Au cours de sa visite en Syrie, Nicolas Sarkozy devra aborder en toute franchise avec le président syrien la question de la situation des droits humains dans ce pays. Les mesures de répression prises sans cesse par le gouvernement syrien contre les militants, les limites imposées à la liberté d'expression, la discrimination à l'encontre des Kurdes et la torture des prisonniers politiques posent des problèmes graves et urgents que le Président Sarkozy devra évoquer lors de sa rencontre à Damas avec le Président Assad.
Il faudra notamment que le Président Sarkozy demande instamment au Président Assad de libérer les militants détenus uniquement parce qu'ils exercent leur droit à la liberté d'expression et d'association, notamment ceux qui sont cités dans cette note ; il devra aussi lui demander de donner l'ordre aux services de sécurité syriens de mettre fin au harcèlement et aux arrestations arbitraires de militants politiques et de défenseurs des droits humains, de prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la discrimination à l'encontre des Kurdes et pour faire en sorte que les quelques 300 000 Kurdes ne soient plus considérés comme apatrides ; enfin, il devra lui demander de mener des investigations sur la répression brutale d'une mutinerie à la prison de Sednaya il y a deux mois, causant la mort de plusieurs détenus.
Vous trouverez ci-dessous une liste des principaux problèmes liés aux droits humains qui se posent en Syrie, tels que démontrés par les travaux de Human Rights Watch. Pour plus de détails sur ces sujets, rendez-vous sur
https://www.hrw.org/doc?t=mideast&c=syria.
I. Prisonniers politiques et défenseurs des droits humains
Les autorités syriennes continuent d'arrêter, de poursuivre, d'incarcérer et de harceler les militants politiques et les défenseurs des droits humains.
Les prisonniers politiques relevant de la Déclaration de Damas
A la suite d'une réunion du Conseil national de la Déclaration de Damas tenue le 1er décembre 2007, qui rassemblait de nombreux groupes d'opposition et de militants réclamant la mise en œuvre en Syrie de réformes démocratiques, les autorités syriennes ont commencé à prendre des mesures de répression contre ceux qui avaient assisté à cette réunion.
A l'heure actuelle, douze de ces militants restent détenus pendant la durée de leur procès pour des motifs mal définis tels que "l'affaiblissement du sentiment national et l'incitation aux luttes sectaires", "la diffusion de nouvelles inexactes ou exagérées susceptibles de porter atteinte au moral du pays" et "l'appartenance à une organisation visant à modifier la structure de l'Etat". La prochaine audience est fixée au 24 septembre 2008.
Huit de ces détenus ont déclaré au magistrat instructeur que les responsables de la sécurité les avaient frappés aux cours des interrogatoires et les avaient forcés à signer des confessions stipulant qu'ils prévoyaient d'accepter des fonds provenant de pays étrangers pour diviser le pays en accordant aux Kurdes un Etat distinct.
Parmi les détenus figurent Riad Seif, 61 ans, ancien membre du Parlement, atteint d'un cancer de la prostate et d'une affection cardiaque, le Dr. Feda' al-Hurani, 51 ans, médecin, élu président du Conseil national de la Déclaration de Damas lors de la réunion du 1er décembre, et Ali al- 'Abdullah, 58 ans, écrivain politique qui a déjà purgé trois peines de prison pour son militantisme.
Les prisonniers politiques signataires de la Déclaration de Beyrouth-Damas
Le 12 mai 2006, quelque 300 militants, intellectuels et défenseurs des droits humains libanais et syriens ont signé une pétition réclamant une amélioration des rapports entre le Liban et la Syrie fondée sur le respect de la souveraineté de chacun de ces deux pays.
Les autorités syriennes ont arrêté au moins douze signataires de cette déclaration. Le gouvernement a par la suite relâché la majorité d'entre eux, mais un tribunal pénal de Damas en a condamné quatre à de lourdes peines. Le tribunal a condamné l'éminent écrivain et militant politique Michel Kilo et le militant Mahmud 'Issa à trois ans d'emprisonnement. Khalil Hussain, membre du mouvement Avenir du Kurdistan, et Sulaiman Shummar, membre du parti non autorisé de la Révolution des travailleurs et l'un des dirigeants du Rassemblement démocratique national, ont été jugés par contumace et condamnés chacun à 10 ans de prison.
