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La Commission des droits de l'homme de l'ONU, en session à Genève jusqu'au 22 avril, vit son dernier souffle si l'on en croit le rapport du Secrétaire général de l'ONU rendu public le 20 mars dernier à New York. L'intervention de Kofi Annan doit faire aujourd'hui au Palais des Nations devant les 53 membres de la commission risque d'être on ne peut plus insolite, puisqu'il présentera sa proposition d'éliminer ce même forum afin de le remplacer par un Conseil des droits de l'homme plus efficace.

D'une manière courageuse, Kofi Annan a conclu dans un rapport très attendu que la seule manière de faire face aux critiques et aux faiblesses de cette commission était de l'abolir! A sa place, il propose un «Conseil des droits de l'homme qui siégerait de façon permanente, au lieu de six semaines par année», ce qui lui permettrait d'agir plus efficacement face aux multiples crises dans le monde. Pour bien distinguer ce conseil de la commission de 53 Etats membres, Kofi Annan propose qu'un nombre moins important d'Etats «respectant les plus hauts standards des droits de l'homme» y siègent.

La conseillère fédérale Micheline Calmy Rey, ainsi que des experts et défenseurs des droits de l'homme, sont à l'origine de cette proposition. Elle s'est rendue elle-même à New York en septembre dernier pour proposer cette idée à un panel de personnes éminentes chargées d'établir «les dangers, défis et changements» auxquels l'ONU devra faire face dans les prochaines années. Ce rapport offre une série de propositions portant sur quatre aspects d'une réforme future de l'ONU, y compris la réforme du Conseil de sécurité, sur les problèmes liés à la lutte contre le terrorisme, ainsi que sur les dysfonctionnements de la Commission des droits de l'homme. Il est question de «l'érosion de la crédibilité et du professionnalisme de la commission», ce qui n'est pas monnaie courante dans le langage onusien.

En effet, ainsi que l'a démontré le rapport, de plus en plus de pays siègent à la commission dans l'unique but de mieux se protéger contre les critiques.

Pour bon nombre de défenseurs de droits de l'homme, une commission ainsi cooptée ne peut plus dénoncer les violations les plus graves dans le monde. Elle est incapable de répondre présent pour les victimes des droits de l'homme au Soudan, dans la région nord-ouest du Darfour, en Tchétchénie, ou même en Chine, en Iran, au Zimbabwe ou à Guantanamo. La liste est longue.

Dans son rapport intitulé «Plus de libertés: vers le développement, la sécurité et les droits de l'homme pour tous», Kofi Annan met en avant l'égale responsabilité qu'a la communauté internationale face au développement, à la sécurité et aux droits de l'homme. Il propose que le nouveau conseil soit un des organes principaux de l'ONU tels que le sont le Conseil de sécurité ou le Conseil économique et social, afin de rendre aux droits de l'homme leur place prépondérante dans la Charte de l'ONU, ou alors plus modestement que cet organe soit dépendant de l'Assemble générale.

Un Conseil des droits de l'homme qui se réunit toute l'année permettra d'offrir plus de suivi face aux graves crises des droits de l'homme, en demandant des comptes aux Etats, et en écoutant les experts et rapporteurs indépendants de l'ONU ainsi que la société civile, deux groupes trop souvent ignorés de nos jours. Cette capacité d'agir ouvre également la voie pour plus de travail de prévention, en alertant les pays concernés de l'attention de la communauté internationale. De nos jours, les Etats souffrent peu des conséquences de leurs abus et du manque de mise en œuvre des recommandations de la communauté internationale. Ceci contribue à un climat d'impunité des Etats violateurs et laisse les victimes des droits de l'homme largement impuissantes. En ayant plus d'autorité, ce nouveau conseil pourrait agir et communiquer avec le Conseil de sécurité dans des cas de menaces envers la paix et la sécurité ainsi qu'avec l'Assemblée générale, le seul organe universel de l'ONU.

Qui siégera dans ce conseil et comment ses Etats membres seront-ils désignés? D'après Kofi Annan, les membres seront élus par une majorité de deux tiers de l'Assemblée générale et non sur la base des désignations au sein des groupes régionaux comme c'est le cas aujourd'hui. Ces arrangements régionaux sur la base de liste fermée ont permis la réélection du Soudan au sein du groupe africain alors même que l'on y découvrait de nombreux charniers, l'année dernière.

De plus, les pays candidats pourront être mis en concurrence sur la base de la mise en œuvre des obligations face au système des droits de l'homme. Ont-ils ratifiés les traités les plus importants en matière de droits de l'homme? Sont-ils à jour sur leur rapport de mise en œuvre des traités ratifiés? Ont-ils acceptés de coopérer pleinement avec les Nations unies, y compris avec les enquêteurs ou rapporteurs indépendants? Permettent-ils une société civile et une presse indépendante? Peut-être serait-il judicieux d'envisager que des pays qui ont eux-mêmes vécu une transition importante d'un Etat sous l'emprise d'un dictateur ou d'un système autocratique puissent siéger dans ce conseil afin de faire part de leur expérience.

Ironiquement, pour bon nombre d'observateurs, c'est grâce au succès passé de la Commission des droits de l'homme qu'elle se retrouve aujourd'hui en danger. Le meilleur moyen de faire honneur au travail acharné de cette même commission, qui lanca la Déclaration universelle des droits de l'homme sous la présidence d'Eleanor Roosevelt et qui fut l'organe principal de développement du corps de droits et de normes, c'est de s'assurer que les Etats les mettent en œuvre.

La Suisse, pays ami des droits de l'homme, devra se trouver des alliés parmi la communauté internationale afin de s'assurer que cette proposition d'un Conseil des droits de l'homme figure parmi les priorités lors du Sommet du Millénaire à New York cet automne. Il faut espérer qu'en proposant une série de réformes, Kofi Annan permette à chaque Etat d'y trouver son compte, facilitant l'adoption de l'agenda le plus radical et le plus courageux depuis la création de l'ONU.

Car c'est maintenant au tour des Etats de démontrer leur sens du devoir et leur responsabilité face à cette organisation internationale, en soutenant l'ensemble des propositions de réforme de l'ONU de Kofi Annan. Chaque Etat devrait y trouver son compte, que se soit pour un siège permanent au Conseil de sécurité, pour davantage d'aide au développement ou encore pour un organe prêt à faire face aux violateurs des droits de l'homme.

L'adoption de cet agenda marquera un tournant décisif au sein des Nations unies. En effet, les enjeux sont de taille pour les victimes et les défenseurs des droits de l'homme dans le monde et nous espérons que bon nombre d'Etats répondront présent.

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