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Excellences,  
 
Human Rights Watch encourage respectueusement l'Assemblée des Chefs d'Etats Africains du Septième Sommet de l'Union africaine des 1-2 juillet à Banjul, Gambie, à poursuivre dans la voie de son dévouement évident à la protection de la population civile africaine et à la lutte contre l'impunité. A cet égard, Human Rights Watch appelle l'attention de l'Assemblée sur deux sujets: la détérioration continuelle de la sécurité et le besoin de mieux protéger les populations civiles du Darfour et du Tchad, et d'autre part les obligations du Sénégal de traduire en justice Hissène Habré, l'ancien dictateur tchadien accusé de graves violations des droits de l'homme.  

La situation au Darfour est pire que jamais pour des millions de civils et s'étend maintenant au Tchad, avec la multiplication de raids transfrontaliers. La Mission de l'Union africaine au Soudan (AMIS), malgré ses intentions, a insuffisamment de ressources et de moyens pour satisfaire au besoin urgent de protéger les civils qui continuent d'être attaqués par les milices soutenues par le gouvernement soudanais. L'Union africaine doit s'assurer que l'AMIS prenne des mesures sérieuses pour améliorer la sécurité physique de plus de deux millions de personnes déplacées et des civils en danger au Darfour et dans l'est du Tchad. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union africaine a déclaré le 15 mai que le mandat de l'AMIS doit être réexaminé et que l'AMIS a besoin d'être renforcée, surtout en vue du travail additionnel nécessaire pour appliquer l'Accord de paix du Darfour. Le Conseil de Paix et de Sécurité a aussi déclaré que l'AMIS doit être renforcée avec des troupes supplémentaires, du personnel de la police civile, un soutien logistique et de capacité générale. Les états de l'Union africaine ainsi que ses partenaires devraient répondre à ces demandes sans délai et fournir toutes les autres ressources dont l'AMIS a besoin pour mieux protéger les civils, surtout des hélicoptères et des forces de réaction rapide en attendant la transition vers une mission/force des Nations Unies au Darfour au plus tard en 2006.  
 
Après que le Sénégal ait refusé de juger Hissène Habré, l'ancien chef d'Etat du Tchad a été inculpé pour son rôle présumé dans des milliers d'assassinats politiques, de torture et de graves crimes perpétrés à l'encontre des différents groupes ethniques du pays. Les autorités belges ont alors demandé au Sénégal son extradition. Suite au refus des tribunaux sénégalais de statuer sur la demande d'extradition formulée par la Belgique, le Sénégal a saisi l'Union africaine pour déterminer quelle était la " juridiction compétente" pour juger Habré. En Mai 2006, le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné le Sénégal pour manquement à son obligation de poursuivre ou d'extrader Hissène Habré et a demandé au Sénégal de garantir le jugement ou l'extradition de Habré. Human Rights Watch estime que l'extradition de Hissène Habré vers la Belgique constitue l'option la plus réaliste pour s'assurer que Hissène Habré réponde des crimes qui lui sont reprochés. Dans l'hypothèse où une « solution africaine » serait retenue, il conviendrait d'encourager le Sénégal à revenir sur sa position et à permettre la tenue du procès de Habré sur son territoire.  
 
La Mission de l'Union africaine au Soudan et sa transition vers une force des Nations Unies  
 
Les droits de l'homme  
 
Après plus d'un an de négotiations difficiles pour un accord de paix à Abuja, les médiateurs de l'Union africaine sont parvenus à un grand succès le 5 mai quand ils ont réuni le gouvernment soudanais et le principal groupe rebelle, le Mouvement/l'Armée de libération du Soudan (SLA/M) de Minni Minawi Arkau pour signer l'Accord de Paix de Darfour. La paroxysme de la médiation de paix de l'UA devait inaugurer une nouvelle époque au Darfour où les Nations Unies prendraient le rôle de l'AMIS pour la protection des civils ainsi que d'autres responsabilités. Mais le gouvernement soudanais a refusé la demande de l'Union africaine que les Nations Unies assume son mandat malgré que ce même gouvernement ait précédemment déclaré que les Nations Unies pourraient déployer des forces de maintien de la paix au Darfour, comme au sud du Soudan, après la signature d'un accord de paix.  
 
