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Côte d’Ivoire : Les milices pose toujours une menace pour les civiles

Le Conseil de sécurité de l’ONU doit renforcer la protection des civiles

(New York, le 3 mai 2005) — Dans le fragile processus de paix de la Côte d’Ivoire, de nouvelles attaques contre des civils pourraient entraîner une spirale soudaine d’atteintes aux droits humains qui serait difficile à contrôler, déclare Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le 4 mai, le Conseil de Sécurité des Nations Unies débattra de l’extension du mandat de la mission de maintien de la paix des Nations Unies dans le pays.

Human Rights Watch a appelé le Conseil de Sécurité à augmenter les effectifs des forces internationales de maintien de la paix, en particulier dans l’éventualité où le dernier accord de paix, signé à Pretoria le 6 avril entre le gouvernement ivoirien et les groupes rebelles, serait rompu et où les hostilités reprendraient. Le Conseil de Sécurité devrait aussi faire appliquer des sanctions contre les responsables de graves atteintes aux droits humains.

Le rapport de 35 pages, “Un pays au bord du gouffre : La précarité des droits humains et de la protection civile en Côte d’Ivoire,” documente les incidents militaires récents qui illustrent la précarité de la situation en Côte d’Ivoire. Le rapport montre aussi comment la prolifération permanente des milices et la pratique par le gouvernement de discours incitant à la haine et à la violence mettent les populations civiles en risque constant.

“Il y a de grands espoirs pour que le dernier accord de paix apporte des améliorations à l’égard des droits humains en Côte d’Ivoire,” a déclaré Peter Takirambudde, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch. “Mais si l’accord de Pretoria échoue, comme ce fut le cas des tentatives précédentes, les conditions pourraient rapidement devenir désastreuses pour les civils.”

Le rapport examine l’offensive du gouvernement en novembre contre le nord du pays contrôlé par la rébellion, qui a été suivie d’importantes émeutes anti-Français à Abidjan et d’affrontements ethniques à Gagnoa. Il détaille aussi la façon dont l’attaque du 28 février par les milices soutenues par le gouvernement contre la ville de Logouale contrôlée par les rebelles a déclenché des affrontements inter ethniques entre des groupes indigènes et des ouvriers agricoles immigrés, dont le bilan a été de 16 morts, a poussé plus de 13 000 villageois à fuir et laissé plusieurs villages en proie aux flammes.

Human Rights Watch a découvert qu’au cours du dernier trimestre les forces du gouvernement avaient entraîné et équipé les forces des milices, dont des mercenaires libériens, afin de raviver la guerre contre les rebelles des Forces Nouvelles. Le gouvernement recourt de plus en plus à des milliers de miliciens mal entraînés et mal contrôlés qui ont commis des crimes graves en toute impunité, s’en prenant surtout aux personnes originaires du nord, aux musulmans et aux immigrés ouest-africains. Le rapport relève aussi les abus récents commis par les rebelles des Forces Nouvelles à l’encontre de présumés opposants du gouvernement, allant jusqu’à la torture et aux exécutions sommaires.

Human Rights Watch a appelé le Conseil de Sécurité des Nations Unies à améliorer sérieusement les conditions de protection pour les populations civiles en Côte d’Ivoire. Premièrement, le Conseil de Sécurité devrait approuver et déployer des effectifs en renfort de la mission des Nations Unies pour le maintien de la paix en Côte d’Ivoire (UNOCI). Deuxièmement, il devrait appliquer des sanctions économiques et d’interdiction de voyager contre les individus responsables de graves violations des droits humains, ou qui “incitent publiquement à la haine et à la violence,” telles que ces sanctions ont été autorisées dans la résolution 1572 du Conseil de Sécurité le 15 novembre 2004. Troisièmement, dans l’éventualité où la situation en Côte d’Ivoire se détériorerait, le Conseil de Sécurité devrait autoriser l’UNOCI à réaliser les préparatifs de blocage des transmissions de discours haineux visant à inciter à la violence contre les populations civiles.

