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RD Congo : Inquiétudes sur les charges retenues devant la CPI

Lettre commune au Procureur en chef de la Cour Pénale Internationale

M. Luis Moreno Ocampo  
Procureur  
Cour Pénale Internationale  
La Haye, Pays Bas  
 
Monsieur le Procureur,  

Nous représentons un groupe d'organisations de défense des droits humains impliquées dans le recueil et la publication d'informations relatives aux graves violations des droits humains commises en République Démocratique du Congo (RDC), ainsi que dans le soutien aux victimes de ces violations. Nous vous écrivons pour vous faire part de notre préoccupation suite à votre communication du 28 juin 2006, informant la Chambre préliminaire I de la suspension temporaire de l'enquête menée par votre Bureau, dans l'affaire contre Thomas Lubanga Dyilo. Dans cette communication, vous invoquez les limites posées à votre travail par la situation sécuritaire actuelle en Ituri. En conséquence, il apparaît que l'audience de confirmation des charges de M. Lubanga, prévue le 28 septembre 2006, ne portera que sur les charges aujourd'hui retenues dans le mandat d'arrêt, à savoir, l'enrôlement, la conscription et l'utilisation d'enfants soldats dans les rangs de l'Union des Patriotes Congolais (UPC).  

Nous nous félicitons de l'ouverture de la procédure contre Thomas Lubanga devant la Cour Pénale Internationale (CPI), qui constitue en effet une importante étape pour que de nombreuses victimes du conflit en Ituri obtiennent justice. L'enrôlement, la conscription et l'utilisation d'enfants soldats dans un conflit armé constituent des crimes graves qui doivent être condamnés et sanctionnés de façon adéquate. Cependant, beaucoup plus doit être fait.  
 
Selon les estimations des Nations unies, plus de 60 000 personnes ont été massacrées dans la seule région de l'Ituri au cours des six dernières années.1 Cette réalité exige que les personnes responsables des crimes les plus graves soient traduits en justice. Comme vous le savez, l'UPC que dirigeait Thomas Lubanga, a commis, en plus des crimes relatifs aux enfants soldats, nombre d'autres crimes graves en Ituri, et notamment des meurtres, des actes de torture et de violence sexuelle. Par exemple, entre février et mars 2003, les milices de l'UPC ont conduit une opération militaire de grande envergure, appelée « Chikana Namukono » dans les villages situésentre Lipri et Nyangaraye. L'opération, une véritable chasse à l'homme, a résulté dans l'assassinat d'au moins 350 personnes et la destruction totale de 26 localités. 2  
 
Nous ne comprenons pas qu'après deux ans d'enquête menée par votre Bureau en RDC, il n'ait pas été possible de retenir un tableau plus complet de charges contre Thomas Lubanga. Poursuivre les personnes responsables des crimes les plus graves commis en Ituri - y compris, mais pas seulement, M. Lubanga - pour d'autres crimes représentatifs de la situation, et pour lesquels de nombreuses preuves solides existent, est crucial tant pour les victimes de ces crimes, que pour mettre un terme à la culture d'impunité qui prévaut en RDC et dans la région des Grands Lacs. Nous estimons que l'incapacité à inclure des charges supplémentaires dans l'affaire contre Thomas Lubanga pourrait nuire à la crédibilité de la CPI en RDC. De plus, le caractère limité des charges retenues risque de restreindre sérieusement la participation des victimes dans ce premier procès devant la CPI. Cela pourrait également avoir des conséquences sur le droit des victimes à réparation.  
 
Nous estimons qu'en votre qualité de Procureur de la CPI, vous devez envoyer un signal clair aux victimes en Ituri et au peuple congolais, affirmant que ceux qui se livrent à des crimes tels que le viol, la torture et les exécutions sommaires seront tenus responsables de leurs actes. La capacité actuellement limitée du système judiciaire congolais à traiter des cas impliquant des crimes graves souligne encore davantage l'importance de la CPI pour garantir que ces crimes ne resteront pas impunis.  
 
Nous sommes conscients des défis que pose actuellement la situation sécuritaire précaire en Ituri. Toutefois, nous sommes préoccupés par le fait que vos équipes d'enquête et de poursuite travaillant sur la RDC ne disposent pas de personnels en nombre suffisant. Nous estimons qu'il est crucial que votre Bureau déploie des équipes d'enquête suffisamment importantes, et cela, dès que la situation en Ituri le permettra, afin de travailler efficacement. En attendant, nous exhortons votre Bureau à continuer son travail d'analyse des informations par ailleurs disponibles dans le but de renforcer l'enquête dans l'affaire l'affaire Thomas Lubanga.  
 
Nous apprécions la position que vous avez formulée dans vos récentes requêtes devant la Cour qui insistaient sur la nécessité pour votre Bureau de continuer l'enquête après l'audience de confirmation des charges de M. Lubanga.3 Cette question est actuellement pendante devant la Chambre d'appel.4 Nous appelons votre Bureau, dans l'hypothèse où la Chambre d'appel ferait droit à votre requête, à saisir cette opportunité et à poursuivre l'enquête contre M. Lubanga, non seulement en ce qui concerne les charges actuelles, mais également dans le but de présenter de nouvelles charges avant le début du procès.  
 
Au vu de l'impunité considérable, malgré certains progrès récents, qui règne en RDC, les victimes en Ituri ont placé en la CPI leur espoir de voir les crimes qu'elles ont endurés jugés. Si nous avons bien conscience que la CPI ne peut juger qu'un nombre limité de responsables, il est essentiel que les affaires jugées par la Cour soient, dans la mesure du possible, représentatives des crimes commis et de la haine qui les a suscitées. Ceci serait cohérent avec l'expérience des victimes, leur permettrait de découvrir la vérité sur les crimes endurés et maximiserait l'impact de la CPI sur les communautés les plus affectées en RDC.  
 
Nous vous sommes reconnaissants de l'attention portée à notre courrier, et vous prions d'agréer, Monsieur le Procureur, l'expression de notre considération.  

Signataires:  

Avocats Sans Frontières   
Center for Justice and Reconciliation   
Coalition Nationale pour la Cour Pénale Internationale - RCD   
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme   
Human Rights Watch   
International Center for Transitional Justice   
Redress   
Women's Initiatives for Gender Justice  
 



[1] Integrated Regional Information Networks, "DRC: UN agencies assist thousands displaced," 12 juillet 2006 [en ligne], http://www.irinnews.org/report.asp?ReportID=54567&SelectRegion=Great_Lak... (téléchargé le 24 juillet 2006).  
[2] Lettre du Secrétaire général des Nations Unies au Président du Conseil de sécurité, "Special Report on the Events in Ituri, January 2002-December 2003," 16 juillet 2004, para. 68 à 70.  
[3] Situation in the Democratic Republic of the Congo in the Case of The Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, International Criminal Court, Case No. ICC-01/04-01/06, Prosecution's Document in Support of the Appeal, July 5, 2006.  
[4] Situation in the Democratic Republic of the Congo in the Case of The Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, International Criminal Court, Case No. ICC-01/04-01/06, Decision on the Prosecution Motion for Reconsideration and, in the Alternative, Leave to Appeal (Pre-Trial Chamber I), 23 juin 2006.

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