(New York) – L'élaboration d'une convention internationale efficace visant à prévenir et punir les crimes contre l'humanité nécessitera des efforts diplomatiques ambitieux et tournés vers l'avenir, ont conjointement déclaré Human Rights Watch et le groupe de travail Prevention of Crimes Against Humanity Project, affilié à la faculté de droit de Columbia University, dans un nouveau document d'information publié aujourd’hui ; ce document (en anglais) comprend 25 recommandations adressées aux délégations qui participeront aux négociations officielles des Nations Unies au sujet de ce traité.
Les crimes contre l'humanité, qui comprennent notamment l'extermination, l'esclavage, le viol, la grossesse forcée, la persécution, les disparitions forcées et l'apartheid, lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, comptent parmi les infractions les plus graves au regard du droit international. Leur interdiction est déjà considérée comme une norme impérative, à laquelle aucun État ne peut déroger. Un nouveau traité apporterait une cohérence et une uniformité importantes dans la manière dont ces crimes sont traités dans chaque juridiction, et permettrait une coopération accrue entre les États pour prévenir ces crimes.
« Cela fait 80 ans que des dirigeants nazis ont été accusés de crimes contre l'humanité à Nuremberg, mais nous attendons toujours un traité exclusivement consacré à ce type de crimes », a déclaré Akshaya Kumar, directrice du plaidoyer sur les situations de crise auprès de Human Rights Watch, et principale auteure du document. « Les diplomates qui se réuniront à New York pour combler cette lacune devraient entamer un processus qui évite délibérément l'exclusion et les inégalités ayant trop souvent caractérisé l'élaboration du droit international dans le passé, afin que ce traité anticipe mieux les 80 prochaines années. »
Le 4 décembre 2024, lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, les États membres ont adopté la résolution 79/122, afin de poursuivre les travaux officiels sur une convention portant sur « la prévention et la répression des crimes contre l’humanité ». Ce processus, qui débutera par la création d'un comité préparatoire en janvier 2026, constitue une occasion historique de consolider les engagements mondiaux visant à prévenir et à punir ces crimes graves. Les réunions à New York devraient être complétées par des réunions et des consultations régionales afin de renforcer la participation et l'accessibilité, compte tenu notamment des restrictions croissantes en matière de visas aux États-Unis.
Les organisateurs devraient aussi s'engager à diffuser les débats sur Internet avec une traduction simultanée, afin de permettre une large participation au processus. Ceci permettrait la participation de collectifs de victimes et de survivants, de défenseures des droits des femmes, de représentants de communautés autochtones, d’universitaires, de personnes handicapées qui pourraient avoir besoin de certains aménagements pour participer, ainsi que de jeune personnes.
Les mois à venir mettront à l'épreuve la détermination des pays à maintenir leur unité et leur vision à l’égard du projet de convention, face à divers défis politiques, ont déclaré les deux organisations. Pour obtenir le meilleur résultat possible, les délégués devraient être prêts à voter lorsque la prise de décision par consensus, qui nécessite un accord unanime, crée des obstacles et des retards inévitables.
En octobre 2025, les représentants d’États membres au sein de la Sixième Commission de l'Assemblée générale, le forum juridique de l’ONU, ont discuté de la meilleure voie à suivre pour poursuivre les négociations officielles. Les représentants de plusieurs pays ont réaffirmé leur soutien au processus décrit dans la résolution de décembre 2024, et ont exprimé leur intention de participer aux négociations visant à élaborer une convention qui protégerait mieux les civils contre ces crimes atroces.
Le 13 octobre, sous l'impulsion du Costa Rica, des dizaines de délégations d'Afrique, d'Amérique latine, d'Europe et d'Asie ont appelé à l'inclusion d’organisations de la société civile à chaque étape. Elles ont aussi demandé l’inclusion d’organisations ne disposant pas du « statut consultatif » auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), cette accréditation étant parfois difficile à obtenir ou maintenir, pour certaines organisations locales. Lors de cette réunion, l'Allemagne a spécifiquement souligné l'importance de permettre aux organisations de la société civile de participer aux sessions des groupes de travail prévues en janvier 2026.
En janvier, l’un de ces groupes de travail fournira à chaque délégation l’occasion de partager son point de vue sur les modifications éventuelles à apporter aux projets d'articles (ang - fra) de la future convention, publiés en 2019 par la Commission du droit international (International Law Commission, ILC). Ces projets d'articles ont déjà fait l'objet de discussions lors de deux précédentes sessions de la Sixième Commission de l’ONU en 2023 et 2024, ainsi que d'une série de commentaires écrits, et sont aussi abordés dans le document d'information publié aujourd'hui. D'ici le 30 avril 2026, les États devront soumettre leurs propositions d'amendements aux projets d'articles de 2019, en vue d’être examinées et de faire l’objet de négociations lors des réunions prévues dans le cadre de la Conférence de plénipotentiaires, qui devrait se tenir partiellement en 2028 et en 2029.
Le traité pourrait ancrer plus solidement la justice pour les crimes contre l'humanité dans le droit international, incitant les États à adopter des lois nationales et renforçant les efforts des tribunaux nationaux grâce à l'entraide judiciaire. Idéalement, les négociateurs utiliseront ce processus pluriannuel pour affiner les termes du traité afin qu'il reconnaisse mieux les préjudices particuliers subis par les femmes, les personnes handicapées, les enfants et d'autres groupes. Le texte final devrait également inclure des garanties procédurales pour les accusés, limiter les refuges pour les suspects et reconnaître les droits des victimes, en particulier en matière de réparation, tout en maintenant une compétence juridictionnelle maximale.
« Il est plus important que jamais que les gouvernements réaffirment leur engagement en faveur de l'état de droit et résistent à toute tentative d'affaiblir les principes fondamentaux de la convention, notamment en matière de prévention », a déclaré Christine Ryan, directrice du Prevention of Crimes Against Humanity Project (Projet de prévention des crimes contre l'humanité) de la faculté de droit de Columbia University.
Dans leur document d'information, les deux organisations ont souligné les éléments clés du projet d'articles qu'il est particulièrement important de maintenir. Elles proposent également 13 amendements possibles au projet d'articles, dans l’espoir que divers pays les soumettront sous forme de propositions avant la date limite du 30 avril 2026.
La dynamique croissante autour du processus officiel d'élaboration d'un traité est particulièrement remarquable à un moment où, plus que jamais et malgré l'opposition des grandes puissances, le monde a besoin de renforcer le multilatéralisme. Le leadership de la Gambie, du Mexique, du Costa Rica et de la Sierra Leone a été essentiel.
« La volonté collective des États soutenant une telle convention, en particulier sous l'impulsion des pays du Sud et grâce à la détermination de la société civile, sera nécessaire pour garantir qu'un traité efficace devienne une réalité », a déclaré Richard Dicker, conseiller juridique senior à Human Rights Watch, qui œuvre depuis des années pour faire avancer ce processus. « Où qu’elles et ils se trouvent – que ce soit à El Fasher, à Gaza, à Cox's Bazaar ou à Marioupol, les victimes et les survivant-e-s de crimes contre l’humanité devraient être la boussole morale de ce processus. Leur courage nous rappelle pourquoi l’obligation de rendre des comptes est si importante. »
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