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Tchad : Le directeur de la police judiciaire relaxé dans l'affaire de l'agression contre l'avocate Jacqueline Moudeïna

Le complice d'Hissène Habré était accusé d'avoir tenté de tuer l'avocate des victimes de la dictature Habré

Le directeur de la police judiciaire du Tchad Mahamat Wakaye a été relaxé aujourd'hui des accusations portées contre lui dans l'affaire de l'agression de Jacqueline Moudeïna, avocate des victimes de l'ex-dictateur tchadien Hissène Habré.

Mahamat Wakaye, qui fut directeur adjoint de la Sécurité Nationale pendant la dictature de Hissène Habré et qui est l'actuel directeur de la police judiciaire, a été relaxé aujourd'hui par le Tribunal correctionnel et de Simple Police de N'Djaména alors qu'il était accusé d'avoir donné l'ordre à ses hommes de tirer une grenade sur l'avocate Jacqueline Moudeïna lorsque cette dernière participait à une manifestation pacifique de femmes devant l'ambassade de France le 11 juin 2001. Jacqueline Moudeïna est l'avocate des victimes de la dictature Habré qui ont déposé des plaintes devant le Tribunal de N'Djaména contre les ex-agents de la police politique, parmi lesquels Mahamat Wakaye.

Les organisations de défense des droits humains condamnent fermement ce verdict.

" Le simple fait qu'un tel procès ait eu lieu et que des hauts responsables de la police aient eu à s'expliquer est déjà une grande victoire pour le respect des droits humains au Tchad ", a déclaré Reed Brody, directeur adjoint de Human Rights Watch et qui a assisté à une partie du procès. " Cependant, ce verdict, injustifiable au regard des faits, confirme que les complices de Hissène Habré, dont plusieurs occupent toujours des positions importantes au sein de la haute administration tchadienne, sont encore au-dessus de la loi. "

Les débats tenus lors des audiences qui ont commencé en septembre dernier avaient démontré que Jacqueline Moudeïna participait à une manifestation de femmes visant à dénoncer les irrégularités qui auraient été constatées lors des élections présidentielles, et que c'est à ce moment-là que la police l'a identifiée. Plusieurs témoins entendus avaient affirmé que Mahamat Wakaye, commissaire central de N'Djaména au moment de la manifestation de femmes, a donné l'ordre à des policiers sous son contrôle de tirer une grenade sur Jacqueline Moudeïna.

Lors de son témoignage, Mahamat Wakaye avait contesté avoir donné un tel ordre mais s'était montré très confus dans ses explications. En effet, il avait déclaré d'une part avoir été déchargé de ses responsabilités au cours même de la manifestation, et d'autre part avoir agi sur les ordres de ses supérieurs. Refusant d'abord de donner les noms des supérieurs, il avait été contraint, grâce à la pugnacité des avocats de Maître Moudeïna, de révéler leur identité au tribunal à la fin de l'audience du 9 septembre dernier. Il s'agit de Ramadane Erdebou, Directeur de la Sécurité Publique au moment des faits et actuel Préfet de Dabada, de son adjoint Mahamat Amat Djy qui conserve toujours le même poste, et de Mahamat Bechir Cherif, Directeur Général de la Sûreté Nationale au moment des faits et actuel Gouverneur du Logone Occidental.

Suite aux audiences de septembre, le Tribunal de N'Djaména a décidé la réouverture des débats pour octobre dernier afin d'entendre les trois supérieurs révélés par Mahamat Wakaye. Sur commission rogatoire, les trois superviseurs, soit Ramadane Erdebou, Mahamat Amat Djy et Mahamat Bechir Cherif, ont témoigné que les événements s'étant déroulés durant la manifestation pacifique relevaient de la responsabilité de Mahamat Wakaye. Même s'ils ont soutenu que dans une situation pareille, " on ne peut pas accuser individuellement un agent… [puisque] la police a agi conformément à la loi [lors d'une] manifestation interdite ", ces trois témoins ont clairement affirmé qu'ils n'avaient pas dessaisi Mahamat Wakaye de ses fonctions ce jour-là et qu'en tant que Commissaire central, il était responsable de la sécurité de la ville.

