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Cambodge : Assez de promesses vides, il faut des progrès tangibles

Les bailleurs de fonds doivent exiger du gouvernement qu'il respecte ses engagements

Cinq grandes organisations internationales d’Asie, d’Europe et des Etats-Unis ont déclaré aujourd’hui que les bailleurs de fonds internationaux du Cambodge devaient faire plus pour obliger le gouvernement de ce pays à respecter ses engagements à protéger les droits humains. Il faut également lutter contre la corruption, et assurer la protection des terres et des ressources naturelles essentielles à la vie de nombreux Cambodgiens.

Les ambassadeurs des pays donateurs – qui apportent au Cambodge la moitié de son budget annuel – doivent se retrouver à Phnom Penh jeudi prochain pour faire un bilan semestriel des progrès du gouvernement suite aux engagements de réformes pris lors de la dernière réunion.

La déclaration, publiée en commun par Human Rights Watch, Global Witness, FORUM-ASIA et la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), fait suite à une lettre
que le groupe a adressé aux donateurs au début de cette année, avant la réunion annuelle de leur Groupe Consultatif (GC) en mars.

« Depuis plus d’une décennie, le gouvernement cambodgien se moque des donateurs, promettant des réformes qu’il n’applique pas », affirme Brad Adams, directeur de la division Asie pour Human Rights Watch. « Ce ne sont pas les donateurs qui sont lésés par les attaques sur les défenseurs des droits du travail, un pouvoir judiciaire politisé et une corruption rampante, ce sont les citoyens cambodgiens pauvres et marginalisés qui paient le prix d’une mauvaise gouvernance et du peu d’insistance de la part des donateurs en faveur d’un changement. »

Les cinq organisations ont renouvelé leur appel invitant les donateurs à augmenter l'aide qu'ils apportent via des canaux non-gouvernementaux à la promotion des droits humains, du développement, de l'Etat de droit, de la lutte contre la corruption et de la liberté de la presse. Le soutien au budget de l'Etat et l'aide au développement devrait dépendre des facteurs suivants :

  • Garantir les droits des individus et des organisations, de défendre et promouvoir les droits humains, y compris le droit de critiquer et protester pacifiquement contre les politiques du gouvernement, conformément au Pacte sur les droits civils et politiques et à la Déclaration de l'Assemblée générale des Nations unies sur les Défenseurs des droits de l'Homme de 1998.
  • Abroger les dispositions concernant la diffamation, les écrits calomnieux, la désinformation, et toutes les autres dispositions du droit pénal qui criminalisent la liberté d'expression telle que protégée dans le droit international.
  • Créer un Comité national sur les élections indépendant et restructuré.
  • Libéraliser les règles de propriété des médias électroniques, y compris pour permettre aux diffuseurs de médias privés critiques d'être aussi puissants que les stations privées pro-gouvernementales.
  • Se conformer pleinement aux engagements pris par le Groupe consultatif 2004 de s'attaquer à la corruption et au mauvais usage des ressources naturelles et des autres biens publics. Cela implique notamment la révélation publique de toute l'information relative à la gestion des terres, des forêts, de la pêche et des ressources minérales, ainsi qu'à la localisation des zones de développement militaires.
  • Donner effet à l'engagement pris d'annuler tous les permis d'exploitation et concessions attribués illégalement.
  • Adopter des lois anti-corruption et sur la transparence des actifs conformes aux standards internationaux et nommer un auditeur externe international indépendant pour contrôler les finances du gouvernement.

Depuis la dernière réunion des donateurs en mars 2006, le gouvernement n’a fait aucun progrès tangible pour respecter ses engagements. Les tribunaux continuent d’organiser des simulacres de procès. Le gouvernement commet des abus en toute impunité, et la saisie des terres par des militaires haut placés et des intérêts privés se poursuit au même rythme.

« Les promesses du gouvernement cambodgien à réduire la pauvreté sont sans fondement si les paroles ne sont pas suivies par des actions » a déclaré Patrick Alley de Global Witness. « Les pays donateurs doivent expliquer clairement que la poursuite de l’aide dépend de la volonté du gouvernement cambodgien à tenir ses promesses. Dans le cas contraire, toute la mise en place de jalons pour la réforme n’est qu’une mascarade. »

Les Cambodgiens continuent de sombrer dans la pauvreté et d’être privés de leurs terres. Le gouvernement refuse de mettre fin à une corruption éhontée de la part des officiels et de réformer un système judiciaire qui a l’habitude de faire passer la politique en premier, de faire taire les critiques, et de dépouiller les gens de leurs terres. Au cours de leur dernière réunion, les pays donateurs ont insisté sur le fait que l’adoption d’une loi anti-corruption forte était le minimum qu’ils attendaient du gouvernement, mais même cette étape modeste – pourtant en discussion depuis 1995 – n’a toujours pas été franchie.

Depuis la réunion du GC en mars dernier, les plus hauts responsables du gouvernement n’ont cessé de passer des contrats illégaux permettant à des compagnies privées de déboiser les forêts sous prétexte du développement des plantations, portant atteinte aux moyens de survie des habitants locaux et ignorant le moratoire sur les coupes dans les concessions d’exploitation du bois. Il s’agit d’une violation de la Loi sur les Terres du Cambodge et d’un récent sous-décret sur les concessions économiques de terres, ces deux textes ayant étaient rédigés avec le soutien des pays donateurs.

En attendant, le gouvernement doit encore respecter ses engagements répétés à révéler publiquement des informations sur les concessions économiques de terres et annuler celles qui ont été accordées illégalement. Ce manque de transparence réduit encore le nombre de domaines, déjà rares, pour lesquels les Cambodgiens peuvent faire confiance à leurs responsables.

