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RCA: Le Président Bozizé devrait renforcer son engagement en faveur des droits humains

Lettre au Président de la République centrafricaine M. François Bozizé

Votre Excellence,

Nous vous écrivons au sujet de notre mission en Républicaine centrafricaine (RCA), effectuée en mars 2008 à la suite de votre invitation. Nous voudrions encore une fois vous remercier d'avoir invité Human Rights Watch à vous rencontrer, et nous saluons votre engagement déclaré à restreindre les atteintes aux droits humains dans votre pays. 

Depuis notre première visite en RCA à mi-2007, le gouvernement centrafricain a pris des mesures significatives visant à protéger les droits humains et à mettre un terme aux attaques contre les civils, notamment celles commises par les forces gouvernementales.  Nous saluons vos efforts pour développer la formation des personnels militaires en matière de droits humains et de droit international humanitaire, ainsi que la récente création d'un bureau de Droit international humanitaire au sein des forces armées.

Toutefois, nous demeurons très préoccupés par l'impunité qui perdure par rapport  aux nombreuses atteintes aux droits humains commises en RCA, tant par les forces gouvernementales que par les forces rebelles, depuis 2005. En dépit des preuves détaillées de ces atrocités, clairement exposées dans des rapports publics établis par Human Rights Watch et d'autres organisations de défense des droits humains, nombre des individus responsables - en particulier les soldats du gouvernement - continuent à bénéficier d'une impunité totale. En particulier, nous sommes préoccupés par le risque qu'à la suite du vote de la nouvelle loi d'amnistie du 29 septembre 2008 - malgré les exclusions relatives aux crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide - de tels crimes continuent à ne pas être sanctionnés. Les individus présumés responsables de tels crimes -dont le Lieutenant Eugène Ngaïkosset, qui commandait une unité de la Garde Présidentielle (GP) et aurait procédé à l'exécution sommaire de 51 personnes au moins - restent non seulement en liberté, mais aussi à leurs postes ou même bénéficient d'une promotion, demeurant ainsi dans une position qui leur permet de poursuivre le cycle actuel de violence en RCA. 

Nous exhortons le gouvernement de la RCA à :

  • Mener des enquêtes et engager des poursuites pour tous les crimes exclus de la loi d'amnistie - notamment les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) - et poursuivre en justice les responsables, y compris ceux qui sont redevables selon le principe de la responsabilité des commandants pour ne pas avoir empêché ou sanctionné ces crimes.
  • Garantir, alors que les négociations de paix se poursuivent, que tout accord ou loi d'amnistie future exclue explicitement les crimes relevant de la compétence de la CPI, c'est-à-dire les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide.
  • Mener des enquêtes sur, et relever de ses fonctions, tout soldat ou officier du gouvernement responsable de tels crimes, ou de toute autre grave violation des droits humains ou du droit humanitaire. Le Lieutenant Eugène Ngaïkosset devrait être immédiatement relevé de ses fonctions et soumis à une enquête approfondie du Tribunal militaire permanent.
  • Faciliter et coopérer pleinement avec toute enquête de la CPI sur les crimes graves commis depuis 2005 en RCA, notamment en répondant dans les plus brefs délais aux demandes d'information émises par la CPI.
  • Prendre toute autre mesure nécessaire pour rétablir l'ordre et la protection des civils sur l'ensemble du territoire de la RCA, notamment en déployant en nombre suffisant du personnel militaire bien entraîné, des forces de police et des ressources dans les zones affectées par le banditisme et l'insécurité, afin de garantir que les civils sont protégés de nouvelles attaques. Tout ce personnel devrait être formé aux normes internationales des droits humains, ainsi qu'en droit international humanitaire, le cas échéant.

