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I. Introduction

II. Arguments en faveur d'une chambre mixte

III. Base juridique

    A. Possibles instruments de création

       1. Loi nationale et besoin de coopération régionale

       2. Accord avec les Nations Unies

       3. Conseil de sécurité de l'ONU

    B. Localisation de la chambre au sein du système judiciaire

    C. Compétence matérielle et temporelle

    D. Mandat : Identifier les cibles de la chambre

IV. Participation internationale

    A. Constitution des dossiers : Procureurs, juges d'instruction, enquêteurs

    B. Unité spécialisée dans les violences sexuelles

    C. Procès : Les magistrats

    D. Greffe

    E. Défense

V. Renforcement des capacités/partage d'expertise

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

I. Introduction

Human Rights Watch a travaillé en étroite et intense collaboration avec le système judiciaire congolais de diverses manières, notamment en fournissant des documents et des éléments de preuve aux procureurs militaires et civils, par notre présence à des procès en tant qu'observateur, en participant à des conférences nationales qui avaient pour but de discuter les réformes du secteur judiciaire, et en œuvrant aux côtés de partenaires congolais pour représenter les victimes de crimes. Sur la base de cette expérience, nous avons étudié les avantages que présenterait la création d'une « chambre mixte » - institution judiciaire nationale incluant dans un premier temps du personnel international - au Congo. L'objectif de ce mécanisme serait de contribuer à traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'actes de génocide perpétrés en République démocratique du Congo. Lors d'un atelier sur la justice qui s'est tenu en 2004 à Kinshasa à l'initiative de la Commission européenne, d'autres bailleurs de fonds et du Ministère de la Justice Congolais, des organisations non gouvernementales (ONG) congolaises, des experts juridiques et autres personnes concernées ont proposé ce modèle en tant que mécanisme chargé d'établir les responsabilités dans les crimes graves commis au Congo. Ce document cherche à encourager la poursuite de cette réflexion et à dégager des pistes concernant la façon dont ce type de mécanisme pourrait être mis sur pied.

Dans ce document, nous présentons les arguments en faveur d'une chambre mixte, la base juridique sur laquelle elle pourrait reposer, les modalités possibles de participation internationale, et nous formulons des suggestions relatives au renforcement des capacités et de l'expertise au sein du système judiciaire congolais. Sur la base de cette analyse, Human Rights Watch recommande la création d'un comité d'experts congolais et de représentants de la société civile qui pourrait étudier les questions techniques entourant la création d'une chambre mixte. Ce comité, qui pourrait être convoqué par la Commission Permanente de Réforme du Droit Congolais (CPRDC), pourrait également prendre des dispositions en vue de la création de ladite chambre, en étroite collaboration avec les autorités.

II. Arguments en faveur d'une chambre mixte

Actuellement, les tribunaux militaires congolais sont compétents pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les actes de génocide, même si ces crimes ne sont pas clairement définis dans le code pénal militaire actuel.[1] Le projet de loi visant à mettre en œuvre le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) dans le droit national congolais n'a pas encore été adopté par le parlement congolais mais une fois ce texte approuvé, ces crimes relèveront alors de la compétence des tribunaux civils.

Juger ce type de crimes s'avère complexe pour un certain nombre de raisons. Les auteurs peuvent être des individus qui ont occupé ou occupent encore des postes élevés et ont du pouvoir. Poursuivre des individus qui pourraient avoir ordonné le crime plutôt que de l'avoir commis en personne ou qui sont responsables en vertu de leur responsabilité de commandement est une tâche ardue. En effet, l'expérience internationale montre qu'il faut une expérience considérable en matière d'enquêtes et de stratégie de poursuites pour prouver le lien entre les actes commis sur le terrain et les ordres ou l'assentiment émanant des supérieurs. La participation d'experts internationaux qui savent comment gérer des enquêtes, des poursuites et des procès criminels complexes peut dès lors se révéler capitale là où l'exposition à ce type d'affaires et l'expérience qu'elles exigent sont plus limitées au niveau national, comme c'est le cas au Congo. Tout aussi cruciales sont la capacité d'organiser des procédures judiciaires qui apportent des garanties en matière de procès équitable, sans ingérence politique, ainsi que la capacité de protéger les témoins et le personnel judiciaire.

