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Les normes internationales en matière de droits de l'homme ont grandi au parlement britannique où se décidait le sort du général Pinochet en 1998 et 1999. De nobles proclamations comme la Convention des Nations unies contre la torture ont ainsi été appliquées pour la première fois à un cas concret. En outre, on a fait appel à elles concernant un homme qui symbolisait une dictature impitoyable et dont les méthodes répressives avaient mis en marche, vingt-cinq ans auparavant, les forces même (défense des droits de l'homme, conventions et déclarations internationales) qui allaient mener à son arrestation et à ces audiences.

Les deux décisions prises par les lords, mettant un terme à l'immunité empêchant son arrestation et son extradition, ont eu un impact énorme sur le développement du système judiciaire international pour juger la répression. Les procès de Nuremberg avaient établi le principe légal selon lequel il ne devait pas exister d'impunité pour les coupables des crimes les plus graves, peu importe qui ils sont et où leurs crimes ont été commis. Ce principe fait aujourd'hui partie intégrante des conventions des Nations unies et du traité de la nouvelle Cour pénale internationale (CPI). Pourtant, jusqu'à l'arrestation de Pinochet en octobre 1998, bien peu d'Etats avaient eu le courage de mettre en pratique ces nobles principes. A l'époque, Human Rights Watch avait dépeint les décisions de la Chambre des lords comme "un rappel à l'ordre pour les dictateurs". Cependant, leur importance durable vient du fait qu'ils ont inspiré d'autres victimes. Elles pouvaient enfin espérer faire traduire leurs tortionnaires en justice.

L'arrestation de Pinochet à Londres a aussi renforcé un nouveau mouvement international ­ lancé par les massacres en Bosnie et au Rwanda et encouragé par la fin de la guerre froide ­ visant à mettre un terme à l'impunité pour les pires exactions. Après la création des tribunaux des Nations unies pour la Yougoslavie et le Rwanda, l'ONU a mis en place la CPI pour poursuivre en justice les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre graves lorsque les tribunaux nationaux ne sont pas capables ou pas désireux de le faire.

Même en Afrique, dont les populations sont depuis longtemps les victimes de cycles d'atrocités et d'impunité, "la justice internationale" est en marche. Sur l'insistance de l'Union africaine, le Sénégal a finalement accepté en juillet de poursuivre Hissène Habré, l'ex-dictateur du Tchad en exil, connu sous le nom du "Pinochet africain". Plus tôt cette année, Charles Taylor, du Liberia, a été livré par le président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, pour être jugé pour crimes de guerre par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. La CPI enquête actuellement sur les crimes présumés commis au Darfour, en Ouganda et en République démocratique du Congo.

Cependant, la ligne finale doit encore être franchie. Jusqu'à maintenant, les dirigeants occidentaux et surtout américains semblent être à l'abri de la justice internationale, entraînant les protestations de certains face à une justice à géométrie variable. L'affaire la plus importante pouvant faire jurisprudence actuellement est une plainte déposée le mois dernier en Allemagne contre Donald Rumsfeld, ex-secrétaire à la Défense des Etats-Unis, et contre d'autres décideurs, pour crimes de guerre présumés à Guantánamo et Abou Ghraib. Le rôle de M. Rumsfeld dans l'approbation de techniques d'interrogatoire illégales, comme l'intimidation de détenus au moyen de chiens de garde, ne fait plus de doute. Une version antérieure de l'affaire a été rejetée par un procureur allemand en février 2005, à la suite de pressions de la part des Etats-Unis, au motif que ceux-ci enquêtaient suffisamment sur les actes en question. Deux ans plus tard, alors que les officiers gradés américains impliqués dans le mauvais traitement de détenus s'en sont tirés sans aucune sanction, ce prétexte ne pourra plus être invoqué. Le traitement par l'Allemagne de l'affaire Rumsfeld nous dira si le "précédent Pinochet" s'applique aussi aux dirigeants de nations puissantes.

Quant au général Pinochet lui-même, son arrestation à Londres a ouvert un débat renouvelé au Chili relatif aux crimes du gouvernement militaire. Quand il est retourné au Chili, il a été confronté à des dizaines d'accusations criminelles. Son immunité a été levée dans six affaires de premier plan concernant des escadrons de la mort et des enlèvements, ainsi que la dissimulation de millions de dollars à l'étranger. Au moment de sa mort, il était assigné à résidence, profondément discrédité dans son pays. Pinochet est peut-être mort sans avoir été jugé, mais la justice l'a bien rattrapé.

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