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Rwanda : Les attaques contre les partis de l’opposition doivent cesser

Les actes d’intimidation à l’égard des opposants politiques se multiplient à l’approche de l’élection présidentielle

(Kigali, le 9 février 2010) - Les membres des partis de l'opposition sont la proie d'un nombre croissant de menaces, d'agressions et d'actes de harcèlement à l'approche de l'élection présidentielle prévue en août 2010 au Rwanda, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'organisation de défense des droits humains a exhorté le gouvernement à ouvrir des enquêtes sur tous ces incidents et à faire en sorte que les militants de l'opposition soient en mesure de vaquer sans crainte à leurs occupations légitimes.

La semaine dernière, des membres des FDU-Inkingi et du Parti démocrate vert du Rwanda - deux nouveaux partis de l'opposition qui portent un regard critique sur les politiques gouvernementales - ont été victimes de graves actes d'intimidation commis par des personnes et institutions proches du gouvernement et du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR). L'un des membres des FDU-Inkingi a été passé à tabac par un groupe de personnes devant le bureau des autorités locales. L'agression semble avoir été bien coordonnée, donnant à penser qu'elle avait été planifiée au préalable.

« Le gouvernement rwandais contrôle déjà étroitement l'espace politique », a expliqué Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Ces incidents ne feront que miner davantage la démocratie en décourageant toute opposition digne de ce nom de participer aux élections. »

Le gouvernement rwandais et le FPR ont farouchement résisté à toute opposition politique ou à toute remise en question plus large de leurs politiques par la société civile. À diverses occasions, le gouvernement s'est servi d'accusations de participation au génocide, ou d' « idéologie génocidaire », pour prendre pour cible ses détracteurs et les discréditer. Le gouvernement actuel, dominé par le FPR, est au pouvoir au Rwanda depuis la fin du génocide de 1994.

Victoire Ingabire, présidente des FDU-Inkingi, fait l'objet d'une campagne publique soutenue de diffamation depuis son retour d'exil aux Pays-Bas en janvier 2010. Elle a été largement condamnée dans les médias officiels et quasi officiels, et qualifiée de « négationniste » du génocide pour avoir déclaré publiquement que les crimes commis contre les citoyens hutus par le FPR et l'armée rwandaise devraient faire l'objet d'enquêtes et que les responsables devraient être traduits en justice.

Passage à tabac de Joseph Ntawangundi Le 3 février, Ingabire a reçu un appel téléphonique du secrétaire exécutif du secteur de Kinyinya, Jonas Shema, qui lui a dit qu'elle devrait se rendre avec ses collègues au bureau de secteur pour aller chercher des documents officiels nécessaires pour la délivrance de leurs cartes d'identité. Lorsque Ingabire et Joseph Ntawangundi, un collègue de son parti, sont arrivés devant le bureau de secteur, ils se sont retrouvés face à un groupe de personnes. Deux hommes ont bousculé Ingabire, l'ont attrapée par les bras et lui ont volé son sac à main qui contenait son passeport. Les agresseurs ont crié : « Nous ne voulons pas de génocidaires ici ! » et « Nous ne voulons pas de gens à l'idéologie génocidaire ! » Ingabire est parvenue à s'enfuir et à rejoindre sa voiture saine et sauve ; certains de ces hommes ont lancé des pierres sur la voiture au moment où elle a démarré.

Les hommes s'en sont alors pris à Ntawangundi, le passant sauvagement à tabac. Ce dernier a expliqué à Human Rights Watch que pendant 45 minutes environ, il a été pris à partie par plusieurs dizaines de jeunes qui lui ont asséné des coups de poing et de pied, l'ont griffé, l'ont jeté en l'air et ont déchiré ses vêtements. Ils lui ont volé sa montre, ses lunettes et ses chaussures. L'agression semble avoir eu pour but non seulement de blesser Ntawangundi, mais également de l'humilier. À un moment donné, six personnes au moins l'ont maintenu en l'air, les jambes écartées, et l'ont emmené vers un arbre. Elles l'ont insulté et l'ont invectivé plus ou moins en ces termes : « On ne veut plus de vous ! Vous n'avez pas droit à une carte d'identité ! »

L'attaque semble avoir été bien organisée. À diverses reprises, lorsque les coups devenaient particulièrement brutaux, des individus qui semblaient être les meneurs ont ordonné aux autres d'arrêter - par exemple, lorsque les agresseurs ont ramassé chacun une pierre sur un tas par terre et s'apprêtaient à les lancer sur Ntawangundi.

Plusieurs témoins ont confié à Human Rights Watch que des policiers et des membres de la Force de défense locale étaient présents lors de l'attaque mais n'ont pas cherché à y mettre fin - Shema, le secrétaire exécutif, ne s'étant apparemment pas davantage donné la peine d'appeler de l'aide.

Finalement, avertis de l'attaque par d'autres membres des FDU-Inkingi, des policiers de la station de police voisine sont intervenus. La foule a suivi Ntawangundi jusqu' à la station de police et est restée là une dizaine de minutes. La police affirme avoir ouvert une enquête mais a refusé de fournir quelque information que ce soit sur les progrès de l'enquête ou sur de possibles arrestations.

