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Canada / Afghanistan : Le gouvernement canadien devrait ouvrir une enquête sur le transfert de détenus vers l'Afghanistan

Le témoignage d'un diplomate canadien fait état de tortures subies par ces détenus en Afghanistan

(New York, le 27 novembre 2009) - Le gouvernement canadien devrait mener une enquête publique complète sur les allégations de torture des prisonniers remis au gouvernement afghan par les forces canadiennes entre 2006 et 2007, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

La semaine dernière, le diplomate canadien de haut rang Richard Colvin, qui était en poste en Afghanistan de 2006 à 2007, a affirmé dans le cadre d'un témoignage devant un comité de la Chambre des communes que des prisonniers transférés aux autorités afghanes par les forces canadiennes en Afghanistan au cours de cette période avaient probablement été torturés. M. Colvin a ajouté avoir averti son gouvernement à maintes au sujet des mauvais traitements infligés aux détenus afghans. Toutefois, selon son témoignage, ses avertissements furent ignorés dans un premier temps par les hauts fonctionnaires du gouvernement canadien avant qu'il ne soit par la suite sommé de « se taire et de faire ce qu'on nous  a demandé de faire ».

En vertu de la Convention contre la torture ratifiée par le Canada en 1987, les États ont l'obligation de prévenir les actes de torture, d'ouvrir des enquêtes à leur sujet, ainsi que de poursuivre en justice et de punir leurs ressortissants complices ou impliqués dans de tels actes . Le transfert de prisonniers  au gouvernement d'un pays où il est avéré que ces détenus risquent d'être torturés peut équivaloir à une complicité dans leur torture.

« Les Canadiens ont le droit de savoir si leur gouvernement a transféré des détenus vers un autre pays tout en sachant qu'ils risquaient d'y être torturés », a déclaré Joanne Mariner, directrice du programme Terrorisme et contre-terrorisme à Human Rights Watch. « Les allégations à la fois crédibles et alarmantes de Richard Colvin méritent l'ouverture d'une enquête sérieuse. »

D'après Human Rights Watch, le témoignage de M. Colvin sur la torture en Afghanistan est étayé par d'abondantes preuves indépendantes. Cela fait déjà plusieurs années que les groupes de défense des droits humains locaux et internationaux travaillant en Afghanistan expriment leurs préoccupations concernant la torture et les mauvais traitements infligés par les forces de sécurité afghanes.

Human Rights Watch avait constaté dans un rapport de  mars 2004 que les personnes détenues dans les prisons afghanes vivaient dans de « mauvaises conditions et [que] certains prisonners ont subi des actes de torture et d'autres sévices graves ».

Dans un rapport de 2009 qui s'appuie sur les informations recueillies en 2006 et 2007, la Commission indépendante afghane des droits humains (Afghanistan Independent Human Rights Commission, ou AIHRC)a conclu que « la torture et les autres traitements cruels, inhumains et dégradants sont une pratique courante dans la majorité des établissements de police ». Le rapport décrit les méthodes utilisées en Afghanistan, notamment « les coups de poing, les coups de pied, les gifles, les actes d'humiliation, la flagellation par câble ou encore les chocs électrique, entraînant parfois une perte de connaissance voire la mort de la victime ».

Le bilan en matière de droits humains de la Direction nationale de la sécurité (DNS) qui avec la Police nationale afghane a été responsable de l'accueil  des détenus transférés par les forces canadiennes, est particulièrement déplorable. La DNS, qui a succédé au Khadamat-e-e Etela'at Dawlati (KHAD) de l'ère soviétique, est la principale agence de renseignement du gouvernement afghan. Le gouvernement afghan tout comme les bailleurs de fonds internationaux dont le Canada n'ont pas entrepris de sérieux efforts en faveur d'une réforme de la DNS, malgré sa longue tradition connue de torture et d'autres violations des droits humains.

Dans une lettre adressée au secrétaire général de l'OTAN en 2006, Human Rights Watch avait souligné que la DNS était une « institution opaque et abusive, ne devant de comptes à aucune autre autorité et  qui continue d'être régie par des lois dépassées, promulguées pendant l'époque communiste en Afghanistan ».  Cette lettre avait ajouté que la DNS « exploite des centres de détention qui ne répondent pas aux normes internationales relatives au traitement des détenus ».

Outre la demande d'ouverture d'une enquête approfondie sur les allégations de M. Colvin, Human Rights Watch a critiqué l'attitude des responsables canadiens qui ont contesté de façon agressive la crédibilité et l'intégrité du diplomate.

« Les responsables canadiens semblent s'en prendre au messager plutôt que de traiter le problème sous-jacent de complicité dans les exactions à l'endroit des détenus », a observé Mme Mariner. « Cette attitude nuit à la réputation du Canada en tant que nation apte à défendre les droits humains et constitue un exemple déplorable dans le traitement des personnes qui osent dénoncer des pratiques abusives. »

Human Rights Watch a également exprimé ses préoccupations concernant l'inefficacité des dispositions relatives au traitement humain des prisonniers, contenues dans le protocole d'accord entre le Canada et l'Afghanistan qui régit les transferts de détenus. Selon ce protocole, le gouvernement canadien devrait veiller sur le bien-être des détenus qu'il remet au gouvernement afghan. Toutefois le Canada n'assure pas le suivi individuel pour chaque détenu, arguant que c'est l'AIHRC et le Comité international de la Croix-Rouge qui sont à même de surveiller le traitement des prisonniers dans les centres de détention afghans, tout en sachant pertinemment que ces organisations n'ont pas toujours un accès facile à tous les centres de détention afghans.

« Nous avons vu dans d'autres cas comme celui de la déportation de Maher Arar vers la Syrie que les garanties théoriques ne font rien pour protéger les détenus contre la torture et les mauvais traitements », a rappelé Mme Mariner. «Trop souvent, elles n'existent que pour la forme afin de donner l'impression de prévenir les abus. »

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