Bien qu'au cours des dernières années, les tribunaux militaires congolais se soient montrés extrêmement novateurs en appliquant le Statut de Rome directement et bien qu'ils aient jugé d'importantes affaires de crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui ont créé des précédents importants, l'appareil de justice militaire n'en demeure pas moins une institution présentant des faiblesses. À ce jour, presque toutes les poursuites se sont concentrées sur des accusés de rang intermédiaire ou inférieur ; très rares ont été les actions intentées contre de hauts responsables de l'armée et du gouvernement. Les systèmes judiciaires civils et militaires manquent cruellement de moyens et sont rongés par l'ingérence politique. Une sérieuse réforme judiciaire s'avère indispensable pour s'attaquer à ces problèmes ; ce processus, qui est en cours, pourrait prendre des années. 

La mise en place d'une chambre mixte au sein du système judiciaire congolais avec le soutien d'experts judiciaires internationaux - basée principalement sur le modèle de la Chambre pour les crimes de guerre de Bosnie-Herzégovine (CCG)[2] - pourrait procurer au système judiciaire national l'élan dont il a besoin pour s'attaquer à l'impunité endémique dont bénéficient les auteurs des crimes les plus graves. La participation d'experts internationaux ayant l'expérience de dossiers complexes (de crimes de guerre, crimes contre l'humanité) serait temporaire et se focaliserait sur le soutien à apporter pendant une phase de transition tandis que l'appareil judiciaire congolais passe par une période de réforme.

III. Base juridique

Cette section décrit les éléments juridiques liés à l'établissement de la chambre. Vous trouverez ci-après une analyse succincte des options qui s'offrent pour la création de la chambre, sa localisation au sein du système judiciaire congolais, sa compétence temporelle et matérielle, ainsi que des personnes qui devraient constituer ses cibles principales.

A. Possibles instruments de création

Afin d'être pleinement intégrée dans le système judiciaire congolais, la chambre mixte devrait être instaurée en vertu d'une loi nationale. Il est également possible que les Nations Unies (ONU) jouent un rôle officiel dans la mise en place de ce mécanisme. Ces options sont examinées ci-après.

La question de la traduction en justice des ressortissants étrangers est un point important à prendre en compte au moment de définir la base juridique de la chambre mixte. Les auteurs des crimes commis au Congo pendant les deux guerres (1996-1997 et 1998-2003) comptent dans leurs rangs des ressortissants d'autres pays, notamment du Rwanda, de l'Angola, de l'Ouganda et du Zimbabwe. Cependant, de nombreux pays, dont le Rwanda et l'Angola, interdisent l'extradition de leurs citoyens.[3] La façon dont la chambre est établie, ainsi que l'étendue du soutien régional et international dont bénéficieront ses activités, auront un impact sur sa capacité à surmonter cet obstacle juridique.

1. Loi nationale et besoin de coopération régionale

Afin que la chambre mixte soit véritablement intégrée dans le système judiciaire congolais, il faudrait l'établir en adoptant une loi nationale, comme ce fut le cas pour la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie.  L'article 149 de la Constitution congolaise dispose que « la loi peut créer des juridictions spécialisées ». Cette nouvelle loi préciserait la composition ainsi que les activités de la chambre mixte et elle définirait notamment la participation des experts internationaux. Ladite loi pourrait être intégrée au projet de loi actuel de mise en œuvre du Statut de la CPI qui n'a pas encore été adopté par le parlement (exigeant dès lors uniquement l'adoption d'une seule loi) ou elle pourrait constituer une loi séparée.

L'établissement de la chambre mixte en vertu d'une loi nationale renforcerait le caractère congolais de sa création et ne requerrait pas une participation officielle de l'ONU. Néanmoins, en tant qu'institution purement nationale, cette chambre ne pourrait résoudre le problème de l'interdiction d'extrader prévue dans les législations nationales de pays tels que le Rwanda et l'Angola.