« Il y a un écart énorme entre les réformes promises par le gouvernement cambodgien à chaque réunion de donateurs et les difficultés quotidiennes auxquelles les Cambodgiens continuent à être confrontés » a déclaré Anselmo Lee, directeur exécutif de FORUM-ASIA. « Les donateurs doivent cesser d'envoyer des messages confus au gouvernement cambodgien en demandant des réformes tout en continuant à augmenter leur aide. Cette hypocrisie doit cesser de toute urgence ».

Les restrictions imposées par le gouvernement à la liberté d’expression et au droit de rassemblement – ainsi que des arrestations et persécutions des défenseurs des droits humains et des ressources naturelles – ont créé une atmosphère de répression, interdisant à de nombreux citoyens d’exprimer leurs doléances en public.

Des consortiums composés de parents de hauts responsables et d’unités militaires d’élite continuent d’exploiter illégalement le bois en toute impunité dans plusieurs provinces, et notamment Kompong Thom. Un parent du Premier Ministre, qui a tiré l’année dernière sur deux défenseurs des forêts appartenant à la population locale dans la commune de Tumring après que ceux-ci eurent tenté d’arrêter ses activités illégales, n’a toujours été ni arrêté, ni inculpé. Dans la même province, la société « HMH » a commencé à déboiser une surface de 5 000 hectares dans le cadre d’une opération illégale placée sous protection de soldats du gouvernement armés.

« De plus en plus de Cambodgiens sont réduits à la pauvreté à cause du pillage incontrôlé des forêts et des ressources naturelles du Cambodge, dont dépendent de nombreux villageois pour vivre » a déclaré Adams. « Dans le même temps, les habitants des zones rurales craignent de plus en plus de s'exprimer dans un environnement toujours plus répressif ».

La saisie des terres par des entreprises étrangères, des parlementaires et des personnes ayant des relations familiales ou commerciales avec des responsables gouvernementaux de haut niveau augmente sans cesse. Le mois dernier, par exemple, des villageois de Koh Kong manifestant contre une concession de terres contrôlée par l’homme d’affaires et sénateur CPP Ly Yong Phat, ont été attaqués par la police militaire. Les autorités ont empêché les défenseurs des droits humains enquêtant sur cet incident de parler aux villageois. Avec 20 000 hectares, la concession de Ly Yong Phat représente le double de la taille maximale autorisée par la Loi sur les Terres.

Cette année à Phnom Penh, le gouvernement a expulsé de force des milliers de familles, sous prétexte que les terres appartenaient à des entreprises privées ou qu’elles étaient nécessaires à des projets publics. Beaucoup de ces pauvres familles urbaines vivaient à cet endroit depuis plus de 10 ans. La police a fait une démonstration de force inutile lors de nombreuses expulsions. En juin dernier, par exemple, 600 officiers de la police miliaire en armes ont été envoyés pour expulser les habitants du village de Sambok Chap. Ensuite, les 1 000 familles déplacées ont été emmenées sur un terrain d’un hectare à 20 kilomètres de Phnom Penh, où il n’y a ni eau, ni sanitaires, ni maisons, ni électricité.

« Pour de nombreux Cambodgiens, posséder une terre à cultiver ou un endroit pour vivre à proximité de leur travail ou de services est une question de survie », a expliqué Sidiki Kaba, Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH). « Les donateurs peuvent soit rester immobiles pendant que les citoyens cambodgiens sont privés de leurs terres, sombrent dans la pauvreté et sont privés de leurs droits, ou alors ils peuvent exiger des actions concrètes – à commencer par la déclaration d’un moratoire sur les expropriations jusqu’à l’adoption et l’application de politiques globales sur le logement, la propriété et le relogement qui protègent réellement les droits et les conditions de vie des plus pauvres au Cambodge. »

Yash Ghai, Représentant Spécial des Nations Unies pour les Droits Humains au Cambodge, a récemment demandé à l’ensemble des donateurs de devenir beaucoup plus proactifs pour s’assurer que l’aide qu’ils donnent va réellement aux Cambodgiens :


    « La communauté internationale… porte la responsabilité particulière de soutenir le Cambodge et son peuple dans leur poursuite de la justice et de la responsabilité. Mais cet engagement doit être basé sur une analyse profonde et réfléchie des causes sous-jacentes de l’état désolant des droits humains et de la justice sociale au Cambodge…

    Fournir de l’aide s’accompagne de la responsabilité de s’assurer que cette aide va bien au peuple. La communauté des donateurs et la communauté internationale doivent donner la priorité aux droits humains et encourager activement leur respect. Il faut soutenir de manière énergique les populations pauvres et impuissantes et les organisations non-gouvernementales cambodgiennes qui défendent et travaillent en faveur des droits humains. S’appuyer sur l’assistance technique et le développement des compétences ou insister sur l’adhésion aux traités et protocoles sur les droits humains (aussi utiles soient-ils) ne suffit pas. Les nouvelles lois ou les institutions nouvellement créées ne sont pas plus la panacée étant donné que le gouvernement n’a tenu aucun compte des lois, ou bien qu’il les a détournées à son propre avantage au moyen de subterfuges… »


« Il est temps que les donateurs se posent des questions sérieuses : est-ce que leurs efforts assurent un respect de la loi qui protège les intérêts des Cambodgiens ordinaires des malversations des responsables corrompus ? Ou bien gaspillent-ils simplement l’argent de leurs contribuables tout en abandonnant leurs responsabilités envers les citoyens pauvres et privés de leurs droits qu’ils affirment pourtant vouloir aider », a déclaré Basil Fernando, directeur exécutif de la Commission Asiatique des Droits Humains.

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