Impunité actuelle en RCA

Selon les informations recueillies auprès de témoins et de victimes dans le nord de la RCA par Human Rights Watch, entre mi-2005 et mi-2007 les forces gouvernementales ont tué des centaines de civils, ont incendié plus de 10 000 foyers et forcé plus de 200 000 personnes à fuir leurs domiciles. Les groupes rebelles se sont rendus coupables de meurtres, de passages à tabac, de viols, de pillages et de taxation forcée de civils.[1]

Comme vous le savez, le 29 septembre 2008 l'Assemblée Nationale a adopté une nouvelle loi d'amnistie, faisant suite à une clause d'amnistie incluse dans l'accord de paix signé par le gouvernement et deux groupes rebelles à Libreville le 21 juin 2008. La loi prévoit des amnisties accordées aux forces rebelles et gouvernementales ayant commis des crimes au cours du conflit, mais elle exclut de façon spécifique les crimes qui relèvent de la juridiction de la CPI - crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

Les individus responsables de tels crimes en RCA sont explicitement exclus de la loi d'amnistie ; de fait toute tentative d'accorder l'amnistie pour de tels crimes serait de toute façon sans effet au regard du droit international. De nombreux incidents documentés par Human Rights Watch et d'autres organisations en RCA depuis 2005 équivalent à des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Les conflits en RCA équivalent à des conflits armés internes non-internationaux.  Dans ce type de conflits, les actes qui équivalent à des crimes de guerre incluent l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, le viol et autres formes de violence sexuelle,  et les attaques intentionnelles contre les populations civiles ou les civils ne prenant pas part aux hostilités ou la destruction et l'appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire.

Lorsque certains de ces actes, ou d'autres  - dont le meurtre, la torture ou le viol - sont commis dans le cadre d'une attaque systématique ou sur une grande échelle contre toute population civile, ils peuvent constituer des crimes contre l'humanité. Une personne peut être pénalement responsable pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité soit pour avoir commis ces crimes directement (y compris en donnant des ordres), soit en vertu du principe de responsabilité des commandants alors qu'elle occupait une position de responsabilité et n'a pas empêché ou puni ces crimes.

Human Rights Watch a rassemblé des preuves sur un certain nombre d'actes qui constitueraient de tels crimes,[2] à savoir :

  • Au moins 119 exécutions sommaires et morts illégales imputables aux forces de sécurité gouvernementales dans le nord-ouest et le nord-est. Au moins 51 de ces exécutions ont été commises par une seule et même unité militaire: l'unité de la GP basée à Bossangoa, commandée à l'époque par le Lieutenant Eugène Ngaïkosset. Cette unité s'est rendue coupable d'un grand nombre d'attaques extrêmement brutales, dont une série d'attaques le 11 février 2006 au cours desquelles l'unité a tué au moins 30 civils dans plus d'une dizaine de villages différents le long de la route menant de Nana-Barya à Bémal. Le 22 mars 2006, la même unité a décapité un enseignant à Bémal, lui coupant la tête avec un couteau alors qu'il était encore en vie. Le 7 octobre 2006, cette unité a exécuté de façon extrajudiciaire cinq civils -des hommes- à Ouandago. Les Forces armées centrafricaines (FACA) ont aussi causé des morts intentionnellement. A la suite des affrontements avec les rebelles à Paoua les 29 et 30 janvier 2006, les FACA ont tué au moins 27 civils dont beaucoup ont été abattus alors qu'ils s'enfuyaient. Les FACA ont aussi arrêté et passé à tabac au moins huit détenus à la suite de cette attaque, tuant six d'entre eux.
  • L'incendie de plus de 10 000 habitations et le déplacement forcé de centaines de milliers de civils, souvent en réaction directe à des actions récentes des rebelles et équivalant à des représailles illégales contre la population civile. Par exemple, en décembre 2005, les forces de la GP et des FACA ont incendié de 400 à 900 maisons près de Markounda à Ouham Pende ; en octobre 2006, les FACA et la GP ont incendié plus de 1000 maisons à Ouandago. En mai 2007, la GP a incendié 532 habitations autour de Ngaoundaye, apparemment en représailles pour le meurtre d'un fonctionnaire commis par les rebelles.[3]
  • Durant la même période, Human Rights Watch a aussi documenté de graves exactions commises par les groupes rebelles. L'Armée populaire pour la restauration de la République et la démocratie (APRD) s'est livrée à des extorsions, des taxations forcées, des enlèvements contre rançon, des passages à tabac de civils et des viols dans le nord-ouest. Les rebelles de l'APRD ont aussi recruté un nombre important d'enfants soldats, dont certains n'avaient pas plus de 12 ans, et ont perpétré au moins une exécution sommaire (à Gbaïzera en juin 2006). Dans le nord-est, l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) s'est rendue responsable d'exécutions illégales fin 2006, tirant de façon indiscriminée sur les civils pendant des attaques contre des villages. L'UFDR a exécuté sommairement des civils faits prisonniers et a frappé des civils pour leur extorquer de l'argent, des biens ou des informations.