Toutefois, une coopération régionale affirmée contribuerait à relever les défis associés à la traduction en justice de ressortissants étrangers. Il s'agirait en l'occurrence de conclure des accords avec d'autres pays, définissant la coopération dans les affaires judiciaires et les poursuites (en établissant par exemple des procédures pour recueillir les éléments de preuve, de partage des dossiers et d'application des décisions judiciaires). La Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs possède déjà un cadre visant à mettre un terme à l'impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les actes de génocide et pourrait contribuer à faciliter cette coopération régionale.[4] En outre, l'Union africaine pourrait jouer un rôle important pour imposer aux autres États africains de coopérer avec la chambre mixte.[5]

Un soutien régional renforcé serait important pour faire en sorte que, chaque fois que cela s'avèrera possible, les ressortissants étrangers soupçonnés d'avoir commis des crimes relevant de la compétence de la chambre soient extradés pour être traduits en justice. Dans le cas de suspects dont l'extradition est interdite par la loi de leur pays d'origine, une coopération régionale renforcée dans le domaine judiciaire - par exemple par le partage de dossiers d'instruction - pourrait contribuer à faire en sorte que ces auteurs présumés soient amenés à répondre de leurs actes dans le pays dont ils ont la citoyenneté.

2. Accord avec les Nations Unies

La chambre mixte pourrait également être créée par le biais d'un accord entre les Nations Unies et le gouvernement congolais, comme ce fut le cas pour le Tribunal spécial pour la Sierra Leone.[6] Contrairement à la CCG de Bosnie, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone opère en dehors du système judiciaire national et, par conséquent, il mettra un terme à ses activités lorsqu'un verdict final aura été prononcé dans les affaires dont il traite actuellement.

Selon ce modèle, la chambre pourrait être habilitée à rendre des arrêts contraignants pour le gouvernement congolais, comme cela a été le cas pour le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Officialiser le soutien de l'ONU à la chambre par le truchement d'un accord consensuel présenterait un avantage supplémentaire, celui de renforcer la visibilité de la chambre sur la scène internationale, ce qui pourrait encourager le soutien financier et politique continu de ses activités. En tant que tribunal établi sur la base d'un traité, elle n'aurait toutefois pas le pouvoir de résoudre le problème de l'interdiction légale d'extrader tel que présenté ci-dessus. Par ailleurs, une participation internationale importante dans la création de la chambre risquerait de miner le caractère national de l'institution. Si ce modèle venait à être adopté, il conviendrait d'étudier la possibilité d'intégrer ultérieurement la chambre dans le système judiciaire national au moyen d'une loi afin de préserver le caractère national et la viabilité de l'institution après le départ du personnel international.

3. Conseil de sécurité de l'ONU

Même si la chambre était établie par les autorités congolaises en vertu d'une loi nationale, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait adopter une résolution en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, obligeant les États membres à coopérer avec la chambre, notamment sur le plan de l'arrestation et de la remise de suspects.[7] Dans ce cas, il faudrait montrer que l'absence de coopération constitue une menace réelle pour la paix et la sécurité internationales, exigence qui n'est pas facile à satisfaire.

Le fait que le Conseil de sécurité investisse la chambre de pouvoirs en vertu du Chapitre VII procurerait à cette dernière la base juridique dont elle a besoin pour résoudre tout problème d'interdiction nationale en matière d'extradition. Le soutien du Conseil de sécurité pourrait également offrir à la chambre un poids politique important pour s'assurer la coopération des États voisins. Par exemple, les situations de non-coopération pourraient être transmises au Conseil afin qu'il prenne des mesures supplémentaires qui, théoriquement, pourraient comprendre des sanctions.

 

B. Localisation de la chambre au sein du système judiciaire

La chambre mixte devrait être basée au sein de l'appareil judiciaire civil. Il s'agit effectivement d'une exigence à la fois de la constitution congolaise et des normes acceptées au niveau international.[8] Par ailleurs, le projet de loi de mise en œuvre du Statut de Rome de la CPI, actuellement à l'examen au parlement, confère aux tribunaux civils la compétence de juger les crimes qui sont du ressort de la CPI. Néanmoins, le système judiciaire civil congolais a ses propres faiblesses et en comparaison avec le système judiciaire militaire, il souffre d'un manque d'expertise en matière de répression de ces crimes. L'intégration d'une chambre mixte au sein de l'appareil judiciaire civil n'exclut pas une participation ou une consultation de responsables de la justice militaire, tels que des procureurs militaires ayant acquis une expérience considérable dans le domaine des enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

