(New York) – Des exécutions sommaires et d’autres atrocités ont été commises dans la région côtière de la Syrie à la suite d’attaques rebelles contre les forces de sécurité syriennes et lors de contre-attaques subséquentes de la part de ces forces, la communauté alaouite subissant l’essentiel de ces violences, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Quoique le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa, ait reconnu que « de nombreuses parties ont pénétré dans la zone côtière syrienne et de nombreuses violations ont été commises », il s’est abstenu de tout commentaire sur l’implication de combattants étrangers, de factions alliées ou de ses propres forces de sécurité. L’ampleur exacte de ces crimes et leurs auteurs n’ont pas encore été déterminés de manière certaine.
La récente vague d’abus a commencé à la suite d’une série d’attaques coordonnées, le 6 mars, menées par des hommes armés apparemment liés à l’ancien gouvernement du président déchu Bachar al-Assad. À la date du 10 mars, ces attaques avaient déjà causé la mort de 200 membres des forces de sécurité, selon le président al-Charaa.
En guise de riposte, les forces de sécurité du gouvernement, y compris des factions sous l’autorité du ministère de la Défense, ont mené ce que le gouvernement a qualifié d’« opérations de ratissage » à travers toute la région. Des groupes armés et des individus non identifiés – beaucoup d’entre eux pénétrant dans les gouvernorats de Tartous et de Lattaquié en provenance d’autres régions de Syrie à la suite d’appels officiels à la mobilisation générale – se sont joints à ces opérations. Des vidéos non authentifiées affichées sur Telegram montrent des hommes, souvent vêtus de treillis militaires, commettant des exécutions extrajudiciaires et des pillages, tirant sans discernement dans des maisons et des villages, et se livrant à de mauvais traitements généralisés et à des outrages à la dignité de la personne, notamment en tenant des propos à caractère sectaire.
« Les nouveaux dirigeants de la Syrie ont promis de rompre avec les horreurs du passé mais de graves abus sont signalés comme étant commis à une très grande échelle, essentiellement contre des Syriens alaouites dans la région côtière et ailleurs en Syrie », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Une action gouvernementale pour protéger les civils et poursuivre en justice les auteurs de tirs sans discernement, d’exécutions sommaires et d’autres crimes graves est nécessaire et elle doit être prompte et sans équivoque. »
Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier le nombre de civils tués ou déplacés mais des notices nécrologiques circulant sur Facebook indiquent que des centaines de personnes ont été tuées, y compris des familles entières. Le Réseau syrien pour les droits humains (Syrian Network for Human Rights, SNHR) a affirmé le 9 mars que les forces générales de sécurité et des factions et des individus armés qui leur sont affiliés étaient responsables de la mort d’au moins 396 personnes, comprenant « à la fois des civils et des membres désarmés des restes du régime d’Assad. » Certaines estimations portent le bilan des morts civils à plus de 700. Le SNHR a également fait état de la mort de civils tués par des groupes armés affiliés à l’ancien gouvernement.
Une chaîne Telegram considérée comme attachée au Commandement des opérations militaires, un poste militaire centralisé qui coordonnait les opérations de diverses factions armées pendant et après la chute du gouvernement de Bachar al-Assad, a amplifié des appels à la mobilisation générale qui exhortaient les citoyens à aller dans la zone côtière pour soutenir les forces de sécurité. Le 6 mars, le directeur de la Sécurité publique de Lattaquié a annoncé une mobilisation générale de sécurité des forces du gouvernorat, tandis que le ministre de la Défense indiquait que des renforts militaires avaient été envoyés sur place. Le 7 mars, le président al-Charaa a déclaré que le temps du pardon était passé, insistant sur la « libération » et la « purification » de la région, tout en exhortant les forces de sécurité à protéger les civils. Le 8 mars, un responsable du ministère de la Défense a déclaré, dans un message vidéo, que les civils qui s’étaient « mobilisés pour soutenir leurs frères » devraient retourner chez eux, soulignant que la situation était entièrement maîtrisée et que les opérations se déroulaient comme prévu. Une source au ministère de l’Intérieur a reconnu par la suite que des « violations individuelles » avaient été commises par des « éléments non organisés ».
