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(Rabat) - Les autorités marocaines détiennent Chekib el-Khayari pour ses activités de défenseur des droits humains et de dénonciateur des violations des droits humains, et elles devraient le libérer immédiatement, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui, après avoir mené sur le terrain une enquête sur cette affaire. El-Khayari est détenu depuis maintenant quatre semaines, alors qu'aucun tribunal ne l'a pour l'instant mis officiellement en accusation.

Le 21 février 2009, el-Khayari a comparu dans un tribunal de Casablanca devant le juge d'instruction Jamal Serhane. Le juge a interrogé el-Khayari sur des accusations selon lesquelles il aurait commis « un outrage envers les corps constitués », infraction passible d'une amende et d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à une année, selon les articles 263 et 265 du code pénal, a indiqué Mohamed Khattab, un de ses avocats, qui était présent à l'audience. Dans une déclaration officielle faite après l'arrestation d'el-Khayari, les autorités marocaines ont ajouté qu'il faisait également l'objet d'une enquête pour avoir accepté de l'argent de « parties étrangères » pour discréditer les efforts entrepris par les autorités marocaines pour combattre le trafic de drogue.

« El-Khayari se trouve en détention préventive depuis un mois maintenant, et tout ce que les autorités marocaines avancent c'est qu'il a dénigré les efforts de l'Etat pour éliminer le trafic de drogue », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen Orient et l'Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Il est clair que les progrès accomplis par le Maroc en matière de liberté d'expression ne s'appliquent pas aux dénonciateurs des violations des droits de l'homme. »

El-Khayari, président de l'Association des droits de l'homme dans le Rif, a été placé en détention le 17 février 2009, après avoir répondu à une citation à comparaître devant la Brigade nationale de la Police judiciaire de Casablanca. Le lendemain matin, des policiers en civil ont fouillé son domicile à Nador, dans le nord-est du Maroc, sans présenter de mandat, confisquant son ordinateur et des documents liés à l'association.

Le juge Serhane a refusé de libérer provisoirement El-Khayari en attendant son procès. Aucune date n'a été fixée pour la deuxième audience devant le juge d'instruction.

Avant son arrestation, el-Khayari a fait de nombreuses déclarations aux médias internationaux ainsi que lors de conférences en Europe, remettant en cause le zèle des autorités marocaines pour éliminer le trafic de drogues illégales depuis le Maroc versl'Europe. El-Khayari est aussi un militant pour les droits des Amazighs. Il a critiqué les mauvais traitements infligés par les forces de sécurité marocaines aux migrants d'autres pays africains qui tentent d'entrer clandestinement en Europe, ainsi que les mauvais traitements à l'encontre de citoyens marocains de la part des forces de sécurité tant marocaines qu'espagnoles à la frontière avec l'enclave espagnole de Melilla.

Les mesures de répression des autorités marocaines démontrent leur intention de faire pression sur el-Khayari et d'intimider d'autres défenseurs des droits humains, quel que soit le résultat de ce procès, comme l'indiquent les recherches de Human Rights Watch. Tout d'abord, le juge d'instruction Serhane a refusé de laisser el-Khayari en liberté provisoire. D'autre part, d'après Khattab et Ahmed Arhemouch, un autre des avocats d'el-Khayari, le juge Serhane a jusqu'ici refusé d'accorder à la défense l'accès à la déclaration faite par el-Khayari à la police, l'un des principaux éléments du dossier. Les avocats ont dit qu'habituellement le tribunal autorisait un accès rapide aux dossiers de leurs clients et ont qualifié ce refus de très inhabituel.

A la prison d'Oukacha à Casablanca, où El-Khayari est maintenu en isolement cellulaire, les autorités lui ont refusé à el-Khayari l'accès à la radio, la télévision ou les journaux, alors même que d'autres prisonniers sont autorisés à bénéficier de ces services.

