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(Paris)- Le gouvernement tchadien devrait inculper ou libérer les personnes arrêtées après la tentative de coup d’Etat en février dernier, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Huit personnes au moins, et peut-être davantage, sont encore détenues malgré la levée de l’état d’urgence le 15 mars.

Les forces de sécurité de l’Etat ont arrêté au moins 15 personnes et les ont retenues sans chef d’inculpation après la tentative de coup d’Etat par les rebelles tchadiens les 2 et 3 février, mais le nombre réel de personnes ainsi détenues est probablement plus élevé. Une enquête de Human Rights Watch au Tchad et au Cameroun a recueilli, de sources crédibles, de nombreux récits d’arrestations arbitraires. Toutefois, nombre de ces récits n’ont pu être vérifiés, souvent parce que les anciens détenus, des membres de leurs familles et des témoins ont refusé d’être interviewés par crainte de représailles gouvernementales.

« Le gouvernement tchadien utilise la récente tentative de coup d’Etat comme prétexte pour arrêter arbitrairement des gens qui n’ont aucun lien apparent avec l’insurrection », a déclaré Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les détenus devraient être immédiatement libérés ou inculpés. Ils devraient jouir de tous leurs droits, y compris celui d’avoir recours immédiatement à un avocat et de bénéficier d’une audience devant un juge impartial afin de déterminer la légalité de leur détention. »

Sur les 15 cas de détention arbitraire apparente étudiés par Human Rights Watch depuis la tentative de coup d’Etat, 11 concernent des membres de l’ethnie goran. Ceci fait craindre des incarcérations par le gouvernement en partie motivées par des raisons ethniques. Les Gorans sont majoritaires dans l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD), le groupe des rebelles tchadiens qui a mené la tentative de coup d’Etat. Le Tchad a déjà été le théâtre de violations perpétrées contre des civils appartenant à des ethnies particulières, dans le cadre du conflit qui oppose le gouvernement aux insurgés rebelles. Les recherches menées en 2007 par Human Rights Watch à Guéréda, région habitée par l’ethnie tama, ont confirmé que des civils tama au Tchad avaient été arbitrairement arrêtés et détenus par les forces de sécurité du gouvernement, suite à une tentative de prise de pouvoir en avril 2006 initiée par un groupe rebelle majoritairement tama.

Parmi les 11 personnes de l’ethnie goran détenues sans chef d’inculpation se trouve Mahamoud Adoum Aguid, qui appartient au même sous-clan goran des Anakaza que le chef des rebelles UFDD, Mahamat Nouri. Aguid, un retraité âgé de 59 ans qui fut le plus haut responsable des douanes du Tchad , a été arrêté par les forces de sécurité de l’Etat le 19 février. On est depuis sans nouvelles de lui. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que quatre hommes non armés et en civil avaient débarqué à 6 heures du matin au domicile d’Aguid, à N’Djamena, la capitale du Tchad. Ces hommes se sont présentés comme appartenant aux Renseignements généraux, une branche de la police nationale qui rend directement compte au Président tchadien, Idriss Déby Itno. Selon un témoin :

« Ils ont dit : ‘Venez avec nous ; vous êtes convoqué.’ Il [Aguid] a dit : ‘Qui vous envoie ?’ Ils ont dit : ‘On ne peut pas vous dire qui nous envoie.’ J’ai insisté. J’ai dit : ‘Vous l’emmenez où ? Comment pouvez-vous l’emmener sans nous dire où vous allez ?’ L’un d’eux a dit : ‘On est des R.G.’ Il [Aguid] est monté dans la voiture et ils sont partis. »

Un membre de la famille d’Aguid a suivi le véhicule, une Toyota Hilux blanche, n’appartenant pas à l’armée et ne portant pas de plaque d’immatriculation jusqu’au poste de police de Marjandafak, dans le deuxième arrondissement de N’Djamena. Un membre de la famille présent au poste de police a déclaré qu’Aguid avait été interrogé puis transféré au quartier général des Renseignements généraux à 15 heures.
« Je ne sais pas s’il est mort ou vivant », a déclaré à son sujet un membre de la famille d’Aguid. « Depuis son arrestation, je n’ai eu aucune nouvelle de lui. »

Human Rights Watch a précédemment recueilli des informations sur l’arrestation arbitraire de trois membres de l’opposition politique par les forces de sécurité du gouvernement. Deux de ces hommes politiques, Ngarlejy Yorongar et Lol Mahamat Choua, ont été libérés par le gouvernement alors qu’il n’y a toujours aucune nouvelle du troisième, Ibni Oumar Mahamat Saleh, considéré comme ayant « disparu ». Un Etat est coupable d’une disparition forcée lorsqu’il détient un individu tout en niant cette détention ou en refusant de communiquer des informations sur sa localisation. Human Rights Watch estime que les autorités tchadiennes sont entièrement responsables du sort de M. Ibni Saleh.