Renforcer la protection des civils  
 
Un personnel de plus de 7000 personnes d'origine africaine - venant principalement du Nigeria, du Rwanda, de l'Afrique du Sud et du Sénégal - ont été déployés au Darfour. On estime cependant à deux millions le nombre de civils, qui, depuis deux ans, sont toujours loins de leurs habitations à cause de la violence qui les force à rester dans des camps et dans des endroits isolés. En outre, plus de 1,3 million de personnes (plus de 50% de la population du Darfour) lourdement affectées par les trois années de violence qui ont détruit l'économie régionale, requièrent des milliards de dollars d'assistance d'urgence.  
 
Le « nettoyage ethnique » et son augmentation régulière au Darfour sont le fruit du gouvernement soudanais et de ses milices destructrices Janjaweed, milices que, selon l'Accord de Paix du Darfour, le gouvernement avait consenti à désarmer et à démilitariser. En outre, l'AMIS est de plus en plus défiée par les rebelles du SLA/M et du Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM). Ces groupes rebelles, ainsi que des forces non identifiées, ont lancé de nombreuses attaques sur des convois humanitaires et à l'encontre de civils en violation du droit international humanitaire.  
 
L'UA doit se concentrer sur le besoin de renforcer la protection des civils effectuée par l'AMIS en demandant de toute urgence des troupes supplémentaires aux pays de l'AU ainsi qu'une assistance financière et logistique des partenaires de l'AU pour soutenir ces troupes. Elle doit s'assurer que des stratégies de protection des civils offensives soient mises en place, comme par exemple la création de forces de réaction rapide ayant la capacité de faire cesser la violence contre les civils.  
 
Le Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA va considérer un mandat plus important pour l'AMIS. Ce mandat devrait réinsister sur le fait que l'AMIS a l'autorité et le devoir d'utiliser la force pour protéger les civils des attaques ou des menaces de violence, en mentionnant bien « l'usage de tous moyens nécessaires pour protéger les civils, y compris les travailleurs humanitaires. »  
 
Le Conseil de Paix et de Sécurité devrait requérir que l'AMIS publie les rapports de la commission de cessez-le-feu sans délai et abandonne la pratique du consensus en permettant aux parties au cessez-le-feu d'avoir leurs objections et leurs ajouts aux conclusions publiées simultanément avec le rapport.  
 
Le mandat doit clairement déclarer que l'AMIS est autorisée à soutenir les efforts pour désarmer, démilitariser, et neutraliser tout groupe armé, ainsi qu'à mettre en œuvre les actions prévues par l'Accord de Paix de Darfour (DPA).  
 
Mise en oeuvre des actions essentielles à la protection des civils prévues par le DPA  
 
L'AMIS doit prendre des mesures immédiates pour exécuter les sections du DPA qui incombent à l'AMIS, en particulier celles qui concernent le cessez-le-feu et les arrangements permanents de sécurité avec le but de faire cesser la violence au Darfour. Deux groupes rebelles plus petits n'ont pas encore signé le DPA: le JEM et la faction de Abdel Wahid Mohamed Nour du SLA/M. Cependant, le groupe SLA/M qui a signé représente la principale force rebelle militaire. L'UA et ses états membres doivent encourager le SLA/M et le gouvernement à exécuter leur accord d'Abuja du 5 mai sans plus de délai et selon l'horaire soigneusement négocié. Plus ils attendent pour se conformer au DPA, plus l'élan pour signer l'accord sera perdu -- et l'insécurité perdurera au Darfour.  
 
Les Etats de l'UA doivent insister sur le fait que les deux parties doivent répondre à certaines dates limites qu'ils ont déjà dépassées: par exemple, les parties devaient soumettre à la Médiation de l'Union africaine les dispositions de leurs forces et une liste des groupes armés et milices qui leur sont alliées ainsi que les positions connues des Janjaweed avant le 16 mai, qui était désigné comme le "jour J." Ceci sont des étapes essentielles avant le désarmement et la neutralisation des Janjaweed et des autres groupes qui menacent les civils.  
 
L'AMIS a mis sur pied la Commission de cessez-le-feu le 13 juin et maintenant doit établir une Equipe d'Exécution et un Comité de Coordination Logistique pour récolter les renseignements logistiques sur les rebelles (qui ont dépassé la date limite du 21 mai), pour développer, avec la Commission de cessez-le-feu, un plan pour maintenir l'ordre dans les zones de contrôle, les zones tampon, et les zones démilitarisées (ce qui aurait dû être accompli le 22 mai); et pour vérifier les positions des forces des parties sur le terrain, y compris leurs points forts (date limite reportée du 23 mai au 22 juin).  
 
