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Tchad : un ex-complice de Habré réintègre l’administration

L’ancien haut responsable de la Sûreté Nationale vient d’être nommé au Ministère de l’Infrastructure. Il avait pourtant été inquiété il y a quelques années en raison d’une l’agression contre l’avocate des victimes de Habré.

Mahamat Wakayé, un des hauts responsables de la Sûreté Nationale sous le régime de Hissène Habré, vient d’être nommé par décret présidentiel au poste de directeur de la sécurité routière, fluviale et lacustre au sein du Ministère de l’Infrastructure.

Mahamat Wakayé, directeur adjoint de la Sûreté Nationale sous Hissène Habré, avait longtemps occupé le poste de directeur de la police judiciaire au gouvernement d’Idriss Déby Itno avant d’être révoqué en août 2005 suite à un arrêté ministériel relevant de leurs postes les anciens responsables de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS).

Le poste de directeur de la sécurité routière n’est pas un emploi subalterne mais une position qui donne beaucoup de pouvoir de coercition à son titulaire. Pendant le régime de Hissène Habré, cette administration est accusée d’avoir pratiqué la torture et d’avoir fait disparaître de nombreux opposants. La nomination de Mahamat Wakayé à de telles fonctions fait peser un risque réel sur les victimes de Hissène Habré en ces temps d’incertitude qui règnent au Tchad.

Alors qu’il était déjà directeur de la police judiciaire, Wakayé avait été jugé avant d’être relaxé en 2003 pour l’agression contre Maître Jacqueline Moudeina, l’avocate des victimes de Habré dans le dossier déposé devant le Tribunal de N'Djaména contre les anciens agents de la police politique de Habré, au rang desquels figurait Mahamat Wakayé.

En juin 2001, Jacqueline Moudeïna, qui participait à un rassemblement pacifique de femmes devant l’ambassade de France, avait été grièvement blessée par les éclats d’une grenade et avait dû être évacuée vers la France où elle avait reçu des soins pendant plus d'un an. Elle est toujours aujourd’hui handicapée par ses blessures et des dizaines d'éclats de grenade n'ont pu être retirés de ses jambes. Mahamat Wakayé, accusé d'avoir donné l'ordre à ses hommes de tirer la grenade sur l'avocate, avait été déféré devant le Tribunal correctionnel et de Simple Police de N'Djaména. A l’issue d’un procès de trois mois, Wakaye avait été relaxé en Novembre 2003 en dépit de solides preuves recueillies à son encontre. En hommage à son courage et à son travail exceptionnel, Jacqueline Moudeïna a reçu, à Genève, le prestigieux prix Martin Ennals décerné chaque année à un défenseur des droits de l'Homme.

Les victimes de la dictature Habré ont condamné fermement cette nomination et ont reproché au gouvernement tchadien de revenir sur les promesses faites aux victimes en août 2005.

« C’est une véritable provocation du gouvernement envers les victimes. Nos tortionnaires et nos tueurs nous côtoient chaque jour sans être inquiétés par la justice de notre pays auprès de laquelle nous avons depuis longtemps déposé nos plaintes » s’indigne Ismaël Hachim Abdallah, président de l’Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP) qui représente plus de 1000 victimes de Habré. «Nous avions au moins obtenu l’année dernière que certains d’entre eux soient enfin révoqués de la fonction publique et voilà maintenant qu’ils reviennent par la petite porte ! La justice tchadienne est incapable de les juger et l’administration les réintègre. C’est scandaleux ! » ajoute Ismaël Hachim.

Suite à la publication d’un rapport de Human Rights Watch en juillet 2005 dénonçant les noms de 41 personnes emblématiques de l’ère Habré qui occupaient toujours des postes de responsabilité au sein de l’État tchadien, le gouvernement tchadien avait annoncé en août de la même année son intention de démettre de leurs fonctions tous les complices de l’ancien dictateur tchadien.

Mahamat Wakayé et cinq autres anciens complices de Habré, avaient ainsi fait l’objet d’une révocation immédiate. Le gouvernement tchadien avait confirmé ces mesures dans une lettre envoyée le 18 août 2005 à Human Rights Watch, où il annonçait que tous les complices de Habré seraient relevés de leurs postes en attendant leur jugement et où il promettait d’informer Human Rights Watch lorsque tous auraient été révoqués.

Human Rights Watch redoute que cette récente nomination de Wakayé soit annonciatrice d’un retour des anciens complices de Habré à des postes de responsabilité dans l’actuel gouvernement à un moment où la situation au Tchad est extrêmement confuse.

Le gouvernement avait également précisé dans cette lettre à l’attention de Human Rights Watch qu’il allait rapidement d’une part examiner un projet de loi relative à l’indemnisation des victimes du régime Habré et d’autre part construire un monument à mémoire des victimes dès lors que les fonds nécessaires auront été trouvés.

Human Rights Watch constate qu’aucune de ses deux promesses n’a, par ailleurs, été honorée.

Rappel

L'affaire des anciens membres de la DDS: Le 26 octobre 2000, dix-sept victimes du régime Habré avaient porté plainte au Tchad pour torture, meurtres et " disparitions " contre des anciens membres de la DDS, y compris Mahamat Wakayé, identifiés individuellement par chaque victime. La Cour Constitutionnelle du Tchad avait fait annuler une déclaration d'incompétence du juge d'instruction en charge du dossier et avait décidé que les tribunaux de droit commun étaient en effet compétents pour entendre ces plaintes. L'instruction a finalement pu commencer devant un autre juge d'instruction au mois de mai 2001. Des dizaines d'autres victimes ont, par la suite, également porté plainte contre leurs tortionnaires directs. Le juge d'instruction a déjà entendu des dizaines de victimes et procédé à plusieurs confrontations entre les victimes et leurs tortionnaires.