La situation exacte de la chambre mixte au sein des tribunaux civils reste à déterminer. Une possibilité serait de créer la chambre mixte au niveau d'un tribunal de grande instance, lequel aurait la primauté pour juger les affaires qui relèvent de la compétence de la chambre. Selon ce modèle, le tribunal de grande instance pourrait être basé en permanence dans un endroit tout en ayant la possibilité d'être « mobile » afin de tenir certains procès plus près du lieu où les crimes ont été commis. 

Si ce modèle venait à être appliqué, il conviendrait d'examiner attentivement comment il pourrait être fait appel des décisions de la chambre mixte. La CCG de Bosnie, par exemple, dispose de sa propre division d'appel où siègent des juges internationaux (voir plus loin). Il est important de veiller à ce que des enquêtes, des poursuites et des procès bien menés ne soient pas annulés en appel en raison d'une ingérence politique ou d'un manque d'expertise.[9] 

Une autre possibilité serait de situer la chambre mixte au niveau de certaines ou de toutes les cours d'appel (au niveau provincial), comme le propose actuellement le projet de loi de mise en œuvre du Statut de Rome de la CPI. Étant donné qu'il existe aujourd'hui 11 cours d'appel (et il devrait y en avoir 23 d'ici 2010), il pourrait s'avérer nécessaire d'installer la chambre mixte de façon stratégique dans quelques provinces seulement de façon à limiter les coûts. Par ailleurs, cette option requerrait d'identifier un organe judiciaire additionnel, compétent pour connaître des appels émanant de la chambre mixte.

C. Compétence matérielle et temporelle

La chambre mixte devrait avoir la primauté pour connaître des affaires concernant les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les actes de génocide - en utilisant les définitions de ces crimes énoncées dans le Statut de Rome - relevant de la compétence des tribunaux congolais.[10] Le point de départ de la compétence temporelle de la chambre devrait être déterminé par les décideurs politiques en concertation avec la société civile. Une proposition pourrait être de lui donner pour date initiale mars 1993 afin de la faire coïncider avec l'exercice de cartographie réalisé par le Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme avec l'appui du gouvernement congolais. Cet exercice visait à recueillir des informations sur les exactions les plus graves perpétrées au Congo entre mars 1993 et juin 2003. La compétence temporelle de la chambre mixte pourrait s'étendre au-delà de cette date afin de connaître des crimes qui continuent d'être commis jusqu'à ce jour.

La chambre pourrait juger toutes les personnes ayant commis des crimes relevant de sa compétence sur le territoire congolais, y compris les ressortissants étrangers.

D. Mandat : Identifier les cibles de la chambre

La chambre mixte devrait poursuivre les « personnes qui portent la plus grande part de responsabilité » dans la commission de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'actes de génocide. Elle devrait se focaliser en priorité sur les hauts responsables politiques ou militaires mais elle pourrait également viser d'autres personnes qui se trouvent plus bas dans la chaîne de commandement mais peuvent être considérées comme « portant la plus grande part de responsabilité » à en juger par la gravité des crimes commis ou leur  ampleur.[11] Cela permettrait dès lors de jouir d'un certain degré de flexibilité afin de pouvoir poursuivre des responsables de rang inférieur qui sont, par exemple, soupçonnés d'avoir commis des crimes particulièrement atroces, notamment des crimes de violence sexuelle, à l'encontre d'un grand nombre de victimes. Cela permettrait également de poursuivre des subalternes si cela s'avère nécessaire pour la stratégie globale en matière de poursuites. 

IV. Participation internationale

Il est indispensable de recruter du personnel international qualifié et consciencieux pour travailler à la chambre. Nous décrivons brièvement ci-dessous comment a fonctionné la participation internationale dans les contextes bosniaque et sierra-léonais. Outre le fait d'identifier l'expertise nécessaire pour les postes concernés, l'idéal serait que les membres du personnel jouissent d'une expérience dans le domaine du renforcement des capacités et de la transmission de compétences. Il s'agirait de prêter attention aux programmes (et au personnel) existants qui offrent une assistance au secteur judiciaire congolais, tels que le programme actuel de la Commission européenne intitulé REJUSCO (Programme de Restauration de la Justice à l'Est du Congo).

