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RD Congo : Les commandants de l’armée doivent être tenus pour responsables des viols

Le gouvernement devrait appliquer sa politique de « tolérance zéro » à l’égard des violences sexuelles

(Bruxelles) - Dans le cadre des efforts qu'il déploie pour combattre les violences sexuelles, le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait de toute urgence ouvrir des enquêtes et engager des poursuites à l'encontre des hauts responsables de l'armée qui seraient impliqués ou complices des crimes sexuels endémiques dont sont victimes les femmes et les filles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Human Rights Watch a également appelé à une série d'autres mesures visant à prévenir les violences sexuelles dans le conflit au Congo.

Le rapport de 60 pages, intitulé « Les soldats violent, les commandants ferment les yeux : Violences sexuelles et réforme militaire en République démocratique du Congo », décrit les violences sexuelles continuellement perpétrées par l'armée, ainsi que l'impact limité des efforts déployés par le gouvernement et les bailleurs de fonds pour s'attaquer au problème. Le rapport analyse en détail la conduite de la 14e brigade de l'armée, qui illustre le problème plus général des violences sexuelles commises par des soldats. La brigade a été impliquée dans de nombreux actes de violence sexuelle dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, souvent dans le cadre de pillages et autres attaques menés massivement contre les civils. En dépit des informations largement suffisantes qui mettent en lumière la situation, les autorités militaires, politiques et judiciaires n'ont pris aucune mesure déterminante pour prévenir les viols.

« Nous avons constaté des progrès en ce qui concerne les poursuites engagées contre de simples soldats pour violences sexuelles », a expliqué Juliane Kippenberg, chercheuse sur l'Afrique à la Division Droits de l'enfant de Human Rights Watch. « Mais les officiers supérieurs de l'armée demeurent intouchés. Leurs propres crimes et leur responsabilité de commandement pour les crimes de leurs soldats doivent faire l'objet d'enquêtes et ils doivent être amenés à rendre des comptes. »

Au cours de l'année 2008, les Nations Unies ont enregistré 7 703 cas de violences sexuelles perpétrées par l'armée, les rebelles et autres acteurs dans les Kivus, à l'est du Congo, où l'armée a combattu divers groupes rebelles. La majorité des victimes étaient des filles. En 2008, les tribunaux militaires du Kivu ont reconnu 27 soldats coupables de crimes de violence sexuelle. En mars 2009, à Walikale, dans le Nord-Kivu, 11 soldats ont été déclarés coupables de viol constitutif de crime contre l'humanité.

Cependant, le plus haut gradé reconnu coupable de crimes de violence sexuelle dans la région était un capitaine ; aucun colonel ni général n'a été poursuivi pour viol, et aucun officier n'a fait l'objet de poursuites pour avoir commis ou toléré les violences sexuelles perpétrées sous son commandement. Le 7 mai 2009, des responsables de la justice militaire congolaise ont arrêté le Colonel Ndayanbaje Kipanga, accusé du viol de quatre filles à Rutshuru, dans le Nord-Kivu. Il aurait pu s'agir d'une affaire historique où des hauts commandants auraient été tenus pour responsables de viols mais, profitant des procédures de détention laxistes, le Colonel Kipanga s'est évadé deux jours après son arrestation.

Afin de mettre fin aux violences sexuelles commises par l'armée, le gouvernement devrait créer un mécanisme d'enquêtes individuelles pour écarter de l'armée les officiers ayant perpétré des exactions, établir une chaîne de commandement stricte, améliorer les conditions de vie et les salaires des soldats, et renforcer le système de justice militaire, a déclaré Human Rights Watch.

L'organisation de défense des droits humains a également appelé le gouvernement à envisager la mise en place d'une « chambre mixte », composée de juges et de procureurs congolais et internationaux, qui aiderait à remédier aux faiblesses du système de justice national. Cette chambre spéciale opérerait au sein des tribunaux nationaux existants et engagerait des poursuites à l'encontre de dirigeants civils et militaires pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, y compris les crimes sexuels, en plus des quelques cas qui seront jugés par la Cour pénale internationale. Lors d'un entretien avec Human Rights Watch le 2 juillet dernier, le Président Joseph Kabila a formulé l'idée d'un tribunal mixte qui se verrait confier un mandat allant dans ce sens.

