La radiation de 22 membres de l’Assemblée nationale, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle selon laquelle ils ne pouvaient pas siéger en tant qu’ « indépendants », soulève de sérieuses préoccupations à l’égard d’une politique de « deux poids deux mesures », sachant que d’autres députés indépendants qui soutiennent le gouvernement restent au Parlement, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les députés visés par cette mesure ont été élus en tant que membres du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), mais l’ont quitté ou en ont été exclus à la suite de divisions internes.
« Le CNDD-FDD tente une manœuvre pour stopper l’érosion de son pouvoir au Parlement », a déclaré Alison Des Forges, conseillère principale pour la division Afrique de Human Rights Watch. « L’aval donné par la Cour à cette manœuvre crée un précédent dangereux pour la vie politique dans l’avenir, en soulevant des craintes parmi les Burundais que les droits politiques fondamentaux puissent être arbitrairement supprimés. »
Le CNDD-FDD, ancien mouvement rebelle devenu parti politique en 2003, a remporté aisément les élections en 2005. En accord avec un système de représentation proportionnelle établi par la constitution et la loi électorale, le CNDD-FDD a remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Des luttes intestines ont divisé le parti en 2007 et bon nombre de membres de l’Assemblée ont quitté ses rangs. De plus, l’ancienne Première Vice-présidente de l’Assemblée nationale, Alice Nzomukunda, a été exclue du parti en 2008.
Avec la défection de 22 membres, le CNDD-FDD ne pouvait plus contrôler l’Assemblée nationale, laissant cette institution si paralysée qu’elle n’a pas adopté une seule loi au cours de la dernière session trimestrielle. A la requête du dirigeant du CNDD-FDD Jérémie Ngendakumana, le Président de l’Assemblée nationale, Pie Ntavyohanyuma, lui aussi membre du CNDD-FDD, a demandé à la Cour constitutionnelle, dans une lettre du 30 mai, de déterminer si des personnes ayant quitté le CNDD-FDD pouvaient continuer à siéger comme parlementaires à l’Assemblée nationale.
Après moins de deux jours de délibérations – avec une rapidité sans précédent, d’après des magistrats burundais – la Cour constitutionnelle a jugé le 6 juin que les anciens membres du parti occupaient leurs sièges en violation de la constitution. La Cour a appuyé sa décision en grande partie sur son interprétation de l’article 169 de la constitution, qui stipule que des candidats « ne peuvent être considérés comme élus et siéger à l’Assemblée nationale » si leur parti n’a pas obtenu au moins 2 pour cent du vote populaire. Les « indépendants » n’ayant pas recueilli plus de 2 pour cent des voix en 2005, les députés non-alignés tels que les 22 anciens membres du CNDD-FDD ne pouvaient pas rester à l’Assemblée.
Les 22 députés n’étaient pas les premiers à quitter leurs partis, mais ils ont été les premiers à être expulsés du Parlement en conséquence. En mars 2008, quand le parti d’opposition le Front pour la Démocratie au Burundi (Frodebu) a exclu plusieurs de ses membres qui étaient étroitement alignés avec le CNDD-FDD, ceux-ci ont été autorisés à conserver leurs sièges parlementaires. La législation électorale et constitutionnelle stipule que les députés peuvent perdre leurs sièges pour cause de décès, de démission, d’incapacité permanente, d’absences injustifiées, ou d’une peine de prison supérieure à 12 mois, mais il n’y a pas de disposition explicite pour exclusion à la suite de changements d’appartenance à un parti politique. Quand la constitution a été rédigée, ses auteurs ont envisagé mais rejeté une disposition qui aurait évincé les membres de l’Assemblée ayant changé d’affiliation à un parti. Beaucoup de juristes burundais interprètent l’article 169 comme étant applicable seulement pendant une élection.
Quand les députés ont été exclus du Frodebu, le Président de l’Assemblée Ntavyohanyuma n’a pas déposé de requête auprès de la Cour pour qu’elle examine leur statut. Il ne les a pas non plus mentionnés dans sa lettre du 30 mai, alors que la logique de la lettre aurait suggéré qu’ils avaient occupé leurs sièges inconstitutionnellement pendant des mois. A la suite de la décision de la Cour, le président du Frodebu a demandé le 9 juin au président de l’Assemblée de soumettre la question à la Cour, au 16 juin, Ntavyohanyuma n’avait toujours pas répondu à sa requête.
Des juristes burundais, des membres des partis d’opposition, des représentants de la société civile, des personnalités religieuses, et le Bashingantahe (un conseil d’anciens respectés), ont critiqué la décision de la Cour comme étant une interprétation délibérée et politiquement influencée de la constitution qui pourrait entraîner de futures violations des droits. L’un des députés exclus a déclaré à Human Rights Watch : « Vous perdez tout, vous perdez tout le pays si vous commencez à violer la constitution. » Des critiques ont suggéré que la partialité flagrante du Président de l’Assemblée nationale, Ntavyohanyuma, appelant à l’exclusion de députés renégats faisait partie d’une stratégie du CNDD-FDD pour s’accrocher au pouvoir afin d’être bien placé pour les élections prévues en 2010.
Plusieurs avocats et défenseurs des droits humains du Burundi se sont interrogés sur les raisons du silence de la communauté diplomatique à propos de cette décision. Un avocat a affirmé à Human Rights Watch : « Tout le monde a peur de 2010. Si le CNDD-FDD voit qu’il peut violer la constitution et que les diplomates gardent le silence, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent pour rester au pouvoir. Nous craignons une répétition de ce qui s’est passé au Kenya ou au Zimbabwe. »
La décision de la Cour n’est pas susceptible d’appel, mais dans un cas similaire antérieur, le président de l’Assemblée nationale a réintégré les députés exclus.
« Le CNDD-FDD devrait reconsidérer cette tentative d’élimination de ses concurrents », a dit Des Forges. « Les dirigeants du parti devraient encourager le président de l’Assemblée à faire preuve de son autorité pour réinstaller les dissidents au Parlement et pour commencer à s’occuper des problèmes urgents du peuple burundais. »