandé justice pour les massacres de Hutus par le FPR.

Les journalistes ont également été confrontés à de nombreux problèmes dans l'exercice de leurs fonctions. Le parquet a engagé des poursuites contre deux journaux indépendants, Umuseso et Umuvugizi, accusés de diffamation, un délit passible d'emprisonnement. Les deux cas sont actuellement en appel. Le 13 avril, le Haut Conseil des Médias, un organisme progouvernemental chargé de réglementer les médias, a suspendu ces deux journaux pendant six mois. Umuseso et Umuvugizi sont parmi les rares médias indépendants qui restaient au Rwanda. Ils ont publié tous les deux des articles critiquant le gouvernement.

D'une façon plus générale, Human Rights Watch a constaté que de nombreux Rwandais ne peuvent pas exprimer ouvertement leurs opinions. Les personnes qui critiquent le gouvernement ou ses politiques risquent d'être qualifiées d'opposants ou d'être de connivence avec les partis d'opposition ou avec des personnes soupçonnées de vouloir renverser le gouvernement ou encore d'être accusées d'« idéologie  génocidaire », un crime vaguement défini et passible de 10 à 25 ans d'emprisonnement.

Après des années d'intimidation de militants de la société civile, il ne reste que très peu d'organisations indépendantes de défense des droits humains au Rwanda. Les associations qui y sont encore pour documenter les violations des droits humains sont constamment confrontées à des menaces et des obstacles. Par exemple, lors de la campagne pour les élections législatives de 2008, la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs (LDGL) a été empêchée d'exercer pleinement sa mission à titre d'observatrice du scrutin et a été attaquée par la Commission électorale nationale avant même la publication de son rapport. Les membres de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l'homme (LIPRODHOR), une organisation de défense des droits humains, ont également été victimes de graves menaces pendant plusieurs années. Ces attaques ont obligé beaucoup de leurs principaux membres à quitter le pays pour leur sécurité, laissant ainsi derrière eux une organisation fortement affaiblie.

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