Les violences sexuelles perpétrées par l'armée demeurent généralisées, en dépit des efforts déployés par le gouvernement congolais et la communauté internationale pour y mettre un terme. En 2007, l'épouse du Président Kabila, Olive Lemba Kabila, a inauguré une campagne nationale contre les violences sexuelles. Début juillet 2009, suite aux vives critiques des associations internationales, notamment de Human Rights Watch, le gouvernement a reconnu publiquement qu'une politique de « tolérance zéro » à l'égard des violations des droits humains commises par l'armée était devenue nécessaire. L'armée congolaise a envoyé des instructions à tous les soldats, stipulant qu'il était de leur devoir de protéger la population et les avertissant que les viols et autres crimes commis contre des civils seraient punis.

« La tolérance zéro pour le viol est un noble objectif mais elle ne prendra tout son sens que si le gouvernement engage des poursuites à l'encontre des commandants qui ont la plus grande part de responsabilité dans les viols », a souligné Juliane Kippenberg. « Le gouvernement congolais, l'ONU et d'autres ont fait beaucoup en matière d'aide aux victimes de violences sexuelles mais pour ce qui est de mettre fin au climat permissif qui engendre ces violences, leurs initiatives se sont avérées limitées. »

En mars 2009, la Mission de l'ONU au Congo (MONUC) a élaboré une stratégie générale de lutte contre les violences sexuelles, que le gouvernement a avalisée. Dans le cadre des efforts de l'ONU, des membres du Conseil de sécurité, lors de leur visite au Congo les 18 et 19 mai derniers, ont remis au Président Kabila une liste de cinq officiers supérieurs de l'armée accusés de viol et ils ont demandé au président de prendre des mesures. À ce jour, aucun d'entre eux n'a été arrêté.

Les Nations Unies, l'Union européenne et d'autres bailleurs de fonds ont fourni une assistance au Congo en vue de la réforme de l'armée. Ils ont notamment dispensé des formations à l'armée sur le droit international humanitaire et aidé à améliorer la structure de commandement. Ils ont également apporté un soutien crucial aux institutions judiciaires du pays, y compris au système de justice militaire.

« Réformer le secteur de la sécurité, en particulier l'armée, est une priorité absolue pour les bailleurs de fonds internationaux, mais jusqu'à présent, les réformes n'ont débouché que sur une réduction atrocement infime des violences sexuelles dont sont victimes les femmes et les filles », a déploré Juliane Kippenberg. « Pour que cessent les viols, tant le gouvernement congolais que ses partenaires internationaux doivent passer du stade de bonnes intentions à celui des actes concrets qui aboutissent à des résultats. »

Le Conseil de sécurité envisage d'organiser un débat public en août 2009 sur la façon de mettre en œuvre la Résolution 1820 sur les violences sexuelles dans les conflits, adoptée en juin 2008. Ladite résolution énonce des obligations concrètes incombant aux pays individuels et aux organes de l'ONU pour prévenir et punir les violences sexuelles lorsqu'elles sont utilisées comme arme de guerre.

Human Rights Watch a appelé le Conseil de sécurité à invoquer la Résolution 1820 pour adopter des mesures sévères à l'encontre des gouvernements et groupes armés qui commettent des violences sexuelles au Congo et ailleurs. Ces mesures devraient inclure des critères de référence en matière de financement, des dispositions telles que des interdictions de voyager visant les individus responsables, des sanctions, ainsi que le refus de l'ONU de coopérer avec les parties coupables d'exactions. Human Rights Watch a également appelé à la création d'un poste d'envoyé ou de représentant spécial sur les femmes, la paix et la sécurité, qui œuvrerait en tant que défenseur et coordinateur de haut niveau de ces efforts.

Contexte

Les agences de l'ONU estiment qu'en 2008, 65 pour cent des victimes de violences sexuelles étaient des enfants, en majorité des adolescentes. Les filles qui sont violées risquent de souffrir de lésions particulièrement graves, d'avoir des difficultés à trouver un compagnon, d'abandonner l'école, d'être rejetées par leurs familles ou de devoir élever un enfant né du viol.