Lors de la première visite de Human Rights Watch en RCA à mi-2007, aucun officier militaire n'avait été sanctionné ni réprimandé publiquement pour son rôle dans ces crimes. Cependant, quand Human Rights Watch est revenu en RCA à votre invitation en mars 2008, nous avons constaté que vous aviez pris certaines mesures importantes pour traiter ces questions. A mi-2007, à la suite d'une série d'exactions commises par ces forces dans le nord-ouest, vous avez donné des ordres à la GP ainsi qu'aux FACA pour que cessent les attaques contre les civils, et vous avez retiré la plupart des forces de la GP de la région du nord-ouest. Ceci n'a pas mis un terme aux violations des droits humains dans la région mais elles ont diminué. De plus, vous avez fait des efforts importants pour développer la formation destinée au personnel des FACA, et vous avez créé récemment  le rôle « d'Officier en Droit international humanitaire » dans les FACA.

Toutefois, l'impunité pour ces exactions perdure. Si certains membres de la GP responsables de crimes commis dans le nord-ouest ont été maintenant rétrogradés ou congédiés de façon déshonorante, d'autres sont toujours en poste. Eugène Ngaïkosset, dont le rôle dans les pires atrocités a été bien documenté et rendu public par Human Rights Watch et de nombreux autres observateurs, n'a été ni destitué, ni réprimandé publiquement. Au contraire, il a été promu au rang de capitaine et chargé d'une brigade de sécurité de la GP.

Le Tribunal militaire permanent de la RCA est compétent pour juger des crimes et des violations du droit militaire commis par des membres des forces de sécurité. Cependant, un rapport gouvernemental non rendu public et consulté par HRW en mars 2008 notait que les magistrats avaient ignoré les violations graves et largement répandues commises par la GP et les FACA depuis 2005, classant ces exactions comme des conséquences normales de la contre-insurrection. Au cours de sa session la plus récente en mars et avril 2008, le tribunal a eu à traiter 24 affaires. Seulement deux d'entre elles sont liées à des crimes plus graves : celle d'un sous-lieutenant jugé pour avoir exécuté sommairement quatre civils à Ngaoundaye en juin 2007 et condamné à cinq ans de prison, et celle d'un individu qui a tué un civil sur la place du marché dans le nord-ouest et a été condamné à 20 ans.  Les deux condamnés auraient bénéficié d'une amnistie et pourraient se retrouver libres. 

Mettre fin à l'impunité pour les atrocités commises en RCA depuis 2005, que ce soit par les forces gouvernementales ou les rebelles, est essentiel pour mettre un terme au cycle de violence en RCA et pour garantir la protection des civils. Tant que les forces gouvernementales ou rebelles se croiront à l'abri des poursuites pour crimes de guerre, notamment les exécutions sommaires et la destruction intentionnelle à grande échelle de biens civils, de telles méthodes continueront. Nous vous demandons donc de prendre des mesures urgentes pour garantir l'engagement de poursuites judiciaires à l'encontre de tous les responsables de crimes de guerre et autres crimes qui sont, à juste titre, exclus de la loi d'amnistie. Cette action renforcerait les progrès importants réalisés par votre gouvernement pour mettre fin aux atrocités et autres atteintes aux droits humains dans votre pays.

Veuillez croire, Votre Excellence, à l'expression de mes sentiments distingués.

Georgette Gagnon
Directrice de la division Afrique
Human Rights Watch


 


[1] Human Rights Watch, Etat d'anarchie : Rébellions et exactions contre la population civile, vol. 19, no. 14(A), septembre 2007, https://www.hrw.org/fr/reports/2007/09/13/tat-d-anarchie-0

[2] Sauf mention contraire, chacun de ces incidents est basé sur des témoignages recueillis par Human Rights Watch en février et mars 2007 et décrits en détail dans Human Rights Watch, Etat d'anarchie : Rébellions et exactions contre la population civile, vol. 19, no. 14(A), Septembre 2007, https://www.hrw.org/fr/reports/2007/09/13/tat-d-anarchie-0

[3] Entretien de Human Rights Watch avec un fonctionnaire de la CAR, Bangui, CAR, 7 mars 2008

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