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Libye : Enquêter sur la disparition de deux députés

Des images et des vidéos récemment diffusées suscitent de vives inquiétudes quant au bien-être de Seham Sergewa et d’Ibrahim al-Drissi

À gauche : La députée libyenne Seham Sergewa assistait à une séance du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, en 2015. Elle a été enlevée à Benghazi le 17 juillet 2019. À droite : Le député libyen Ibrahim al-Drissi participait à un vote du Parlement (qui siégeait alors à Tobrouk), le 4 août 2014. Il a été enlevé à Benghazi le 16 mai 2024.  © Photos (a) Seham Sergewa/Privé (b) Ibrahim al-Drissi/Reuters.

(Beyrouth, 15 septembre 2025) – Les autorités libyennes devraient d’urgence enquêter sur la disparition de deux députés, après la diffusion récente d'images et de vidéos troublantes qui ont accru les inquiétudes quant à leur sécurité, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; les autorités devraient divulguer toute information disponible à leur sujet.

En août 2025, une image floue a circulé sur les réseaux sociaux. Selon des commentateurs, elle montrait Seham Sergewa, députée libyenne enlevée en juillet 2019, en train d'être agressée physiquement. En mai, des photos et des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant Ibrahim al-Drissi, député enlevé en mai 2024, enchaîné et dévêtu, plaidant son innocence. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier ces images et vidéos, ce qui accroît les inquiétudes quant à la santé de ces deux personnes.

« Les autorités de l'est de la Libye et les dirigeants militaires devraient faire tout leur possible pour mettre fin aux disparitions forcées dans les zones sous leur contrôle, commises par des forces placées sous leur commandement », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les familles des disparus ont le droit de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches et d'obtenir justice. »

Les deux députés ont été enlevés à Benghazi par des hommes armés non identifiés, en 2019 et 2024 ; ils n’ont pas été revus depuis, et leur sort reste inconnu. Aucune entité n'a revendiqué la responsabilité de ces enlèvements.

Deux autorités rivales se disputent le contrôle de la Libye. D’une part, le Gouvernement d'unité nationale (GUN, ou GNU en anglais) basé à Tripoli, les groupes armés qui lui sont affiliés et les forces quasi étatiques contrôlent l'ouest du pays. D’autre part, les Forces armées arabes libyennes (FAAL, ou LAAF en anglais) et les milices et appareils de sécurité qui leur sont affiliés contrôlent l'est et le sud du pays. La Chambre des représentants libyenne siège actuellement à Benghazi (nord-est).

Le 1er septembre 2025, Human Rights Watch a écrit au bureau de Khalifa Hiftar, commandant des FAAL, et au procureur général libyen al-Siddiq al-Sur, pour solliciter des informations sur Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, mais n'a reçu aucune réponse du procureur général. Un représentant des FAAL a répondu le 10 septembre qu'en tant qu'institution militaire, les FAAL n'avaient mené aucune enquête criminelle sur le « crime commis contre la députée Seham Sergewa », ni d'enquêtes médico-légales visant notamment à déterminer l'authenticité de photos ou de vidéos. Le courrier a précisé que tout membre des FAAL impliqué dans des violations ferait l'objet de poursuites judiciaires appropriées.

Le 17 juillet 2019, des hommes armés et masqués ont pris d'assaut la résidence de Seham Sergewa à Benghazi et l'ont enlevée. Des voisins et des proches à l'étranger ont alors déclaré à Human Rights Watch que certaines des voitures utilisées pour encercler la maison lors de l'incident semblaient appartenir au 106ème Bataillon, un groupe armé lié aux FAAL. 

L'ancien gouvernement intérimaire qui administrait Benghazi au moment de l'enlèvement de Seham Sergewa a nié toute implication de ses propres forces, ou d’une force liée aux FAAL. Son ministre de l'Intérieur avait alors affirmé, sans fournir de preuves, que des « groupes terroristes infiltrés à Benghazi » non identifiés l'avaient enlevée.

Vers le 11 aout 2025, une image diffusée sur les réseaux sociaux montrait Seham Sergewa en train d'être agressée physiquement, selon certaines sources. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier les allégations des médias concernant une vidéo montrant les violences subies, ni le lieu et le moment où l'image – qui serait une capture d'écran d'une vidéo – aurait été prise. Human Rights Watch n'a pas examiné la vidéo, qui n'est pas été publiquement diffusée. Si elle est authentique, cette image de Sergewa serait la première depuis son enlèvement il y a plus de six ans.

