- Le manque généralisé d’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement adéquats au Guatemala menace le droit à la santé et d’autres droits de millions de personnes, en particulier des peuples autochtones et des femmes.
- Alors que le Guatemala est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, une part importante de sa population est obligée de vivre sans avoir accès à un élément aussi fondamental que l’eau potable.
- Les autorités guatémaltèques devraient adopter une législation sur l’eau qui garantisse le droit des personnes à l’eau et l’assainissement.
(Guatemala City) – Le manque généralisé d’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement adéquats au Guatemala menace le droit à la santé et d’autres droits de millions de personnes, en particulier des peuples autochtones et des femmes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Ce rapport de 88 pages, intitulé « “Without Water, We Are Nothing”: The Urgent Need for a Water Law in Guatemala » (« “Sans eau, nous ne sommes rien” : L’urgente nécessité d’une loi sur l’eau au Guatemala ») décrit l’indisponibilité fréquente de services sûrs et suffisants de distribution d’eau et d’assainissement au Guatemala, qui affecte de façon disproportionnée les membres de communautés autochtones, surtout les femmes et les filles. Le rapport détaille également l’impact de cet accès insuffisant à l’eau et à l’assainissement sur le droit à la santé, y compris pour les enfants, dans un pays où près d’un enfant de moins de cinq ans sur deux souffre de malnutrition chronique.
« Alors que le Guatemala est un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, une part importante de sa population est forcée à vivre sans avoir accès à un élément aussi fondamental que l’eau potable », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les autorités guatémaltèques devraient approuver d’urgence un projet de loi de portée nationale sur l’eau, accomplissant ainsi un pas essentiel pour garantir à toutes et tous un accès sûr, fiable et universel aux services de distribution d’eau et d’assainissement. »
Le Guatemala dispose d’une quantité d’eau douce par habitant supérieure à la moyenne mondiale, mais depuis longtemps, le pays n’a pas su protéger et distribuer ces ressources comme il se doit. En l’absence de législation établissant clairement les droits et obligations liés à l’eau, de système de réglementation et de financement clair pour garantir ces droits, ainsi que de mécanismes d’application qui vont avec, la disponibilité et la qualité de l’eau dans le pays resteront compromises.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 108 personnes, surtout des femmes, issues de communautés majoritairement autochtones des départements de Jalapa, Santa Rosa et Totonicapán. L’équipe de recherche a mené des entretiens de suivi avec des experts, demandé des informations au gouvernement et analysé les données concernant l’eau, l’assainissement et la pauvreté issues de l’Enquête nationale sur les conditions de vie, réalisée en 2023 par l’Institut national de la statistique du Guatemala.
Les données analysées par Human Rights Watch révèlent que les Guatémaltèques autochtones ont moins accès à l’eau et à l’assainissement que les autres citoyens, ce qui correspond à des schémas anciens de discrimination et d’accès inéquitable aux services publics fondant les droits. D’après les données officielles, dans l’ensemble, 40 % des Guatémaltèques n’ont pas l’eau courante chez eux. Mais concernant les Guatémaltèques autochtones, ils sont 50 % à ne pas avoir pas l’eau courante, alors que cela n’est le cas que pour 33 % des citoyens non autochtones. De même, les personnes d’origine autochtone ont trois fois plus de chances de n’avoir à leur disposition que des latrines ou des fosses, formes d’assainissement qui peuvent représenter un risque pour la sécurité ou la santé, alors que les personnes d’origine non autochtone ont deux fois plus de chances de disposer de toilettes débouchant sur un système d’égout.
Sans accès fiable à l’eau courante, des millions de Guatémaltèques sont forcés de récupérer de l’eau dans des puits, des fleuves, des lacs, des sources naturelles, ou encore de l’eau de pluie, comme source d’eau primaire. Cela implique de graves risques sanitaires, puisque le gouvernement estime que plus de 90 % des eaux de surface au Guatemala sont contaminées.
Ce sont souvent les femmes qui ont la responsabilité d’aller chercher de l’eau pour elles-mêmes et leur famille, de même qu’elles sont chargées des soins aux enfants. D’après les données de l’enquête officielle, deux tiers des adultes ayant rapporté qu’ils étaient allés chercher de l’eau le jour précédent étaient des femmes.
Rosalía Maribel Osorio Chivalan, une femme de 24 ans de la municipalité de Santa María Chiquimula, dans le département de Totonicapán, a décrit sa routine matinale qui l’oblige à se lever à 5 heures ou 5 heures et demie du matin et à effectuer un circuit de deux heures pour aller chercher de l’eau à un puits, avant de faire un trajet de 40 minutes aller-retour pour amener ses enfants à l’école à 8 heures.
