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Chine: violence et intimidation endémiques à l'encontre des pétitionnaires

Fonctionnaires et dénommés “chiens d'arrêt” bloquent les plaintes des citoyens

(Hong Kong, le 8 décembre 2005) — Des milliers de citoyens, qui adressent aux autorités chinoises des pétitions pour réparer des griefs, sont attaqués, battus, menacés et intimidés, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui. Les activistes et représentants cherchant à aider ces pétitionnaires sont également battus et arrêtés.

Le rapport de 89 pages, intitulé “We Could Disappear at Any Time: Retaliation and Abuses against Chinese Petitioners” (“Nous pourrions disparaître à tout moment: les représailles et sévices à l'encontre des pétitionnaires chinois”), est la première étude approfondie sur le traitement des citoyens chinois qui voyagent vers Pékin. Ces derniers y vont pour demander l'approbation, ou obtenir des réponses à leurs plaintes concernant des mauvais traitements infligés par des fonctionnaires. Cette recherche a été menée en Chine.

“Les pétitionnaires ouvrent une porte sur la myriade de problèmes relatifs aux droits de l'homme et aux problèmes sociaux en Chine,” a déclaré Kenneth Roth, Directeur exécutif de Human Rights Watch. “Si l'on veut comprendre les troubles en Chine, il suffit de voir l'objet des plaintes des pétitionnaires et le parcours qu'ils doivent endurer pour obtenir justice.”

Le système de pétition en Chine a une longue tradition culturelle et historique, datant des débuts de l'empire chinois. Administré par le biais de règlements nationaux et locaux, il permet aux gens ordinaires de faire formellement des réclamations sur des sujets aussi divers que la brutalité de la police, les saisies illégales de terrains, les problèmes d'infrastructure ainsi que la corruption.

Aujourd'hui en Chine, des pétitionnaires organisent souvent des "sit-in" devant Zhongnanhai, le quartier où vivent et travaillent les dirigeants chinois, et essaient de fourrer les pétitions dans leurs limousines. Des milliers d'autres pétitionnaires se pressent devant les bureaux nationaux de pétitions dans les rues de Pékin, brandissant des pancartes. Leurs nombres grossissent durant les grands événements politiques, comme les conventions nationales politiques ou les visites de dirigeants étrangers.

Dix millions de pétitions ont été déposés en 2004, mais malgré ce chiffre sidérant le succès semble être assez rare. Une récente étude a déterminé que seuls trois des deux mille pétitionnaires interrogés ont réussi à résoudre leurs problèmes.

“[L'officier de police] m'a dit, ‘Nous’ nous sommes déjà beaucoup occupés de cette question. Nous avons vu un grand nombre de ces lettres. Elles ne sont toutes que du papier gâché, sans utilité. Vous pouvez aller où vous voulez, présenter l'affaire à qui vous voulez. Allez à l'ONU si vous voulez!... Nous finirons pas venir vous arrêter,’” a témoigné un pétitionnaire interviewé par Human Rights Watch.

Les pétitionnaires, pour beaucoup des populations rurales disposant d'une formation minimale et de faibles ressources, viennent souvent à Pékin pour fuir la violence subie dans leur région et chercher un recours de dernier ressort. Pendant qu'ils attendent que leur pétition soit présentée à Pékin, beaucoup d'entre eux tombent dans des embuscades organisées dans la rue par des agents de sécurité en civil qui les frappent et les enlèvent. Beaucoup d'entre eux sont renvoyés dans leur province d'origine, emprisonnés et même torturés. Certains des pétitionnaires, qui ont parlé à Human Rights Watch, ont perdu l'usage de leurs membres en raison des tortures subies en détention. Les auteurs des abus sont généralement des employés du gouvernement ou des personnes qui agissent en toute impunité.

Beaucoup des violences et abus commis à Pékin à l'encontre des pétitionnaires proviennent des efforts déployés par les autorités régionales, par crainte de voir ternir leur propre dossier aux yeux des autorités nationales et, pour empêcher les résidents des provinces d'aller porter leurs plaintes dans la capitale.

Les pouvoirs locaux envoient des agents de sécurité en civil, surnommés les "chiens d'arrêt" [jiefang renyuan] pour attaquer et intimider les pétitionnaires et les forcer à retourner dans leur province d'origine. La police de Pékin joue également un rôle pour étouffer la menace d'un mécontentement croissant ; elle fait raser les bidonvilles de Pékin dans lesquels vivent les pétitionnaires et regroupe ces derniers pour les remettre aux "chiens d'arrêt", fermant les yeux sur la violence des représailles. Pour Human Rights Watch, ces abus nécessitent des mesures urgentes pour protéger les pétitionnaires des violences et mauvais traitements.

"Les récits d'abus que nous avons entendus - et que nous rapportons d'après les propos des pétitionnaires eux-mêmes - font froid dans le dos" a ajouté Roth. "Ce type de traitement maladroit soulève la colère de la population qui subit déjà des abus comme la corruption et la brutalité de la police".