Il conviendrait également d'étudier dès le départ des critères précis qui, lorsqu'ils seront remplis, amorceront le retrait progressif du personnel international. En Bosnie, par exemple, il a été décidé dès le début de supprimer progressivement la composante internationale dans un délai de cinq ans à dater du commencement des activités de la CCG. Bien que ce délai arbitraire ait, à juste titre, été critiqué, l'établissement d'un mécanisme de transition dès le début s'est révélé important pour veiller à préserver le caractère national de l'institution.

A. Constitution des dossiers : Procureurs, juges d'instruction, enquêteurs

L'expérience de la CCG bosniaque montre que l'inclusion temporaire de personnel international (par exemple des procureurs) expérimenté dans la conduite d'enquêtes judiciaires complexes peut contribuer à réduire le problème de l'impunité et à protéger les procédures contre les ingérences politiques. En Bosnie, où bon nombre de procureurs nationaux étaient perçus, souvent à juste titre, comme ayant des préjugés à caractère ethnique, la participation de procureurs internationaux s'est avérée capitale pour promouvoir la confiance de la population dans le système judiciaire.[12]         

Les connaissances qu'offrent les enquêteurs et procureurs nationaux à propos des causes historiques à la base du conflit et des crimes commis, conjuguées à leur expertise en matière de procédures et de droit pénal congolais, en font des acteurs précieux au sein de la chambre mixte. Il est dès lors indispensable de promouvoir une réelle collaboration entre le personnel national et international afin que la chambre travaille efficacement (voir chapitre V).

B. Unité spécialisée dans les violences sexuelles

La promotion de la lutte contre l'impunité pour les violences sexuelles endémiques commises lors du conflit armé, principalement contre des femmes et des filles, devrait constituer une priorité pour la chambre mixte. Dans ce type d'affaires, la constitution de dossiers est particulièrement compliquée. Dès lors, pour que la répression des crimes de violence sexuelle aboutisse, la chambre devra vraisemblablement compter sur une expertise complémentaire, éventuellement fournie par le canal d'une unité spécialisée au sein du parquet, chargée d'enquêter sur ces crimes. Ceci, pour plusieurs raisons. Les éléments de preuve matériels, tels que ceux rassemblés dans un « kit de viol », peuvent jouer un rôle déterminant pour prouver le crime mais ils sont rarement disponibles au Congo. Les enquêteurs et les procureurs doivent donc être au courant de techniques permettant de rassembler des preuves supplémentaires, directes ou indirectes, afin de constituer un dossier pouvant donner lieu à des poursuites lorsque les preuves matérielles font défaut. Par ailleurs, compte tenu de la nature délicate du crime, les enquêteurs et les procureurs doivent avoir reçu une formation leur permettant de s'adresser à un témoin en se montrant sensible à sa culture et à son genre pour éviter tout traumatisme supplémentaire et pouvoir juger correctement de sa crédibilité.

C. Procès : Les magistrats

Les juges internationaux ont joué un rôle très précieux tant au sein du Tribunal spécial pour la Sierra Leone que de la Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie. En Bosnie, la présence de juges internationaux s'est révélée particulièrement utile pour aider au renforcement des capacités nationales. Lorsque la CCG bosniaque a entamé ses activités en mars 2005, deux des trois juges des chambres de première instance étaient internationaux. Depuis lors, cette proportion s'est inversée, les juges nationaux occupant une majorité de sièges. Cela reflète la mise en œuvre de la stratégie de transition visant à réduire la composante internationale au fil du temps. Dans chaque chambre, le président, qui dirige les procédures et est par conséquent le membre de la chambre le plus actif, est toujours bosniaque.

Cette formule pourrait retenir l'attention du Congo. Il est évident que les juges internationaux pourraient être choisis parmi des magistrats originaires d'autres pays africains, dont l'expertise pourrait s'avérer très précieuse et dont l'expertise régionale pourrait être mise à profit.