Des soldats ont torturé et maltraité les personnes qu’ils détenaient, a déclaré Human Rights Watch. Dans un cas étudié par Human Rights Watch, des soldats portant des uniformes correspondant à ceux de l’Armée nationale tchadienne (ANT) ont arrêté un jeune commerçant goran de 23 ans, le 4 février, à 18 heures à son domicile de N’Djamena. L’un des soldats a été identifié par des témoins comme étant Abakar Barh, neveu du Président tchadien Idriss Déby Itno et jeune frère du chef adjoint de l’état-major de l’armée. Les soldats ont emmené le détenu dans une maison du quartier de Klemat à N’Djamena qui avait été abandonnée et pillée pendant les combats dans la capitale, deux jours plus tôt. Le propriétaire de la maison a été identifié comme étant Abdurahman Bideye Déby, demi-frère du Président Déby. Là, les soldats ont frappé le détenu avec des câbles électriques qui l’ont blessé à vif, Human Rights Watch ayant pu constater les plaies. Avant d’être libéré un peu plus tard cette nuit-là, le détenu a affirmé à Human Rights Watch qu’il avait été conduit au poste de police de Marjandafak dans le deuxième arrondissement de N’Djamena, où il a été détenu avec neuf autres prisonniers. Deux d’entre eux avaient visiblement subi des abus pendant leur détention : l’un saignait abondamment d’une blessure à la tête alors que l’autre portait des traces de coups violents, avec un visage sérieusement enflé et une oreille pratiquement arrachée.

« Nous sommes inquiets parce que les détenus risquent d’être maltraités et torturés durant leur détention », a déclaré Gagnon. « Le Président et les responsables de haut rang devraient envoyer un message clair aux forces de sécurité leur signifiant que les abus ne seront pas tolérés. »
Le 14 février, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence et l’a prolongé de deux semaines le 29 février. Pendant l’état d’urgence qui a pris fin le 15 mars, les forces de sécurité ont assumé de larges responsabilités et ont pu arrêter et détenir des gens sans chef d’inculpation. Selon le droit international, cependant, le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou à des supplices, ainsi que la liberté de pensée, de conscience et de religion ne peuvent en aucun cas être limités, même pendant un état d’urgence.

« Le gouvernement s’est servi de l’état d’urgence comme d’une maigre justification pour piétiner les droits des citoyens », a déclaré Gagnon. « Il doit maintenant inculper les personnes détenues ou les libérer. »

Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les forces de sécurité de l’Etat avaient commis des abus lorsqu’elles ont perquisitionné, maison après maison, à la recherche de rebelles ou de biens pillés lors de la tentative de coup d’Etat de février. Des soldats ont perquisitionné des maisons sans mandat d’arrêt et ont volé et extorqué de l’argent et d’autres biens lors de ces fouilles. Human Rights Watch a recueilli des informations sur le viol de deux femmes par des soldats au cours de ces perquisitions le mois dernier.

« L’état de droit au Tchad, déjà précaire, s’est sérieusement détérioré au cours du dernier mois », a déclaré Gagnon. « Pendant ce temps, la communauté internationale est restée largement silencieuse. Les partenaires du Tchad doivent condamner les abus commis contre des civils et appeler le gouvernement tchadien à agir pour prévenir d’autres abus. »

Human Rights Watch a appelé le gouvernement tchadien à prendre des mesures immédiates pour mettre fin à la pratique des détentions arbitraires et des arrestations forcées. Le gouvernement devrait également s’assurer que toutes les personnes détenues par les forces de sécurité le sont dans des endroits identifiés comme étant des lieux de détention, que les registres sont à jour pour chaque détenu, avec notamment mention de la raison de la détention et de l’unité ou agence responsable. Toute personne détenue par les forces de sécurité doit être autorisée à contacter sa famille et bénéficier d’un accès sans entrave à un avocat.

Human Rights Watch a également appelé le gouvernement à enquêter rapidement et impartialement sur toutes les allégations faisant état d’implication policière dans des actes de violence, tortures, viols et autres abus, et à traduire en justice les responsables de ces actes.

Human Rights Watch a également appelé les partenaires du Tchad – la France, les Etats-Unis, la Chine et l’Union européenne – à faire pression sur le gouvernement tchadien pour qu’il libère ou inculpe toutes les personnes victimes de détention arbitraire.

Une commission d’enquête internationale (comprenant sept Tchadiens et un membre de chacune des organisations suivantes : l’Union européenne, l’Union africaine, la France, l’Organisation internationale de la francophonie) établie par le gouvernement tchadien le 27 février avec pour mandat de couvrir « l’agression soudanaise du 28 janvier-8 février » pourrait en théorie se pencher sur les récents abus étudiés par Human Rights Watch. Toutefois, Human Rights Watch a affirmé que la commission ne répond pas aux normes internationales en matière de commissions d’enquête et souffre d’un déficit d’indépendance et de crédibilité parce qu’elle est présidée par le président de l’Assemblée nationale tchadienne, un proche du Président Déby.

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