Les hôpitaux publics burundais maintiennent régulièrement en détention des patients qui sont dans l’incapacité de régler leur facture, ont déclaré Human Rights Watch et l’Association burundaise pour la Protection des droits humains et des personnes détenues, dans un nouveau rapport publié aujourd’hui.
Cette pratique met en lumière les problèmes plus larges du secteur de la santé au Burundi, où les patients doivent payer pour se faire soigner, affirment les deux organisations. Elles appellent toutes les deux le gouvernement du Burundi à mettre un terme aux détentions et à faire de l’accès aux soins de santé pour tous les Burundais une partie centrale de son nouveau Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté.
« Maintenir en détention des patients pauvres parce qu’ils ne peuvent pas payer une facture punit les personnes sans ressources et viole les normes internationales en matière de droits de l’homme, » affirme Juliane Kippenberg, chargée de liaison avec les ONG de la division Afrique à Human Rights Watch. « C’est là un abus auquel les autorités burundaises se doivent de mettre un terme. »
Le rapport de 80 pages « Une santé chèrement payée : La détention des patients sans ressources dans les hôpitaux burundais », décrit en détail la façon dont les hôpitaux burundais ont maintenu en détention au cours de l’année 2005 des centaines de patients indigents, parfois dans des conditions inhumaines. Beaucoup de ces personnes étaient des femmes venues accoucher et qui devaient subir une césarienne non prévue. Dans certains cas, les responsables de l’hôpital ont refusé de continuer à prodiguer des soins aux personnes qui ne pouvaient pas payer leur facture et les ont obligées à libérer leur lit au profit de nouveaux patients plus aisés.
Des patients qui ne pouvaient pas payer leur facture ont été gardés prisonniers et se sont vus interdire de quitter l’hôpital, souvent pendant des semaines ou des mois, et même dans un cas pendant plus d’un an. Certaines personnes détenues ont vendu leurs bêtes ou leurs terres pour solder leurs comptes afin de pouvoir quitter l’hôpital. D’autres se sont échappées ou ont été secourues par des bienfaiteurs qui ont réglé leur facture. Le gouvernement du Burundi continue à maintenir en détention des patients indigents. Des centaines d’entre eux sont actuellement détenus dans les hôpitaux publics du pays.
Au Burundi, l’une des nations les plus pauvres du monde, il est courant que des patients n’aient pas assez d’argent pour payer des frais médicaux. Les plus vulnérables sont censés avoir une partie de leurs frais médicaux payée par le gouvernement, mais le système d’aide ne fonctionne pas réellement. De plus, le secteur de la santé au Burundi est miné par un financement largement insuffisant, ainsi que par la fraude et la corruption.
« Tandis que les autorités travaillent sur des stratégies de lutte contre la pauvreté, il est plus que temps qu’elles s’occupent du droit élémentaire aux soins pour tous les Burundais », déclare Jean-Baptiste Sahokwasama de l’APRODH.
Le 1er mai 2006, le gouvernement a pris une mesure positive en ordonnant que les soins soient prodigués gratuitement aux mères et aux jeunes enfants. Depuis lors, les hôpitaux ont autorisé les mères et les enfants en bas âge à quitter les hôpitaux sans payer leurs factures. Cependant, cette mesure a été mal préparée et a abouti à un afflux massif de femmes enceintes et d’enfants malades, pesant gravement sur les ressources des hôpitaux. Cette mesure n’a pas apporté de solution à d’autres patients insolvables qui sont toujours en détention.
« Les donateurs vont bientôt prendre des décisions importantes sur l’allègement de la dette et sur l’aide attribuée au Burundi, » déclare Sahokwasama. « Les fonds issus de l’allègement de la dette et de l’aide internationale devraient de toute urgence être attribués au secteur de la santé de sorte que les hôpitaux et les médecins puissent se consacrer à fournir des soins à tous ceux qui en ont besoin. »
Le travail de recherche de terrain pour ce rapport a été mené dans six hôpitaux burundais entre janvier et juin 2005. Le rapport s’appuie sur des entretiens réalisés avec plus de quarante patients détenus, ainsi qu’avec des membres du secteur de la santé et des responsables gouvernementaux.
Témoignages
Nous sommes arrivés à l’hôpital de Gitega le 15 juin 2004. A ce moment-là, j’étais démuni car les rebelles étaient venus chez moi et avaient presque tout pillé. J’ai été opéré là mais mon état ne s’améliorait pas. Trois mois après, ils sont venus me voir et m’ont dit de régler…1 750 000 FBU [1 750$]. Je ne vois pas comment j’aurais pu payer cette facture parce que je n’avais même pas une parcelle de terre à mettre en gage.
— David S., un paysan âgé de 32 ans et détenu à l’hôpital de Gitega après un accident de voiture.
J’ai dû venir à l’hôpital parce que j’avais besoin d’une césarienne. Quand j’ai reçu la facture, le médecin m’a dit : « Comme tu n’as pas payé, on va t’emprisonner ici ». La vie est difficile ici. Je ne peux pas partir avec mon bébé. Nous avons souvent faim ici. Je ne peux plus supporter cette situation.
— Christine K., une jeune femme de 18 ans détenue avec son bébé à la clinique Louis Rwagasore, à Bujumbura.
J’ai eu un accident avec une voiture, c’était une voiture des Nations Unies. Je jouais avec d’autres enfants et ils m’ont poussé dans la rue. Ma jambe a été détruite...J’étais en septième année d’école mais maintenant je ne vais plus à l’école du tout. Maintenant, je suis guéri, il y a seulement une petite blessure à gauche. Ma famille ne peut pas payer la facture. On m’a dit que je ne pourrai pas partir à moins qu’elle ne soit payée. Je suis détenu ici parce que je ne peux pas aller au-delà de la sortie. Les sœurs me donnent de la nourriture deux fois par jour.
— Félix M., un jeune garçon de 12 ans qui a été détenu pendant plus d’un an à l’hôpital Prince Régent Charles, à Bujumbura ; son père a dépensé les fonds qui lui avaient été versés pour régler les frais d’hôpital.
Je suis en détention parce que je ne peux pas trouver l’argent pour régler ma facture. Je ne peux pas m’en aller ni me déplacer librement. Je suis surveillée où que j’aille parce qu’ils pensent toujours que je pourrais m’évader. Mais ce n’est pas bon de s’enfuir. Quand ils vous attrapent, vous ne pouvez plus revenir vous faire soigner. Je serai punie pour cela.
— Félicité G., âgée de 17ans, mère d’un bébé atteint de malaria, et détenue à l’hôpital de Ngozi.