L'UA a aussi un travail vital à accomplir selon l'Accord de février 2006 à Tripoli entre le Tchad et le Soudan pour se retenir de donner refuge ou d'assister ceux qui se rebellent contre l'autre état. Par cet accord, les forces de surveillance de l'UA devaient être déployées, cinquante de chaque côté de la frontière de 500 kilomètres entre le Tchad et le Soudan. Avant que ceci ait pu être accompli, les deux pays ont continué à soutenir les forces rebelles de l'autre état: le gouvernement soudanais aurait soutenu des rebelles tchadiens qui ont lancé une campagne militaire du Darfour jusqu'au Tchad et qui sont arrivés à la capitale N'Djamena le 13 avril. Bien que les rebelles tchadiens aient été défaits par des forces loyales au gouvernement tchadien, le Janjaweed soudanais et les rebelles tchadiens soutenus par le gouvernement soudanais ont continué à attaquer des  
civils tchadiens à l'intérieur du Tchad et ont massacré plus de cent personnes dans un ensemble de villages tchadiens en avril. Des individus et des groupes tchadiens qui sont dans le gouvernement tchadien ou qui sont associés au gouvernement continuent à soutenir les factions des rebelles au Darfour, malgré l'accord de paix arrangé par l'UA.  
 
Pour accomplir les responsabilités accrues du DPA, l'AMIS a besoin de beaucoup plus de personnel et de soutien financier, logistique, et autre de la communauté internationale. Ainsi, l'Union africaine ne doit pas hésiter de faire toutes les demandes nécessaires pour accomplir la mission.  
 
Recommendations à l'Union africaine et à l'AMIS

  • Travailler de toute urgence avec des donateurs et des forces nationales et multinationales pour obtenir des ressources logistiques et financières pour soutenir l'augmentation des forces, en  
    -appelant les Etats membres à contribuer plus de troupes et en appelant les partenaires de l'UA à fournir du soutien logistique pour une protection vigoureuse des civils pendant la transition à une force des Nations Unies.  
    -demandant de manière claire à la communauté internationale de prendre d'urgentes et de fortes mesures diplomatiques et autres pour obtenir la coopération et le consentement nécessaire du gouvernement soudanais pour le  
    déploiement des forces de l'ONU.  
  • Protéger agressivement les civils et les opérations humanitaires en attendant le déploiement de l'ONU, en déployant des forces de réaction rapide complètement équipées dans chaque secteur avec la capacité de répondre immédiatemment aux menaces imminentes contre les civils et les travailleurs humanitaires.  
  • Stationner cinquante troupes de chaque côté de la frontière tchadienne-soudanaise comme prévu par l'Accord de Tripoli, pour patrouiller activement les endroits au Darfour où les raids à travers la frontière sont présents et au Tchad où de telles attaques ont eu lieu; davantage de forces doivent être déployées de chaque côté de la frontière si les raids à travers la frontière ne cessent pas.  
  • Continuer de manière déterminée à exécuter pleinement le DPA, en particulier les aspects concernant la protection des civils par l'identification des forces et par la création de zones protégées.

L'affaire Hissène Habré  
 
Problèmes liés aux Droits de l'Homme  
 
Hissène Habré est accusé de s'être livré à des massacres et à des atrocités à grande échelle. Une Commission d'Enquête du Ministère Tchadien de la Justice, a estimé, en 1992, que le gouvernement Habré était responsable de l'assassinat de 40 000 individus et du recours systématique à la torture. Habré a persécuté, par période, différents groupes ethniques, notamment les Sara et d'autres groupes sudistes de 1983 à 1986, les arabes tchadiens, les Hadjeraïs en 1987 et les Zaghawas en 1989 et 1990, procédant à des arrestations collectives et des meurtres en masse. Les archives de la police politique de Hissène Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) fournissent un compte-rendu minutieux de la machine répressive du régime de Habré. Ces documents révèlent ainsi les noms de 12, 321 victimes d'abus de toutes sortes, dont 1,208 personnes mortes en détention.  
 
En février 2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène Habré pour crimes contre l'humanité et actes de torture. Pourtant, sous l'effet de pressions politiques, les tribunaux sénégalais se sont, par la suite, déclarés incompétents pour juger de crimes commis à l'étranger. Dans leur quête de justice, seuls les tribunaux belges ont donné suite aux plaintes des victimes en application de la loi belge dite « de compétence universelle » aujourd'hui abrogée. Le Tchad, qui ne souhaite pas le retour de Habré au pays, et qui, le cas échéant, ne pourrait lui garantir un procès équitable, a invité le juge belge en charge du dossier à poursuivre son enquête au Tchad et a levé l'immunité de juridiction dont pouvait se prévaloir Habré.  
 