Quant à Ibrahim al-Drissi, des hommes armés non identifiés l’ont enlevé le 16 mai 2024, après qu'il eut assisté à un défilé des FAAL à Benghazi. Aucune information sur son sort n'a été disponible jusqu'au 2 mai 2025, date à laquelle des reportages, des vidéos et des photos ont commencé à apparaître dans les médias et sur les réseaux sociaux, le montrant à moitié nu, enchaîné par le cou dans une structure ressemblant à une cellule, et dans des conditions inhumaines.

L'Agence de sécurité intérieure de Benghazi, un groupe armé opérant sous l'égide des FAAL, a affirmé que la vidéo semblant montrer al-Drissi était un « deepfake » créé par un outil d’intelligence artificielle (IA). Bien que de telles affirmations soient difficiles à vérifier, Human Rights Watch a examiné la vidéo et consulté un groupe d'experts de la Deepfakes Rapid Response Force, une initiative de l'organisation non gouvernementale WITNESS.

Sur les cinq équipes ayant contribué à l'analyse, quatre n'ont trouvé aucune preuve significative de manipulation de l'IA. Une équipe a noté de possibles signes de manipulation en raison d'incohérences dans l'éclairage dans les ombres, mais a souligné que la mauvaise qualité du fichier vidéo pourrait perturber leurs outils et entraîner des résultats faussement positifs.

Les cas de Seham Sergewa et d'Ibrahim al-Drissi ne sont que deux exemples parmi les dizaines de disparitions forcées et d'assassinats de journalistes, de militants et de personnalités politiques dans l'est de la Libye depuis 2014, dans un contexte d'impunité généralisée pour les milices et les groupes armés. Human Rights Watch a également documenté de nombreuses disparitions forcées dans l'ouest de la Libye. Le 30 août 2025, le Représentant spécial des Nations Unies sur la Libye a publié une déclaration déplorant la « pratique généralisée et systématique des disparitions forcées dans tout le pays » ; il a ajouté que « la persistance de la détention au secret, l'existence de centres de détention non officiels où la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante, et le déni systématique de procédure régulière alimentent cette grave tendance ».

Les disparitions forcées sont interdites par le droit libyen et international, et les autorités sont tenues d'enquêter sur ces crimes. En vertu de la loi libyenne n° 10 (2013) relative à la criminalisation de la torture, des disparitions forcées et de la discrimination, les disparitions forcées sont passibles d'une peine pouvant aller jusqu'à huit ans de prison. Le secteur judiciaire libyen est confronté à d'importants défis, et son système judiciaire est peu disposé et incapable de mener des enquêtes sérieuses sur les graves violations des droits humains et les crimes internationaux.

Les médias libyens ont rapporté le 12 mai qu'al-Siddiq al-Sur, le procureur général, s'était rendu à Benghazi pour faire le point sur l'enquête concernant la disparition d'al-Drissi, mais son bureau n'a divulgué aucune information supplémentaire.

Les autorités libyennes devraient mener une enquête rapide et transparente afin de déterminer l'authenticité, la date et le lieu de diffusion des photos et vidéos montrant Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, a déclaré Human Rights Watch. Le procureur général libyen devrait rendre compte des mesures prises par son bureau pour enquêter sur ces affaires. Il devrait également révéler les mesures prises par son bureau pour examiner les cas de disparition forcée non résolus en Libye, le nombre de cas sur lesquels il enquête et si des suspects sont actuellement en détention ou ont été tenus responsables de disparitions forcées présumées.

Les disparitions forcées sont considérées comme une violation de multiples droits humains consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L'article 2 de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées définit une « disparition forcée » comme « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »

« Le système judiciaire en Libye est défaillant et dysfonctionnel, mais ceci ne saurait justifier la normalisation des disparitions forcées dans ce pays », a affirmé Hanan Salah. « Les hauts responsables civils et militaires libyens qui disposent d’informations sur des cas de disparition forcée, mais ne prennent pas les mesures appropriées, pourraient être reconnus complices de ce crime. »

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