Au cours des 15 dernières années, les violences sexuelles ont été généralisées et systématiques au Congo, où plus d'une douzaine de groupes armés ont utilisé le viol pour terroriser, punir et contrôler les civils. La taille même de l'armée congolaise et son déploiement à travers tout le territoire en font le principal auteur de violences sexuelles. Selon les informations recueillies par Human Rights Watch, depuis janvier 2009, moment où l'armée a lancé une campagne contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hutu rwandais, les cas de viol ont doublé ou triplé dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, à l'est du Congo. L'armée congolaise, les FDLR et les groupes rebelles congolais comptent parmi les auteurs des violences sexuelles.

Récits de témoins

« Je revenais juste de la rivière où j'avais été chercher de l'eau. ... Deux soldats sont venus vers moi et m'ont dit que si je refusais de coucher avec eux, ils me tueraient. Ils m'ont battue et ont déchiré mes vêtements. Un des soldats m'a violée... Mes parents ont parlé à un commandant et il a dit que ses soldats ne violaient pas et que je mentais. J'ai reconnu les deux soldats et je sais que l'un d'eux s'appelle Édouard. »

- jeune fille de 15 ans, Minova, Sud-Kivu, mars 2009

« J'étais partie aux champs chercher des pommes de terre. Je retournais chez moi. C'est alors que j'ai vu des soldats qui se dirigeaient vers moi. Ils m'ont demandé ce que je faisais dans les champs. Ils m'ont dit que je pouvais choisir : soit je leur donnais de la nourriture, soit je devenais leur femme. Je leur ai dit de prendre la nourriture. Ils ont refusé et m'ont prise [violée], puis ils ont quand même pris la nourriture. C'étaient deux soldats de la 14e brigade, avec des épaulettes mauves et un uniforme d'une couleur unie. Au moment du viol, il y avait eu des combats et l'insécurité régnait. Ce jour-là, la 14e brigade avait affronté le CNDP [Congrès National pour la Défense du Peuple]. »

- jeune fille de 18 ans, Sake, Nord-Kivu, mars 2009 (âgée de 17 ans au moment du viol)

« Nous étions 3 jeunes filles et nous nous dirigions vers Cirunga. ... Ils [les soldats] nous ont violées et nous ont traînées jusque dans leur camp qui n'était pas loin. Je suis restée là durant un mois surveillée de façon permanente. ... Il n'y avait aucune conversation entre nous. Il me prenait à tout moment, lorsque cela lui plaisait, et avec beaucoup de violence. Je passais mes journées à pleurer. Je suppliais Dieu de me libérer de cet enfer. »

- jeune femme de 23 ans, Kabare, Sud-Kivu, avril 2009

« Un soir, des soldats sont venus nous attaquer. C'était en février ou mars 2008. Ils ont dit qu'ils allaient tuer notre père. Les soldats étaient fâchés sur mon père parce qu'il les avait empêchés de couper un avocatier [pour se procurer du bois à brûler]. ... Nous sommes restés dans le salon. Deux soldats ont violé ma sœur aînée. Quand ils ont eu terminé, l'un des deux  l'a  blessée à l'œil avec un couteau et il a fait la même chose à mon frère. ... Puis ils sont partis. Ma mère brasse de la bière et ils ont pris l'argent qu'elle gagnait de ça. »

- fille de 13 ans, Kabare, Sud-Kivu, avril 2009

« Je revenais de Bagira. J'ai croisé un groupe de filles et nous avons marché ensemble. Nous sommes tombés sur un groupe de soldats. Il était environ 18h30 et il faisait noir. Celles qui en ont eu la force se sont enfuies. Les soldats ont attrapé deux filles et les ont violées. Elles devaient avoir 14 ou 15 ans. Je me suis enfui et j'ai entendu les cris des filles. Les gens ont fait beaucoup de bruit et les soldats sont partis en courant. Les filles ont pleuré pendant tout le chemin jusqu'à chez elles. Il n'y a eu aucune enquête judiciaire. »

- enseignant, Kabare, Sud-Kivu, avril 2009

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