Une force des Nations Unies comprenant environ 6000 soldats de maintien de la paix et 4000 militaires français plus lourdement armés patrouille une zone tampon entre le nord du pays contrôlé par les rebelles et le sud contrôlé par le gouvernement. Dans un rapport des Nations Unies de décembre 2004, le Secrétaire général Kofi Annan a déclaré que cette force était trop réduite pour assurer le maintien de la paix et la protection des civils et a demandé 1200 soldats en renfort et des équipements, mais au Conseil de Sécurité, cette requête s’est heurtée à l’opposition des Etats-Unis pour des motifs budgétaires.

“Les attaques contre des civils qui ont suivi les récents combats illustrent les défis rencontrés par des forces de maintien de la paix trop dispersées,” a déclaré Takirambudde. “Les casques bleus sont déployés de façon trop lâche et trop légèrement équipés pour faire face à des attaques multiples accompagnées d’agitation civile ou de violences entre communautés. Le Conseil de Sécurité doit approuver les renforts sans tarder.”

Human Rights Watch a noté qu’un des résultats de la série d’initiatives de paix ayant échoué en Côte d’Ivoire a été la réticence de la communauté internationale à imposer des sanctions ciblées ou à encourager les poursuites judiciaires contre des dirigeants militaires et politiques de toutes les parties au conflit accusés de crimes de guerre. Ces mesures ont été suspendues de crainte qu’elles puissent nuire aux efforts visant à mettre un terme à l’impasse militaire et politique.

Human Rights Watch a appelé le procureur de la Cour Pénale Internationale à préparer le terrain pour une enquête sur les crimes de guerre commis par toutes les parties au conflit armé ivoirien. Le procureur de la Cour Pénale Internationale, agissant sur une requête du gouvernement ivoirien datant de septembre 2003 pour traduire les rebelles en justice, a déclaré en janvier qu’il enverrait une équipe en Côte d’Ivoire. Cette enquête devrait être menée en vue de poursuivre les suspects de violations des droits humains et du droit humanitaire international, commises par les forces du gouvernement, les milices soutenues par le gouvernement et par les forces rebelles.

“La logique consistant à mettre la justice en suspens en vue d’un arrangement final évasif refuse aux victimes le droit de voir tenus pour responsables de leurs actes les auteurs de crimes graves contre les droits humains,” a déclaré Takirambudde. “Au contraire, cette stratégie semble encourager les auteurs des crimes perpétrés en Côte d’Ivoire.”

Contexte

La junte militaire de 1999-2000 et le conflit armé entre le gouvernement et les rebelles basés au nord du pays en 2002-2003 ont été marqués par les atrocités commises tant par les forces rebelles que gouvernementales, telles que les exécutions politiques, les massacres, “les disparitions” et la torture. La large impunité contre toute poursuite dont jouissent toutes les forces armées, mais en particulier les milices pro-gouvernementales, a débouché sur des incidents de plus en plus fréquents de violences contre des civils. Le climat politique et social est devenu de plus en plus polarisé et se caractérise par l’intolérance, la xénophobie et la suspicion, portant à craindre ce qui pourrait se produire en cas de reprise des hostilités sur une grande échelle.

Les efforts de médiation du Président Sud-Africain Thabo Mbeki ont conduit à la signature d’un accord par toutes les parties le 6 avril, qui a de fait engagé toutes les forces à désarmer et à travailler en vue des élections du mois d’octobre. Les progrès dans la médiation, qui était parrainée par l’Union Africaine, avaient été lents jusqu’à la rencontre présidée par Mbeki à Pretoria, qui avait été lancée comme une dernière tentative de sauver la Côte d’Ivoire d’un retour à une guerre totale.

Les observateurs politiques demeurent sceptiques quant aux chances d’application de l’initiative conduite par l’Union Africaine et signée à Pretoria, étant donné que les deux accords de paix précédents — Linas-Marcoussis en janvier 2003 et Accra III en juillet 2004 — n’ont jamais décollé. Le bon vouloir de Gbagbo d’adhérer à la proposition de Mbeki d’ouvrir le choix des candidats, et d’inclure de cette façon son principal rival politique, demeure la question essentielle entre les chances de mettre un terme à la guerre et une reprise des hostilités.

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