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Maroc: Les condamnations montrent les limites imposés à la liberté de la presse

Des journalistes condamnés pour « offense » envers un président étranger

Les poursuites engagées contre des hebdomadaires indépendants pour des motifs politiques restreignent la liberté de la presse au Maroc, a déclaré Human Rights Watch dans un document d'information publié aujourd'hui.

Hier matin, la cour d’appel de Casablanca a confirmé la condamnation au paiement d’une amende à l’encontre de l’hebdomadaire al-Machâal (Le Flambeau), ainsi que la peine d’un an de prison avec sursis à l’encontre de son directeur, pour avoir « insulté » un chef d’état étranger, le président algérien Abdelaziz Bouteflika.

Au cours de cette année, les tribunaux du ont condamné quatre hebdomadaires ou leurs journalistes à de lourdes amendes ou à des peines de prison avec sursis. Un cinquième procès est en cours.

« Les poursuites qui ont eu lieu récemment montrent que les autorités utilisent le Code de la presse pour restreindre la liberté d'expression, notamment sur des questions telles que la monarchie et le Sahara Occidental », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le Maghreb et le Moyen-Orient. « Cette cascade de peines d'emprisonnement avec sursis et de lourdes amendes risque d’avoir des conséquences néfastes pour la presse indépendante ».

Le Code de la presse marocain prévoit en effet un arsenal d'outils répressifs, notamment des peines d'emprisonnement pour des délits d'expression vaguement définis, comme par exemple « porter atteinte » au régime monarchique, à l'Islam ou à « l'intégrité territoriale » du pays, « offenser » le roi ou des chefs d'Etat étrangers, ou encore « outrager » des diplomates étrangers. Les juges peuvent également envoyer les journalistes en prison pour diffamation ou pour avoir publié des nouvelles fausses « qui troublent l'ordre public ».

Le magazine d'actualités aujourd'hui confronté aux pressions les plus fortes est Le Journal Hebdomadaire, qui risque de devoir fermer ses portes s'il est forcé de verser le montant record de 3,1 millions de dirhams (356 500 $) qu’il a été condamné à payer au terme d'un procès inéquitable. La cour a estimé que Le Journal avait diffamé le European Strategic Intelligence and Security Center, un centre de réflexion basé à Bruxelles, en qualifiant le rapport sur le Sahara Occidental publié récemment par ce de tellement pro-marocain que les autorités marocaines auraient bien pu l'avoir commandé et payé.

Les condamnations prononcées lors des récents procès en diffamation contre Le Journal et son concurrent TelQuel autorisent à penser que les tribunaux se servent de l’argument de la diffamation pour punir des hebdomadaires qui remettent en cause les politiques gouvernementales. Tout en reconnaissant le droit des parties diffamées à réclamer des dédommagements devant les tribunaux, Human Rights Watch a sévèrement jugé le fait que lesdits tribunaux ne se donnent pas la peine de justifier le montant des dommages-intérêts.

En février, Le Journal a dû faire face à des pressions encore plus fortes lors de manifestations de colère à son égard, manifestations que les autorités publiques avaient aidé à orchestrer et que la télévision publique avait retransmis avec un œil favorable. Ces mouvements de protestation, attisés par de fausses accusations selon lesquelles Le Journal avait reproduit les fameuses caricatures du Prophète Mahomet, ne présagent rien de bon dans un pays qui s'était pourtant forgé une réputation de nation ayant l'une des presses les plus libres de la région.

Par ailleurs, la cour d’appel a confirmé aujourd’hui la condamnation et la peine à l’encontre d’al-Machâal pour un papier et une caricature jugés « insultants » envers le président algérien Abdelaziz Bouteflika. En février, un tribunal de première instance a reconnu al-Ayyam (« Les jours ») coupable d'avoir publié de « fausses informations » dans un article portant sur le harem royal sous les monarques marocains antérieurs. Enfin, al-Ousbou`iyya al-Jadida (« Le nouvel hebdomadaire ») est actuellement jugé pour avoir « porté atteinte à la monarchie » lors de la publication d'une interview dans laquelle Nadia Yassine, une islamiste marocaine également poursuivie pour le même chef d'accusation, avait déclaré que la monarchie ne convenait guère au pays.

Human Rights Watch recommande instamment au gouvernement marocain de:

  • adopter des amendements au Code de la presse qui abolissent ou limitent radicalement les peines pénales prévues pour les délits d'expression;
  • faire en sorte que les affaires de diffamation soient traitées strictement au civil;
  • supprimer les dispositions qui punissent les déclarations considérées « offensantes ou outrageantes » pour les responsables marocains et étrangers;
  • abolir ou restreindre la portée des dispositions qui punissent les déclarations considérées comme « portant atteinte » à la monarchie, à l'Islam ou à l'intégrité territoriale du pays, ou comme contenant « de fausses nouvelles » qui « troublent l'ordre public ».

Human Rights Watch a également déclaré que les autorités devraient conseiller aux juges chargés de statuer sur les affaires de diffamation de prendre en considération les conséquences néfastes que pourraient avoir les amendes ou le paiement de dommages-intérêts sur la liberté d'expression. Les juges devraient s'assurer que les montants fixés sont proportionnels aux préjudices réellement subis et ils devraient envisager la possibilité de compensations non financières telles que la publication de rectificatifs.

« Depuis une décennie, le Maroc a fait des progrès en matière de liberté de la presse », a conclu Whitson. « Mais les récentes poursuites montrent que, tant que le Code de la presse n’est pas réformé et que les juges ne reconnaissent pas pleinement le droit à la liberté de la presse, le gouvernement peut restreindre cette liberté comme bon lui semble. »

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