Les enfants, eux aussi, doivent souvent aller chercher de l’eau. Une femme de 29 ans, mère célibataire de trois enfants à Santa María Chiquimula, a expliqué que ses enfants marchaient avec elle deux heures par jour pour aller chercher de l’eau, car elle ne pouvait pas le faire toute seule. « Parfois j’ai un moment de désespoir quand je les vois marcher en portant l’eau, les pauvres », a-t-elle déclaré.
Même les familles qui sont connectées à un réseau de distribution d’eau connaissent des difficultés d’accès à l’eau, notamment parce que le service fonctionne de façon intermittente. En analysant les données gouvernementales de 2023, Human Rights Watch a constaté que seuls 19 % des ménages rapportaient avoir eu de l’eau chez eux de façon ininterrompue, 24 heures sur 24, chaque jour du mois précédant cette enquête.
Comme le souligne le rapport, la qualité de l’eau est un sujet de préoccupation majeur au Guatemala. De nombreuses femmes interrogées avaient observé des signes de contamination, notamment une eau trouble, une mauvaise odeur et des débris polluant l’eau, sachant que très peu d’options de traitement de l’eau leur sont accessibles. Beaucoup ont déclaré qu’elles et leurs enfants souffraient de maux d’estomac, de vomissements et de diarrhées après avoir consommé cette eau, mais que ces sources contaminées représentaient pourtant la seule option accessible.
María Carolina Barrera Tzun, une femme de 28 ans, mère de trois enfants, de Santa María Chiquimula, a témoigné que le puits où elle allait chercher de l’eau pour elle et ses enfants était sale, et que ses enfants lui demandaient parfois : « Pourquoi l’eau est-elle si sale ? Pourquoi on n’a pas l’eau à la maison ? » Pourtant ils doivent la boire, a-t-elle expliqué, parce qu’ils n’ont pas d’autre possibilité.
Les infrastructures d’assainissement inadaptées représentent également un danger pour la santé et contribuent à la mauvaise qualité de l’eau. Seuls 42 % des foyers guatémaltèques rapportaient qu’ils disposaient de toilettes débouchant sur un réseau d’évacuation des eaux usées. Environ un tiers de la population est obligée de se servir de latrines, de fosses, ou encore de déféquer à l’air libre. D’après les informations officielles, en 2021, 97 des 340 municipalités du Guatemala, soit 29 %, n’avaient aucune station d’épuration des eaux usées opérationnelle.
Les impacts sanitaires d’un accès risqué ou insuffisant à l’eau et d’un assainissement inadéquat sont graves. D’après l’Organisation mondiale de la santé, en 2019, le taux de mortalité dû à l’eau non potable et aux services d’assainissement et d’hygiène inadaptés était au Guatemala de 15,3 décès pour 100 000 personnes, plus du double de celui de n’importe quel pays voisin. L’accès limité à l’eau et à l’assainissement contribue par ailleurs à la malnutrition chronique. Au Guatemala, près d’un enfant sur deux de moins de cinq ans souffre de malnutrition de façon chronique : c’est un des taux les plus élevés du monde.
Afin de faciliter une gouvernance globale en matière d’eau et un investissement efficace dans les infrastructures dédiées à l’eau et à l’assainissement, les autorités guatémaltèques devraient adopter un projet de loi sur l’eau qui crée la capacité institutionnelle de protéger la disponibilité en eau pour toutes et tous, et inflige des amendes pour la contamination des nappes d’eau.
En élaborant cette loi, le gouvernement devrait veiller au respect des pratiques autochtones de gestion de l’eau ainsi qu’à une réelle participation et consultation des peuples autochtones, qui sont souvent en première ligne des pratiques de conservation et de préservation des ressources et qui sont les plus affectés par la crise actuelle.
Les autorités devraient par ailleurs mettre en place un système réglementaire et financier qui permette au Guatemala d’honorer son obligation de prendre des mesures, dans la limite de ses ressources disponibles, pour garantir la disponibilité, l’accessibilité et la qualité de l’eau à usage personnel et domestique.
« Le gouvernement du président Bernardo Arévalo a une occasion historique de régler une ancienne dette et d’apporter un changement durable aux Guatémaltèques », a conclu Juanita Goebertus. « Il ne devrait pas la laisser passer. »
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