Depuis l’instruction piétine. Le juge d’instruction tchadien a manifesté à répétition son besoin de moyens financiers supplémentaires, et surtout d’une protection adéquate afin de poursuivre son enquête concernant des figures politiques toujours puissantes.

Lors d’une réunion du Conseil extraordinaire des Ministres le 14 mai 2003, le Ministre de la Justice avait informé le Conseil des démarches entreprises par le juge d’instruction en vue de solliciter le soutien du Gouvernement tchadien. Le Ministre avait soutenu que la procédure concernant l’affaire Hissène Habré rencontrait des difficultés de tous ordres: financiers, humains et sécuritaires. Le Conseil des Ministres s’était alors « engagé à tout mettre en œuvre pour ne pas entraver le cours de la justice, afin que la vérité sorte au grand jour et que le procès aboutisse ».

Le gouvernement avait réitéré sa promesse dans sa lettre envoyée à Human Rights Watch en août 2005.

Malgré cet engagement réaffirmé du gouvernement tchadien, aucune aide financière ni protection n’ont encore été apportées afin que le juge d’instruction puisse mener son enquête dans de bonnes conditions.

Fiche détaillée de Mahamat Wakaye

Les fonctions et les actions de Mahamat Wakayé au sein de l’appareil répressif du régime Habré sont amplement établies par des documents officiels tirés des archives de la DDS découvertes par Human Rights Watch à N’Djaména en 2001.

Sous Hissène Habré, Mahamat Wakayé a été Directeur adjoint de la Sûreté Nationale (nommé en juillet 1989). Auparavant, il avait été Commissaire adjoint à l’aéroport, Commissaire de police stagiaire (nommé le 25 octobre 1983), Commissaire au Commissariat du deuxième arrondissement, puis Commissaire central adjoint pour la ville de N’Djaména.

Abbas Abougrene, ex-agent de la DDS, a déclaré devant la Commission d’Enquête que Mahamat Wakayé faisait partie de la Commission chargée de l’arrestation des membres de l’ethnie Hadjaraï en 1987.

Mahamat Wakayé a déclaré devant la Commission d’Enquête que durant les années Habré, les éléments de la Sûreté Nationale ont prêté main forte à la DDS pour des arrestations, des tortures et des exécutions. Les personnes arrêtées par la Sûreté Nationale étaient transférées aux bureaux de la DDS souvent après interrogatoires et tortures. Mahamat Wakayé a aussi déclaré qu’il savait « comme tout autre citoyen que toute personne arrêtée à la DDS [avait] très peu de chance de sortir… » Il a ajouté qu’il recevait des ordres d’arrestations directement de Hissène Habré.

Sous l’actuel gouvernement, Mahamat Wakayé a été successivement Directeur de la Police Judiciaire, ex-Contrôleur Général de Police puis ex-Commissaire Central pour la ville de N’Djaména avant d’être révoqué par arrêté ministériel en août 2005.

En juin 2001, Jacqueline Moudeïna, qui participait à un rassemblement pacifique de femmes devant l’ambassade de France, avait été grièvement blessée par les éclats d’une grenade et avait dû être évacuée vers la France où elle avait reçu des soins pendant plus d'un an. Elle est aujourd’hui toujours handicapée par ses blessures et les dizaines d'éclats de grenade n'ont pu être retirés de ses jambes.

Plusieurs témoins ont affirmé que Monsieur Mahamat Wakayé, commissaire central de N'Djaména au moment de la manifestation, avait donné l'ordre à des policiers sous son contrôle de tirer une grenade sur Jacqueline Moudeïna.

Monsieur Mahamat Wakayé fait l’objet de poursuites pénales notamment pour crimes de torture, de meurtre et "disparition", précisément engagées par Maître Moudeïna au nom des victimes du régime de Hissène Habré.

Suite à leurs agressions en juin 2001, Maître Moudeïna ainsi que d’autres manifestantes, ont déposé plaintes avec constitution de partie civile devant le Tribunal correctionnel et de Simple Police de N'Djaména. L’instruction avait piétinée pendant près de deux années avant d’être réactivée en 2003. Lors de son témoignage, Mahamat Wakayé avait rejeté les accusations à son encontre, déclarant d'une part avoir été déchargé de ses responsabilités au cours même de la manifestation, et d'autre part avoir agi sur les ordres de ses supérieurs, En septembre et octobre 2003, plusieurs hauts responsables de la police avaient été auditionnés, en particulier les supérieurs de Mr Wakaye, soit Ramadane Erdebou, Mahamat Amat Djy et Mahamat Bechir Cherif. Ils avaient témoigné que les événements s'étant déroulés durant le rassemblement pacifique de juin 2001 relevaient de la responsabilité de Mahamat Wakaye Ils avaient d’autre part, affirmé que la manifestation dans laquelle Maître Moudeïna participait était illégale. En effet, selon eux, suite aux élections présidentielles de 2001, le Ministre de l'Intérieur avait interdit, par un communiqué à la radio et à la télévision, toutes manifestations et attroupements sur le territoire. Human Rights Watch avait alors dénoncé les arguments apportés et discutés lors de ces audiences qui s’étaient principalement concentrés sur la légalité ou non de la manifestation et non sur le fait que les forces de l'ordre avaient fait usage de la force contre Maître Moudeïna. Le 11 novembre 2003, le tribunal de N’Djaména a relaxé Mahamat Wakayé.

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