Dans le Rif, les autorités locales ont bloqué presque toutes les tentatives visant à organiser des actions pacifiques réclamant la libération d'el-Khayari. Elles ont refusé d'accorder la permission à un collectif d'associations de se réunir le 2 mars dans une salle publique à Nador pour planifier des actions de solidarité. (Elles ne sont pourtant pas intervenues quand les militants se sont alors réunis dans un café à proximité.) Les autorités locales ont interdit des actions similaires dans la ville voisine d'el-Hoceima, ainsi qu'une autre prévue pour le 17 mars à Midar. Le 14 mars à Nador, la police a interrogé pendant cinq heures Mohamed el-Hammouchi, vice-président de l'Association des droits de l'homme du Rif, entre autres au sujet de ses contacts avec des organisations internationales et à propos de la visite de Human Rights Watch dans la région.

Les médias marocains ont lié le cas d'el-Khayari à l'expulsion début mars d'un agent présumé des services de renseignement basé au consulat d'Espagne à Nador qui, selon la presse, avait établi des liens étroits avec la société civile locale. Les relations entre le Maroc et l'Espagne ont parfois été tendues à cause des politiques d'interdiction des drogues, de l'immigration illégale et des enclaves espagnoles contestées de Melilla et de Ceuta - des questions sur lesquelles el-Khayari s'est exprimé publiquement.

« S'il y a une accusation crédible contre el-Khayari - et tout dans leur façon de mener cette affaire suggère le contraire - les autorités devraient l'inculper rapidement de chefs d'accusation identifiables, et le faire bénéficier de la liberté provisoire et d'un procès équitable », a observé Sarah Leah Whitson.

L'une des interviews d'el-Khayari, d'une franchise toute caractéristique, a été diffusée sur Radio Netherlands Worldwide en arabe le 16 janvier 2009 (http://www.rnw.nl/hunaamsterdam/mideastafrica/16010905). Dans cette interview, el-Khayari critiquait les récentes arrestations de trafiquants de drogue présumés dans la région, les qualifiant de « mascarade » alors que les véritables trafiquants « dirigeaient la région et même les affaires de l'Etat tout entier depuis le sein même du Parlement. Ils sont présents dans les principaux partis nationaux qui sont au gouvernement. » El-Khayari, selon la transcription de l'émission, a nommé un présumé baron de la drogue dans un village voisin, « qui n'a pas peur de dire devant tout un chacun : ‘Tout comme le Roi Mohamed VI règne à Rabat, moi je règne ici.' »

Dans une émission diffusée en septembre 2008 par la chaîne de télévision française M6, on peut voir el-Khayari indiquant au reporter des points locaux de départ de hors-bords chargés de drogue et mettant en cause des agents de sécurité marocains pour leur inaction présumée (http://www.dailymotion.com/video/x6r44w_enquete-exclusive-nador-maroc-le-de_news).

« S'il y a des individus qui s'estiment diffamés par el-Khayari, qu'ils le poursuivent en justice », a fait observer Sarah Leah Whitson. « Mais les lois qui autorisent l'emprisonnement - que ce soit à titre préventif ou comme sentence - en réponse aux critiques de personnes ou d'institutions étatiques sont incompatibles avec la liberté d'expression. »

Human Rights Watch a rendu visite aux parents d'el-Khayari à Nador le 14 mars. Ils ont assuré que depuis la perquisition du 18 février dans leur modeste appartement - où se trouve le bureau de Chekib - les autorités ne les ont ni harcelés ni intimidés. Le frère d'El-Khayari, Amine, et Arhemouch, l'avocat, ont dit qu'el-Khayari n'a pas fait état de mauvais traitements corporels au cours des interrogatoires de la police.

En décembre 2008, un autre militant, Brahim Sab'alil du Centre marocain des droits de l'homme, a purgé une peine de six mois de prison pour avoir « dénigré les autorités publiques » en leur attribuant des « faux crimes » en signalant que des policiers étaient responsables de plusieurs morts survenues pendant les affrontements qui ont eu lieu en juin 2008 dans la ville de Sidi Ifni, dans le sud du pays.

« Il faut dire en la faveur du Maroc qu'il connaît actuellement un essor des activités relatives aux droits humains », a remarqué Sarah Leah Whitson. « Mais ce mérite ne sera complet que lorsque les autorités arrêteront d'utiliser des lois qui prévoient des peines privatives de liberté pour faire taire ceux qui les critiquent sur des sujets sensibles. »

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