L'année dernière, le juge belge, à l'issue d'une enquête préliminaire de quatre ans, a inculpé Habré et les autorités belges ont demandé au Sénégal son extradition. Après qu'un tribunal sénégalais ait refusé de statuer sur la demande d'extradition, le gouvernement sénégalais a saisi l'Union africaine afin "d'indiquer la juridiction compétente" pour juger Habré.  
 
En janvier, l'Union africaine, réunie en Sommet à Khartoum, a décidé d'instituer un Comité d'experts juridiques pour examiner les options disponibles pour le jugement de Hissène Habré, en tenant compte, entre autres éléments de référence, des « normes internationales en matière de procès équitable », de l' « efficacité en termes de coûts et de temps du procès », de l' « accès des victimes présumées et des témoins au procès », ainsi qu'en « privilégi[ant] un mécanisme africain ». Les juristes sont appelés a soumettre leurs conclusions au Sommet de l'Union africaine de juillet.  
 
Quel que soit l'issue de la consultation de l'Union africaine, le Sénégal demeure tenu juridiquement soit de poursuivre soit d'extrader Hissène Habré conformément à la Convention des Nations Unies contre la torture.  
 
Le Comité des Nations Unies contre la torture l'a rappelé dans sa décision en date du 18 Mai 2006. Saisi d'une plainte introduite par des victimes tchadiennes, le Comité a conclu que le Sénégal avait violé la Convention des Nations Unies contre la torture en manquant à son obligation de poursuivre ou d'extrader Habré et a requis du Sénégal qu'il garantisse le jugement ou l'extradition de Habré.  
 
Options pour le jugement de Hissène Habré  
 
L'extradition de Hissène Habré vers la Belgique constitue l'option la plus tangible, la plus réaliste et la plus opportune pour s'assurer que Hissène Habré réponde effectivement des accusations portées contre lui dans le cadre d'un procès juste et équitable. La Belgique est prête, disposée, et en mesure d'accueillir un tel procès. Si l'Union africaine ne retenait pas l'option de l'extradition vers la Belgique au motif qu'elle privilégie un mécanisme africain, l'Union africaine devrait s'assurer que le procès de Hissène Habré se déroule au Sénégal, en fixant à ce dernier une échéance afin qu'il procède aux amendements législatifs nécessaires permettant d'organiser un tel procès. D'autres solutions, telles que la mise sur pied d'un nouveau tribunal africain ad hoc pour juger Habré, restent, en effet, des solutions trop lointaines, trop aléatoires et de surcroît trop coûteuses.  
 
Certains ont insisté sur l'importance de juger Hissène Habré en Afrique. C'était bien évidemment l'intention première des victimes lorsqu'elles ont porté plainte contre Habré au Sénégal en 2000. Le Sénégal n'a pourtant pas saisi cette opportunité puisqu'il a refusé la même année de poursuivre Habré. Par ailleurs, ni le Tchad (qui ne pourrait de toutes les manières lui garantir un procès équitable) ni aucun autre pays africain n'a demandé l'extradition de Habré depuis que ce dernier a quitté le pouvoir il y a déjà 15 ans.  
 
Recommandations à l'Union africaine:  

  • Appeler le gouvernement du Sénégal à s'acquitter de ses obligations internationales et à se conformer aux dispositions de la Convention contre la Torture en jugeant l'ancien dictateur tchadien ou en l'extradant.

En conclusion, c'est l'avis de Human Rights Watch que la Mission de l'Union africaine au Soudan a été une mission valable. Nous vous encourageons à assurer que les accomplissements de l'Union africaine concernant sa médiation de l'Accord de Paix de Darfour et concernant sa protection des civils au Darfour ne soient pas diminués par le manquement d'apporter un fort soutien international nécessaire pour l'exécution de l'accord et pour l'amélioration de la protection des civils durant la transition à une mission de l'ONU au Darfour.  
 
De plus, nous vous invitons à appeler le gouvernement sénégalais soit à juger Habré soit à l'extrader vers la Belgique.  
 
Je vous prie de bien vouloir agréer, Excellences, l'expression de ma haute considération,
 
Peter Takirambudde  
Directeur de la division Afrique

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