Bien que de nouveaux règlements relatifs aux pétitions aient été publies en mai 2005, ils semblent avoir peu d'effet pour contenir les dénommés "chiens d'arrêt" et empêcher leurs abus. Alors que ces nouvelles réglementations ont été présentées comme un signe de réforme, pour Human Rights Watch, elles n'ont pas réussi à apporter une justice de base à un système déjà marqué par les dysfonctionnements.

Il existe actuellement, en Chine, un débat vigoureux pour abolir ou perpétuer cette institution.
Ceux qui veulent la rejeter invoquent son caractère intrinsèquement arbitraire et son incompatibilité avec la protection des droits de l'homme et le développement de l'Etat de droit. D'autres suggèrent sa révision et son maintien car elle offre, au chinois de base, peut-être la seule voie juridiquement sanctionnée d'exprimer des doléances qui seraient dans de nombreux cas qualifiées de politiques.

Pour beaucoup, pétitionner offre l’illusion de dédommagement alors qu’il amène uniquement les abus et la pauvreté. Human Rights Watch a déclaré que dans un système politique indifférent à la responsabilité envers ses propres citoyens, le gouvernement et le parti sont souvent en dehors des vraies réalités ou des opinions des gens ordinaires. Avec d’autres chaînes pour lever les réclamations, et sans une liberté de la presse ou de droit de liberté d’association ou d’assemblée, le gouvernement chinois et le parti communiste chinois utilisent le système de pétition comme une soupape de sûreté afin de maintenir la stabilité sociale.

“Dans un système, à un seul parti politique, ne tolérant pas de contestations, la pétition est une des seules manières que les chinois ordinaires doivent utiliser pour exprimer leurs réclamations,” a indiqué Roth. “En utilisant ou en permettant la violence afin d’étouffer les réclamations, les autorités sont effectivement en train de fermer au public ce qui représente l’un des seuls champs politiques dans le pays. Ils devraient s’apercevoir que cela met en danger la seule chose qu’ils sont en train d’essayer de protéger- la stabilité sociale.”

Annexe: Sélection de témoignages extraits de “Nous pourrions disparaître à tout moment”

Le cas de Melle Kang commença lorsque son mari, blessé dans une usine d’Etat, fut incapable de récupérer la compensation assurée des travailleurs. Prétendant une corruption officielle dans la gestion de l’usine, Melle Kang a commencé à pétitionner, et finalement a apporté sa plainte jusqu’à Pékin. En 2002, elle fut capturée là-bas et ramenée à Jilin:

[A Jilin], j’ai passé seize jours en maison de détention. Ils m’ont attachée les mains et les pieds à une chaise, avec des chaînes. Je ne pouvais pas du tout bouger. Tout était enflé, mes mains, mes pieds. Tout s’était engourdi. Ils m’ont battue et je ne pouvais pas le supporter. C’était très dur. Après 16 jours, j ai été condamnée à un an de travaux de rééducation. C’était le premier mois du nouvel an lunaire (à peu près février 2002)..., J’y ai été battue 4 fois parce que je ne mangeais pas…

L’histoire de Monsieur et Madame Jiang a commencé quand ils ont prétendu que des fonctionnaires de leur village avaient volé 540.000 RMB [soit $66.000 dollars américains] par corruption. Mr Jiang a raconté à Human Rights Watch ce qu’il s’est passé ensuite :

A 20h, le soir du 30 décembre, les lignes électriques et téléphoniques de ma maison ont été coupées. Le secrétaire adjoint du parti [communiste] du village a apporté les [loubards] sur sa moto, jusque chez moi. Le vice secrétaire était juste en train d’attendre dehors, sur sa moto, jusqu'à ce que les hommes me mettent en bouillie pour l’emmener chez lui. Il [le vice secrétaire] a donné aux hommes 10.000 yuan [soit $1.200 dollars américains] pour me battre à mort. Le secrétaire adjoint du village les a payé pour me tuer. Ils ont organisé cela, ce jour-là après le déjeuner.

Ming, un pétitionnaire de Shanxi qui vit dans le village des pétitionnaires de Pékin avec son fils de onze ans, a déclaré que, lorsqu’il a soulevé l’intérêt public sur des tentatives, par le secrétaire du parti de son village, pour assumer les multiples positions contradictoires du gouvernement, le secrétaire du parti a ordonné son exécution :

A 19h, le 31 janvier 2002, cinq ou six personnes sont venus chez moi. Ils avaient apporté un marteau en fer. Ils sont entrés et n’ont rien dit. Ils n’étaient pas de notre village, je ne les avais jamais vu avant, c’étaient des loubards. D’abord ils ont frappé ma femme et la femme de mon jeune frère à la tête avec le marteau. Ils étaient en train de venir vers moi, mais ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire. Mon frère a frappé [un agresseur] sur la tête avec une chaise, et ensuite quand la chaise fut cassée, il l’a battu à mort avec le pied de la chaise…

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