D. Greffe

La mise en place d'une structure administrative - un Greffe - chargée d'administrer la chambre mixte serait indispensable pour protéger davantage encore l'institution de toute ingérence politique. Le Greffe exerce essentiellement des fonctions administratives liées à la chambre ; il est notamment chargé de la logistique associée au recrutement du personnel national et international, de la sécurité et des finances. Il gère également le centre de détention pendant les procédures préliminaires et les procès. En sa qualité de responsable du Greffe, le greffier a le pouvoir de prendre des décisions cruciales en matière de personnel, de budget et de politique générale, et il est habilité à parler au nom de la chambre et à représenter ses intérêts.[13] Ceci explique pourquoi le choix d'un greffier qualifié et indépendant est important. Tant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone que la CCG de Bosnie ont nommé un greffier international, bien qu'en Bosnie, ce poste soit aujourd'hui occupé par un ressortissant bosniaque.

Par ailleurs, le Greffe est responsable de la gestion de certaines fonctions qui sont essentielles pour garantir l'efficacité des enquêtes et des procès. Il doit notamment prendre en charge la protection et l'appui des victimes et des témoins, la participation des victimes et les réparations, ainsi que le travail de sensibilisation et de communication. La plupart des positions associées à ces fonctions peuvent et devraient être occupées par des ressortissants congolais qualifiés (qui recevraient des formations appropriées dispensées en fonction des besoins).

E. Défense

Pour qu'un procès soit équitable, il faut non seulement appliquer les normes internationales en matière de procès équitable mais il est également indispensable de veiller à ce que la défense dispose de suffisamment de ressources et de moyens pour préparer son dossier. Il s'agit notamment d'employer des avocats de la défense présentant une expertise suffisante en droit pénal international. La CPI, le TSSL et la CCG de Bosnie ont créé des bureaux indépendants chargés d'apporter un soutien essentiel aux équipes de la défense qui plaident devant ces tribunaux respectifs. Le personnel de ces bureaux ne représente pas les accusés lors des procès mais il se consacre à des travaux de recherche pour les avocats de la défense nationaux ou leur apporte d'autres types de soutien.

V. Renforcement des capacités/partage d'expertise

Compte tenu de la fonction que remplit la chambre sur le plan du renforcement des capacités, la promotion de relations de travail étroites entre le personnel international et national s'avère essentielle à sa réussite. Cependant, la simple présence de procureurs nationaux et internationaux au sein de la chambre mixte n'est pas un gage de succès. Les défis associés à un réel renforcement des capacités pourraient être relevés en recrutant du personnel international qui a la formation et l'expérience nécessaires, en évaluant régulièrement la capacité du personnel international à partager efficacement son expertise avec ses collègues congolais, et en exigeant une durée de contrat suffisante pour permettre une meilleure coopération. Par ailleurs, les juges, procureurs et autres membres du personnel militaire congolais qui ont participé aux procès devraient être vivement encouragés à partager leur expérience avec leurs homologues civils nationaux et internationaux. Enfin, le renforcement des capacités entre le personnel de la chambre mixte et le personnel d'autres tribunaux jugeant des crimes graves devrait être encouragé à plus long terme.


 


[1] Par exemple, en comparaison avec le Statut de Rome, le Code pénal militaire congolais ne fournit aucune précision sur les éléments qui sont constitutifs d'un crime de guerre. En l'absence de précisions, la définition du crime de guerre repose uniquement sur une interprétation judiciaire devant établir si la conduite était « justifiée par les lois et coutumes de la guerre ». Voir Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome), Doc. ONU A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, art. 8 et Loi N° 24/2002 du 18 novembre 2002 portant code pénal militaire, Journal Officiel de la République Démocratique du Congo, 20 mars 2003, http://www.justice.gov.cd/j/index.php?option=com_docman&task=cat_view&gi...  (consultée le 30 septembre 2009), art. 173.

[2] Nous nous sommes également penchés sur les « enseignements tirés » de l'expérience d'autres institutions hybrides, notamment les Chambres extraordinaires au Cambodge et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ainsi que sur la participation de l'ONU à la réforme du secteur de la justice tant au Timor oriental qu'au Kosovo.