Lorsque des représentants de Human Rights Watch se sont entretenus avec Ntawangundi le lendemain du passage à tabac, il souffrait visiblement de ses blessures et éprouvait de la peine à marcher. Bien que des analgésiques lui aient été administrés lorsqu'il s'est rendu à l'hôpital pour recevoir des soins, il a expliqué que ses reins, son dos et sa tête restaient douloureux.

Le gouvernement rwandais et les autorités policières ont offert une version différente des faits, affirmant que des habitants de Kinyinya qui attendaient depuis longtemps pour obtenir leurs documents d'identité s'étaient fâchés et avaient réagi spontanément lorsque Ingabire et son collègue avaient prétendument cherché à passer avant leur tour. Cette version a été largement diffusée par les médias rwandais et internationaux.

Lors d'une conversation téléphonique avec Human Rights Watch, le porte-parole de la police Éric Kayiranga a minimisé l'incident, déclarant toutefois que la police menait son enquête. Human Rights Watch a tenté à diverses reprises de prendre contact avec Shema, le secrétaire exécutif de Kinyinya, mais il était injoignable.

Arrestation de Joseph Ntawangundi
Trois jours plus tard, le 6 février, la police a arrêté Ntawangundi à la suite d'accusations de participation au génocide. Elle lui a annoncé qu'une juridiction gacaca, tribunal local mis sur pied pour juger les crimes perpétrés pendant le génocide, l'avait reconnu coupable par contumace. Il a tout d'abord été placé en détention à la station de police de Remera, à Kigali, sans être informé des chefs d'inculpation précis retenus contre lui. Son avocat rwandais n'a pas été autorisé à le voir le 6 février mais un avocat étranger a pu lui rendre visite le lendemain. Il a été transféré à la prison de Kimironko le 8 février.

Les FDU-Inkingi ont déclaré que Ntawangundi vivait à l'étranger au moment du génocide et qu'il n'avait jamais entendu parler des accusations portées contre lui avant le jour de son arrestation, lorsqu'un article reprenant ces allégations avait été publié dans le New Times, un journal rwandais fidèle à la ligne du gouvernement.

Intimidation de membres du Parti vert
Lors d'un autre incident survenu le 4 février, le président du Parti vert, Frank Habineza, parlait avec un membre du parti dans un restaurant de Kigali lorsqu'un homme qu'Habineza ne connaissait pas s'est approché et l'a salué par son nom. L'homme, qui a refusé de dévoiler son identité, a demandé à Habineza de le recruter au sein du Parti vert.

L'homme a ensuite demandé à Habineza pourquoi il rejetait ceux qui l'avaient aidé (faisant allusion aux liens qu'Habineza entretenait antérieurement avec le FPR) et pourquoi il passait du temps avec Ingabire. Il a averti Habineza qu'on le surveillait et « qu'ils » savaient ce qu'il faisait et qui il voyait. L'homme a fourni des détails précis sur les rendez-vous qu'Habineza avait eus et prévoyait d'avoir. Il lui a dit : « Nous te surveillons de très près. Fais attention. » L'identité de l'homme n'est toujours pas connue mais ses commentaires indiquent qu'il pourrait avoir des liens étroits avec le gouvernement.

« Cette multiplication des attaques contre les membres des partis de l'opposition ne présage rien de bon pour l'élection », a souligné Georgette Gagnon. « Le gouvernement rwandais devrait sans délai ouvrir des enquêtes sur ces incidents, traduire les responsables en justice et veiller à ce que l'ingérence dans les activités des partis de l'opposition cesse. »

Contexte
Les opposants et les détracteurs du gouvernement ne cessent d'être confrontés à des menaces et à des obstacles à leur activité politique légitime au Rwanda.

En 2009, plusieurs meetings du Parti vert et du PS-Imberakuri - autre parti de l'opposition - ont été dispersés par la police, parfois violemment. Depuis lors, ces deux partis ont du mal à obtenir l'autorisation officielle d'organiser des meetings. Les partis politiques doivent être officiellement agréés avant de pouvoir présenter des candidats aux élections et certains actes d'intimidation semblent avoir eu pour but d'entraver ces procédures. Le PS-Imberakuri a fini par obtenir son agrément en novembre. Le Parti vert n'y est pas encore parvenu, en dépit de plusieurs tentatives. Les membres du Parti vert ont été en butte à des pressions pour qu'ils renoncent à leurs activités politiques et certains ont reçu des appels téléphoniques anonymes demandant des informations à propos d'Habineza et de ses projets de déplacement.

Fin 2009, Bernard Ntaganda, président du PS-Imberakuri, a été convoqué devant le Sénat pour répondre d'accusations d' « idéologie génocidaire » en rapport avec des déclarations publiques qu'il avait faites critiquant le gouvernement. L'affaire Ntaganda est toujours à l'examen devant le Sénat, lequel a indiqué que le dossier pourrait être renvoyé aux fins de poursuites pénales.

Les activités de l'opposition politique avaient également fait l'objet de sévères restrictions lors des élections législatives de septembre 2008, à l'occasion desquelles les candidats du FPR avaient remporté 79 pour cent des voix. Les observateurs de l'Union européenne avaient relevé des irrégularités procédurales dans plus de la moitié des bureaux de vote, la domination du FPR dans les médias, ainsi que l'absence de pluralité politique, due en partie à la crainte d'accusations d' « idéologie génocidaire ».

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