Le 20 août 2008, la cour pénale de Damas a rejeté une demande de remise en liberté de Michel Kilo, bien que, ayant déjà purgé les trois-quarts de sa peine de trois ans de prison, il puisse selon la loi syrienne bénéficier d'une remise en liberté anticipée.
De plus, un tribunal pénal de Damas a condamné un autre signataire, l'éminent avocat et défenseur des droits humains Anwar al-Bunni, à cinq ans d'emprisonnement, sous prétexte qu'il avait déclaré qu'un homme était mort dans une prison syrienne par suite des conditions inhumaines de sa détention.
Dr. Kamal Labwani
Le Dr. Kamal Labwani, médecin et fondateur du Rassemblement démocratique libéral, a été condamné en mai 2007 à douze ans d'emprisonnement pour "communication avec un pays étranger et incitation à l'agression à l'encontre de la Syrie" après s'être rendu aux Etats-Unis et en Europe à l'automne 2005 et y avoir rencontré des représentants du gouvernement américain, des journalistes et des organisations de défense des droits humains. Cette condamnation à douze ans de détention est la plus grave jamais prononcée à l'encontre un militant politique depuis l'accession au pouvoir de Bashar al-Assad. Par ailleurs, Dr Labwani a fait l'objet le 28 avril 2008 d'une autre condamnation à trois ans de détention pour avoir "insulté les autorités" au cours de son séjour en prison.
Le Rassemblement démocratique libéral est un groupe non partisan d'intellectuels et de militants syriens qui militent en faveur d'une évolution pacifique de la Syrie fondée sur les réformes démocratiques, le libéralisme politique, la laïcité et le respect des droits humains.
Le Dr Labwani avait déjà purgé une peine de trois ans d'isolement pour sa participation en 2001 aux débats sur la réforme politique.
Militants Kurdes
Les autorités syriennes harcèlent et arrêtent régulièrement des militants Kurdes. Le dernier exemple en date est l'arrestation le 15 août 2008 par les services de sécurité syriens de Mash ‘al al-Temmo, le porte-parole officiel du Courant Futur Kurde en Syrie, un parti politique non autorisé, alors qu'il se rendait à Alep. Il a été détenu au secret pendant onze jours. Le 27 août, un juge d'instruction l'a inculpé pour « affaiblissement du sentiment national et incitation aux luttes sectaires », « diffusion de nouvelles inexactes ou exagérées susceptibles de porter atteinte au moral du pays » et « appartenance à une organisation visant à modifier la structure de l'Etat ». Il est actuellement détenu à la prison de ‘Adra, près de Damas.
II. Lois et pratiques répressives
Le gouvernement impose l'état d'urgence sans interruption depuis la prise de pouvoir du parti Ba'ath le 8 mars 1963. La Loi d'urgence confère au premier ministre en sa qualité de responsable de la loi martiale des pouvoirs extraordinaires lui permettant de restreindre le droit de réunion, de rencontre et "d'arrêter à titre préventif toute personne soupçonnée de mettre en danger la sécurité et l'ordre publics".
Ces pouvoirs créent un environnement dans lequel les autorités bafouent très largement les libertés et les droits les plus fondamentaux du peuple syrien et adoptent des mesures arbitraires pour faire taire les critiques au nom de la sauvegarde de la sécurité nationale.
La Cour suprême de sécurité de l'Etat
La Cour suprême de sécurité de l'Etat (CSSE), tribunal d'exception créé en 1968 pour examiner "tous les cas qui lui sont soumis par le responsable de la loi martiale" reste très active. En 2007, elle a jugé et condamné plus de 160 personnes pour des motifs divers, y compris l'appartenance à l'Association des Frères Musulmans, qui est interdite, le militantisme pro-kurde, l'appartenance à des groupes politiques interdits et la critique indépendante du gouvernement.