[3] Voir, par exemple, Loi constitutionnelle de la République d'Angola, 25 août 1992, http://unpan1.un.org/intradoc/groups/ public/ documents/CAFRAD/UNPAN002502.pdf (consultée le 30 septembre 2009), art. 27 ; Constitution de la République du Rwanda, 4 juin 2003.  http://www.amategeko.net/display_rubrique.php?ActDo=all&Information_ID=4... (consultée le 30 septembre 2009), art. 25.

[4]  Protocole pour la prévention et la répression du crime de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ainsi que de toute forme de discrimination, Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs, 29 novembre 2006, http://www.cirgl.org/documents_fr/bonne-governance/protocole.pdf (consulté le 30 septembre 2009). La CIRGL a été mise sur pied suite au pacte signé entre les présidents de l'Angola, du Burundi, de la République centrafricaine, du Congo, de la République démocratique du Congo, du Kenya, du Rwanda, du Soudan, de l'Ouganda, de la Tanzanie et de la Zambie. L'un de ses objectifs est de fournir un cadre juridique pour régir les relations entre les États membres.

[5] Voir, par exemple, l'Acte constitutif de l'Union africaine, 11 juillet 2000, entré en vigueur le 26 mai 2001, http://www.africa-union.org/About_AU/fmacteconstitutif.htm (consulté le 30 septembre 2009), art. 4.

[6] Dans ce cas précis, suite à l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution autorisant le Secrétaire général à entamer des négociations avec le gouvernement sierra-léonais en vue d'établir ce tribunal, un accord a été conclu en janvier 2002 pour créer le cadre juridique du tribunal. Voir Human Rights Watch, Bringing Justice: the Special Court for Sierra Leone, 7 septembre 2004, https://www.hrw.org/en/node/11983/section/4.

[7] Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1207 (1998), S/RES/1203 (1998), http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1207(1998) (consultée le 30 septembre 2009).

[8] Constitution de la République démocratique du Congo, 18 février 2006, http://www.justice.gov.cd/j/index.php?option= com_docman&task=doc_download&gid=35&Itemid=54  (consultée le 30 septembre 2009), art. 156 ; Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, 2001, http://www.achpr.org/francais/declarations/guidelines_trial_fr.html (consulté le 30 septembre 2009) ; Projets de principes sur  l'administration de la justice par les tribunaux militaires, Rapport présenté par le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, Emmanuel Decaux, 13 janvier 2006, Doc. ONU E/CN.4/2006/58, http://www.icj.org/IMG/G0610678.pdf (consulté le 30 septembre 2009), principe 9.

[9] Cette préoccupation n'est pas simplement théorique; en Serbie, par exemple, la Cour suprême a cassé un certain nombre de décisions de sa Chambre pour les crimes de guerre pour des motifs discutables. Voir Human Rights Watch, Unfinished Business: Serbia's War Crimes Chamber, no. 3, juin 2007, https://www.hrw.org/legacy/backgrounder/eca/serbia0607/serbia0607web.pdf, p. 31.

[10] En vertu du régime de complémentarité de la CPI, la chambre mixte, en tant que tribunal national compétent ayant la capacité et la volonté de juger ces crimes, aurait la primauté pour connaître de ces crimes. Dans la pratique, le personnel de la chambre mixte devrait travailler en étroite collaboration avec le personnel de la CPI, partageant des informations afin d'avoir le plus grand impact possible sur le plan de la lutte contre l'impunité.

[11] Rapport du Secrétaire général sur l'établissement d'un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, 4 octobre 2000, Doc. ONU S/2000/915, http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N00/661/78/PDF/N0066178.pdf?OpenE... (consulté le 30 septembre 2009), para. 30.

[12] Il n'est pas nécessaire que la chambre compte une majorité de membres internationaux pour être efficace ; les procureurs internationaux ont toujours constitué une minorité au sein de la CCG de Bosnie (en juin 2008, elle comptait cinq procureurs internationaux et treize procureurs nationaux).

[13] David Cohen, « Hybrid Justice in East Timor, Sierra Leone, and Cambodia: "Lessons Learned" and Prospects for the Future », Stanford Journal of International Law, vol. 43 (2007), p. 8.

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