Le 4 novembre dernier, le Tribunal de N'Djaména a auditionné deux de ces trois supérieurs. Ils ont affirmé que la manifestation de femmes dans laquelle Maître Moudeïna participait était illégale. En effet, selon eux, suite aux élections présidentielles de 2001, le Ministre de l'Intérieur avait interdit, par un communiqué à la radio et à la télévision, toutes manifestations et attroupements sur le territoire. Les arguments apportés et discutés lors de cette audience se sont concentrés sur la légalité ou non de la manifestation, ce qui, selon Reed Brody de Human Rights Watch, n'affecte en rien le fait que les forces de l'ordre ont fait usage de la force contre Maître Moudeïna.

En juin 2001, Jacqueline Moudeïna, ainsi que d'autres manifestantes, avait été grièvement blessée par les éclats de grenade et avait dû être évacuée vers la France où elle avait reçu des soins pendant plus d'un an. Elle est toujours handicapée par ses blessures et des dizaines d'éclats de grenade n'ont pu être retirés de ses jambes. En hommage à son courage et à son travail exceptionnel, Jacqueline Moudeïna a reçu, à Genève, le prestigieux prix Martin Ennals décerné chaque année à un défenseur des droits de l'Homme.

Lors du procès, Jacqueline Moudeïna était défendue par Maître Jean-Bernard Padaré, du barreau tchadien, et vice-président de la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme, ainsi que par Maître William Bourdon, du barreau de Paris, avocat très impliqué dans la défense des victimes de violations massives des droits humains au Chili, au Rwanda, en Algérie, en Tunisie et en Iran.
Pour William Bourdon, "Le travail de Jacqueline Moudeïna est une remise en cause permanente du pouvoir conservé au sein du régime actuel par ceux qui ont terrorisé le Tchad pendant les années Habré".

Human Rights Watch continue de demander au gouvernement tchadien de veiller à ce que les anciens agents de la sinistre police politique d'Hissène Habré -la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS)- travaillant toujours au sein de l'appareil sécuritaire tchadien ne puissent pas user de leur pouvoir ou de leur influence pour entraver la marche de la justice. Dès 1992, la Commission d'enquête sur les crimes et détournements de l'ex-Président Habré recommandait d'ailleurs " d'écarter de leurs fonctions, dès la publication de ce rapport, tous les anciens agents de la DDS réhabilités et engagés " dans le nouvel appareil sécuritaire de l'Etat.

Rappel :
L'AFFAIRE HISSENE HABRE : Les investigations dans le cadre de l'enquête sur les plaintes pour violations graves des droits humains déposées en Belgique contre l'ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, se poursuivent activement suite à la commission rogatoire menée par un juge d'instruction belge en février-mars 2002 au Tchad. Habré, le " Pinochet africain" et Président du Tchad de 1982 à 1990, vit maintenant en résidence surveillée au Sénégal, où il a été inculpé il y a trois ans de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente pour le juger. En novembre 2002, le gouvernement tchadien a adressé une lettre au juge belge afin de lever toute immunité que Hissène Habré aurait pu invoquer. Le 5 août dernier, le parlement belge a abrogé sa loi de compétence universelle, mais grâce à des dispositions transitoires, ces modifications n'affectent pas le cas Habré.

Pour plus d'informations sur l'affaire Habré, consultez le site de Human Rights Watch : https://www.hrw.org/french/themes/habre.htm

L'AFFAIRE DES ANCIENS MEMBRES DE LA DDS : Le 26 octobre 2000, dix-sept victimes du régime Habré avaient porté plainte au Tchad pour torture, meurtres et " disparitions " contre des anciens membres de la DDS identifiés individuellement par chaque victime. La Cour Constitutionnelle du Tchad avait fait annuler une déclaration d'incompétence du juge d'instruction en charge du dossier et avait décidé que les tribunaux de droit commun étaient en effet compétents pour entendre ces plaintes. L'instruction a finalement pu commencer devant un autre juge d'instruction au mois de mai 2001. Depuis, des dizaines d'autres victimes ont également porté plainte contre leurs tortionnaires directs. Le juge d'instruction a déjà entendu des dizaines de victimes et procédé à plusieurs confrontations entre les victimes et leurs tortionnaires.

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