La CSSE n'est pas soumise aux règles habituelles de procédure pénale et aucun des procès qui s'y déroulent ne satisfait aux règles minimales imposées par le droit international pour garantir un procès équitable. Le tribunal condamne souvent des prévenus en se fondant sur des confessions obtenues sous la torture ou d'autres formes de contrainte.
Répression des activités en ligne
Il n'existe pas en Syrie de presse indépendante. Il y a peu, le gouvernement a appliqué à l'expression en ligne les restrictions qu'il impose habituellement à la presse et aux médias audiovisuels ; il a fait emprisonner et juger des journalistes et des militants pour avoir publié des informations en ligne.
Karim 'Arbaji, 29 ans, modérateur de https://www.hrw.org/french/docs/2008/09/02/www.akhawia.net, forum en ligne très apprécié par les jeunes Syriens et qui traite de questions sociales et politiques, doit être jugé devant la CSSE pour avoir "répandu des informations erronées qui risquent d'affaiblir le sentiment national".
D'autres ont déjà été sévèrement réprimés pour leurs activités en ligne. Le 11 avril 2008, la CSSE a condamné Tarek Biasi, 22 ans, à trois ans de prison pour avoir "répandu des informations erronées qui risquent d'affaiblir le sentiment national". Son crime était d'avoir "insulté les services de sécurité" en ligne.
Un groupe de sept jeunes gens, Husam Melhem, Tariq al-Ghourani, Ayham Saqr, 'Ulam Fakhour, Maher Ibrahim Asbar, Omar al-Abdullah (fils d'Ali al-Abdullah, qui est actuellement détenu séparément en tant que membre du groupe de la Déclaration de Damas) et Diab Syriya - tous étudiants à l'exception d'Ayham Saqr qui travaille dans un institut de beauté - ont été déclarés coupables en juin 2007 "d'avoir agi ou d'avoir fait des déclarations écrites ou orales susceptibles de nuire à l'Etat ou de compromettre ses rapports avec un pays étranger, ou de l'exposer au risque d'actions hostiles". Deux des étudiants ont été condamnés à des peines de prison de sept ans tandis que les autres accusés ont eu des condamnations de cinq ans. Au cours de leur procès, les accusés ont tous récusé les accusations dont ils faisaient l'objet et ont affirmé que les forces de police avaient obtenu leurs confessions sous la torture. Cependant, le tribunal a accepté les confessions contestées et n'a entrepris aucune enquête au sujet des allégations de torture.
Par ailleurs, le gouvernement syrien bloque les sites internet appartenant à certaines catégories. Le filtrage le plus rigoureux frappe les sites qui critiquent l'action du gouvernement ou soutiennent les groupes syriens d'opposition. L'initiative OpenNet, qui regroupe quatre grandes universités aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni et suit le filtrage et la surveillance d'internet par les gouvernements, fait valoir que le filtrage des sites politiques en Syrie est "omniprésent". La censure du gouvernement syrien couvre aussi certains sites internet très fréquentés tels que https://www.hrw.org/french/docs/2008/09/02/www.facbook.com, https://www.hrw.org/french/docs/2008/09/02/www.youtube.com, et le moteur de blog de Google https://www.hrw.org/french/docs/2008/09/02/www.blogspot.com.
Le refus d'enregistrer les groupes de défense des droits humains
Bien que la Constitution syrienne protège le droit à la liberté d'association, le gouvernement a fait usage de ses pouvoirs exceptionnels et de ses lois restrictives et notamment de la Loi de 1958 sur les associations et les sociétés privées (Loi N° 93), pour empêcher les militants d'exercer leurs droits les plus fondamentaux. Les autorités syriennes ont refusé d'enregistrer tous les groupes de défense des droits humains qui en ont fait la demande. Faute de statut juridique, ces groupes sont soumis au bon vouloir des autorités et vivent dans la crainte constante de voir le gouvernement mettre fin à leurs activités et incarcérer leurs membres pour avoir enfreint la loi.
