(Beyrouth) – Un tribunal tunisien doit entendre en appel, le 17 novembre 2025, 37 personnes injustement condamnées en avril à de lourdes peines de prison dans le cadre d’une affaire de « complot » aux motifs politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Parmi elles, quatre personnes sont en grève de la faim, dont une qui, d’après ses avocats, a subi des violences physiques en prison le 11 novembre.
Les accusés ont été inculpés en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la loi antiterroriste de 2015, de comploter en vue de déstabiliser le pays. Ayant examiné les documents judiciaires de l’affaire, Human Rights Watch a constaté que ces accusations étaient injustifiées et qu’elles n’étaient pas fondées sur des éléments de preuve crédibles. Le tribunal devrait immédiatement casser les condamnations abusives et libérer tous les détenus, a déclaré Human Rights Watch.
« Toute cette affaire n’est qu’une mascarade, des accusations infondées au processus judiciaire dépourvu des garanties d’un procès équitable », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités devraient mettre fin à ce simulacre de justice, qui s’inscrit dans une répression plus globale de toute forme de critique ou de dissidence. »
Le 19 avril, le Tribunal de première instance de Tunis avait condamné les 37 personnes, dont des opposants du président Saied, des activistes, des avocats et des chercheurs, à des peines de prison comprises entre 4 et 66 ans pour « complot contre la sûreté de l’État » et actes de nature terroriste. Elles avaient été reconnues coupables après seulement trois audiences, sans bénéficier des protections d'une procédure régulière. Trois autres accusés n’ont toujours pas été jugés en raison de procédures en cours devant la Cour de cassation.
Le 24 octobre, des avocats de la défense ont appris que la première audience se tiendrait à distance, par vidéoconférence, le 27 octobre. Les accusés actuellement en détention n’en ont été informés que le jour même de l’audience, tandis que les autres accusés n’ont pas reçu de convocation, a confié une avocate à Human Rights Watch. Le 27 octobre, l’audience a été reportée au 17 novembre.
Jaouhar Ben Mbarek, un activiste politique condamné en avril à 18 ans de prison, a commencé une grève de la faim le 29 octobre pour protester contre sa détention arbitraire. Il n’a pas reçu de soins médicaux appropriés en détention, a déclaré sa sœur et avocate Dalila Msaddek. La Ligue tunisienne des droits de l’homme et plusieurs avocats ont fait part de leur inquiétude au sujet de son état de santé, ce que les autorités carcérales ont nié. Dans une vidéo publiée sur Facebook, Msaddek a déclaré que le 11 novembre, son frère avait été emmené dans une zone sans caméras de surveillance de la prison de Belli pour y être passé à tabac par six autres détenus et cinq gardiens. Il a des ecchymoses sur le corps et une côte cassée, a-t-elle déclaré.
L’homme politique Issam Chebbi et l’avocat Ridha Belhaj, qui se sont vu infliger la même peine que Ben Mbarek, ont également commencé une grève de la faim, respectivement les 7 et 8 novembre. L’activiste politique Abdelhamid Jelassi, qui a été condamné à treize ans de prison, a lui aussi débuté une grève de la faim le 10 novembre.
Le procès d’avril s’était tenu sans les principaux accusés, ce qui les a privés d’une réelle opportunité de présenter leur défense. Le Tribunal de première instance de Tunis et le procureur avaient avancé qu’il existait un « danger réel » et jugé certains accusés par vidéoconférence. La plupart des accusés ont refusé d’être jugés par écran interposé.
Les autorités judiciaires prévoient de mener la procédure d’appel à nouveau par vidéoconférence, d’après le comité de défense. La pratique des audiences à distance est intrinsèquement abusive puisqu’elle viole le droit des détenus à être physiquement présents devant un juge qui pourra évaluer la légalité de leur détention ainsi que leur santé. Le droit international relatif aux droits humains, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, proclame que toute personne a le droit d’être présente à son procès.
Douze accusés sont actuellement en détention. Certains demeurent en liberté en Tunisie tandis que d’autres, qui sont à l’étranger, ont été jugés par contumace. Nombre de ceux qui ont été condamnés avaient été arrêtés au départ en février 2023 et placés de façon abusive en détention provisoire pendant plus de deux ans, bien au-delà de la durée maximale de 14 mois autorisée par la loi tunisienne. La majorité d’entre eux n’ont été présentés qu’une seule fois devant un juge d’instruction pendant cette période.
Le gouvernement a lancé des représailles contre les avocats de la défense de cette affaire, ce qui porte encore plus atteinte aux droits des accusés à une procédure régulière, a déclaré Human Rights Watch. Le 21 avril, Ahmed Souad, un avocat défendant certains des accusés, a été arrêté et inculpé de terrorisme et de « diffusion de fausses informations », en vertu des lois sur le contreterrorisme et la cybercriminalité, pour avoir mis en doute l’indépendance de la justice à la suite du procès. Son procès s’est tenu en son absence, n’a duré que quelques minutes et le juge a délibéré sans entendre les plaidoiries des avocats Le 31 octobre, il a été condamné à cinq ans de prison et à trois ans de surveillance administrative.
Dalila Msaddek doit quant à elle comparaître devant un tribunal de Tunis le 25 novembre pour avoir pris la défense de ses clients au cours d’une interview radiophonique en 2023. Elle est accusée de « diffusion de fausses informations » et de traitement indu de données personnelles, en vertu des lois sur la cybercriminalité et la protection des données personnelles.
En mai 2023, Ayachi Hammami, qui était auparavant un des avocats de la défense de l’affaire, est venu s’ajouter aux accusés et a été condamné en avril à huit ans de prison.
Depuis que le président Saied a pris le contrôle des institutions de l’État tunisien, le 25 juillet 2021, les autorités ont fortement accru leur répression de la dissidence.
Depuis début 2023, elles ont accentué les arrestations et détentions arbitraires de personnes issues de tout l’éventail politique qui sont perçues comme critiques envers le gouvernement. Les atteintes répétées des autorités à l’encontre du pouvoir judiciaire, en particulier le démantèlement du Conseil supérieur de la magistrature par Kais Saied, ont gravement diminué son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent le droit à la liberté d’expression et de réunion, à un procès équitable et à ne pas subir d’arrestation ou de détention arbitraires.
« Les partenaires internationaux de la Tunisie devraient faire entendre leur voix face à ce déni de justice flagrant et ces atteintes à l’état de droit », a conclu Bassam Khawaja. « Ils devraient exhorter les autorités tunisiennes à cesser leur répression, annuler ces condamnations et garantir des procès équitables. »