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(Dakar, le 19 décembre 2008) Cent-quatorze victimes de la dictature de Hissène Habré ont déposé un mémoire devant la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à Abuja pour défendre la compétence du Sénégal à juger l'ancien président du Tchad.

Hissène Habré a déposé une plainte en octobre dernier auprès de la Cour de Justice de la CEDEAO contre l'Etat du Sénégal. Dans sa plainte, M. Habré accuse le Président sénégalais,  Me Abdoulaye Wade, d'avoir « frénétiquement » fait modifier la législation et la constitution sénégalaise « en violation flagrante » du droit international dans le seul but de le « mener au peloton d'exécution ». Habré demande à la Cour de condamner le Sénégal et de l'obliger à cesser toute action judiciaire à son encontre.

Hissène Habré est accusé de crimes contre l'humanité et de torture commis durant son régime de 1982 à 1990 dans une plainte déposée à Dakar le 16 septembre par les victimes de sa dictature.

« Manifestement Habré a peur de la justice » a déclaré Me Demba Ciré Bathily, coordinateur des avocats des victimes qui a déposé le mémoire à Abuja. « À l'instar de tous les dictateurs rattrapés par leur passé, Habré se pose en victime et tente de fuir la justice. Si Habré est innocent, il ne devrait pas craindre un procès équitable. »

Dans sa plainte contre le Sénégal, Hissène Habré prétend être victime d'une loi « rétroactive ». En fait, le droit international reconnaît depuis longtemps que le principe de  non rétroactivité de la loi pénale ne s'oppose pas à un jugement en raison d'actes, comme les crimes contre l'humanité ou la torture, qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels par le droit international. C'est en vertu de ce principe que les jugements des dirigeants Nazis ont pu être organisés à Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale et que les tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont pu voir le jour.

Hissène Habré affirme aussi qu'il a déjà été jugé au Sénégal en 2001, mais la plainte déposée contre lui à cette époque n'a pas débouché sur un procès sur le fond de l'affaire, les juridictions sénégalaises s'étant déclarée incompétentes pour le juger.

Pour rappel, le Sénégal a l'obligation juridique de juger Hissène Habré, tel que l'a indiqué le Comité des Nations unies contre la torture dans sa décision de mai 2006 condamnant le Sénégal. Le Comité lui a demandé d'adapter sa législation afin d'établir sa compétence sur le crime de torture et par conséquent de respecter son obligation internationale de juger ou d'extrader Hissène Habré.

En juillet 2006, l'Union africaine a emboîté le pas du Comité contre la torture et a donné mandat au Sénégal « de faire juger, au nom de l'Afrique, Hissène Habré ».

Le Sénégal a finalement mis en conformité sa législation nationale avec le droit international donnant compétence à ses juridictions de juger les responsables de crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crime de génocide ou de torture présents sur son territoire. À ce titre, le Sénégal est compétent pour juger les crimes qui sont reprochés à Hissène Habré.

La requête déposée par Hissène Habré devant la Cour de justice de la CEDEAO n'ayant pas de caractère suspensif sur la procédure en cours au Sénégal, les victimes et la coalition des organisations africaines et internationales qui les soutiennent ont appelé le Sénégal, a donner suite à la plainte déposée par les victimes le 16 septembre dernier, en ouvrant une instruction pour les faits reprochés à l'ex-président.

« Plus de 3 mois se sont écoulés depuis le dépôt de notre plainte auprès du Procureur Général près la Cour d'Appel de Dakar, et le Sénégal n'a toujours pas amorcé de procédure judiciaire » a déclaré Me Jacqueline Moudeina, avocate tchadienne des victimes. « Les victimes s'interrogent sur la volonté politique du Sénégal de mener ce procès.»

Parallèlement au dépôt du mémoire par les victimes devant la Cour de la CEDEAO, une coalition d'ONG, dont la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH), la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), l'Organisation Nationale pour les Droits de l'Homme au Sénégal (ONDH) et Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme ont soumis à la Cour une demande afin de lui présenter un avis d'expert, amicus curiae, relatif à la plainte déposée par M. Habré.

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