L'interdiction de voyager
Les autorités syriennes font couramment appel aux interdictions de voyage pour sanctionner les militants et les dissidents. Ces interdictions ont connu une augmentation spectaculaire en 2006 et 2007. Si le nombre exact des militants empêchés de se déplacer n'est pas connu, on l'estime à plusieurs centaines. Le mois dernier, au moins sept militants politiques et défenseurs des droits humains ont été directement touchés par ces restrictions.
III. Discrimination à l'encontre des Kurdes
Les Kurdes, qui constituent la plus importante minorité ethnique non arabe de Syrie, représentent environ dix pour cent d'une population de 19 millions d'habitants. Ils continuent de faire l'objet d'une discrimination systématique, comme en témoigne notamment le refus arbitraire d'accorder la citoyenneté à quelque 300 000 Kurdes nés en Syrie, à la suite d'un recensement tenu en 1962 qui a abouti à leur dénaturalisation. Bien que les autorités syriennes aient promis à de nombreuses reprises de "résoudre le problème de la nationalité", notamment à l'occasion du discours inaugural du Président Asad le 22 juillet 2007, le gouvernement n'a pris aucune mesure concrète à cet effet.
Les autorités syriennes interdisent aussi l'usage de la langue kurde dans les écoles et suppriment - souvent par la violence - d'autres expressions de l'identité kurde, telles que la célébration de "Nowroz", le nouvel an kurde. A l'occasion de la célébration cette année de Nowruz le 20 mars 2008, les forces syriennes de sécurité internationale ont ouvert le feu sur des Kurdes qui fêtaient l'an nouveau, faisant trois morts et au moins cinq blessés. Aucune enquête indépendante n'a été ouverte à propos de cette fusillade. Ce n'était pas la première fois que les forces syriennes faisaient usage de la force pour disperser une fête kurde. Il y a deux ans, en mars 2006, des forces de sécurité ont arrêté plusieurs dizaines de Kurdes et ont utilisé des gaz lacrymogènes et des matraques pour mettre fin à une procession aux flambeaux organisée pour fêter Nowroz.
IV. Fusillade à la prison de Sednaya
La prison de Sednaya, située à environ trente kilomètres de Damas, est placée sous le contrôle de l'armée. Elle est utilisée pour la détention préventive des personnes arrêtées par les services de sécurité ainsi que la détention de ceux qui ont déjà été condamnés par la Cour suprême de sécurité de l'Etat.
Le 5 juillet 2008 au matin, les autorités pénitentiaires syriennes ont tenté de réprimer une mutinerie dans la prison. La mutinerie avait commencé lorsqu'un contingent d'officiers de la police militaire avait agressivement fouillé les cellules des détenus. Les détenus, majoritairement islamistes, ont protesté en se battant avec des agents de la police militaire. Selon les témoignages, la police militaire aurait alors répondu en ouvrant le feu sur les détenus.
Suite à la fusillade, des détenus sont parvenus à immobiliser les gardiens et ont fait plusieurs otages, dont le directeur de la prison. Au cours des quatre jours suivants, des informations sur des négociations tendues parvenaient à filtrer vers le monde extérieur à travers des détenus utilisant des téléphones portables pris aux otages. La dernière communication connue des détenus était un appel d'un détenu aux membres de sa famille le 8 juillet, les informant que les autorités menaçaient de violemment prendre d'assaut la prison si les détenus ne se rendaient pas.
Deux mois après cet incident, il n'y a aucune information publique sur la façon dont ce bras de fer s'est terminé, ni sur le nombre exact et les noms des personnes tuées et blessées. Human Rights Watch a obtenu les noms de neuf détenus que l'on pense avoir été tués. Des organisations syriennes de défense des droits humains rapportent qu'il y aurait eu 25 morts. Les familles de détenus n'ont jusqu'à présent pu obtenir aucune information sur le sort des membres de leurs familles.
Nous demandons à Nicolas Sarkozy de soulever la question de cette fusillade mortelle avec le Président Bashar al-Assad et d'exhorter le président syrien à demander une enquête indépendante sur l'utilisation par la police d'une force meurtrière au sein de la prison et à rendre publique toute information concernant cette mutinerie, y compris le nombre de tués et leurs noms.