Le 9 mars, le président al-Charaa a annoncé la formation d’une commission nationale indépendante pour enquêter dans les 30 jours sur les événements du 6 mars et a promis de traduire en justice les responsables de crimes. Les autorités syriennes devraient s’assurer que cette commission soit en mesure d’effectuer son travail de manière indépendante et impartiale.
De nombreuses familles vivant dans la région côtière ont pris la fuite à cause des raids de sécurité, se réfugiant dans des villages de montagne reculés, dans le périmètre de la base aérienne russe de Hmeimim près de Lattaquié, et de l’autre côté de la frontière avec le Liban.
Human Rights Watch a mené un entretien avec un étudiant en médecine alaouite de 22 ans qui a fui la ville de Baniyas à pied avec sa famille, après avoir appris que quatre de ses proches avaient été tués. Ils ont trouvé refuge dans une maison à l’orée d’un village.
« Nous avons faim et froid mais en aucun cas nous ne retournerons en ville », at-il dit. « Nous ne nous sentons pas en sécurité là-bas. Ici aussi, il n’y a guère de repos, chaque fois que nous entendons le moindre son, nous courons nous cacher dans la nature. » Il a indiqué avoir contacté le Croissant-Rouge syrien et les Casques Blancs pour organiser une évacuation, mais s’est entendu dire qu’ils n’en avaient pas la capacité. « Ils nous ont dit d’appeler les autorités mais nous ne pouvons pas du tout leur faire confiance. Notre première priorité maintenant, c’est de survivre et si nous survivons à cela, alors nous souhaitons chercher refuge dans un autre pays. »
Human Rights Watch a examiné et géolocalisé des vidéos et des images d’une occurrence d’exécutions massives dans le village d’al-Mukhtariya dans les environs de Lattaquié, comptant les cadavres d’au moins 32 hommes.
Des activistes syriens vivant dans la région côtière ont déclaré à Human Rights Watch que les alaouites et d’autres communautés de la région vivaient dans la peur à cause d’abus commis lors d’opérations de ratissage depuis décembre, ainsi que de la perte de moyens de subsistance causée par des licenciements arbitraires et par la dissolution de l’ancienne armée et des anciennes forces de sécurité.
Depuis décembre, il y a eu de nombreux cas de provocation contre les communautés à prédominante alaouite et chiite, notamment des sanctuaires religieux alaouites délibérément vandalisés ou détruits et la distribution massive de tracts anti-alaouites. Des violations commises dans le cadre d’opérations de ratissage, y compris des exécutions sommaires, ont été signalées depuis au moins début janvier, notamment dans des villages à majorité alaouite dans les environs de Homs, dans l’ouest du pays.
Le 23 janvier, les forces de sécurité ont effectué une opération de ratissage dans le village de Fahel, lors de laquelle elles ont arrêté au moins 58 hommes, dont d’anciens militaires qui avaient officiellement réglé leur statut juridique avec les nouvelles autorités. Des habitants ont affirmé qu’après l’opération, ils ont découvert des corps à l’orée du village.
Il a été confirmé par la suite que 13 anciens militaires, dont certains ont été arrêtés plus tôt lors de l’opération, ainsi que deux civils, ont été tués ce jour-là. L’office des médias de Homs a affirmé, dans une déclaration publiée par The National, que les autorités avaient repéré et arrêté les attaquants, mais aucune information supplémentaire n’a été rendu publique sur les efforts visant à leur faire rendre des comptes.
Le gouvernement syrien devrait immédiatement s’assurer que les civils qui veulent fuir puissent le faire par des itinéraires sûrs et que les organisations humanitaires puissent porter assistance à ceux qui s’abritent dans des villages reculés, y compris de la nourriture, des soins médicaux et des options de relogement sûres, a déclaré Human Rights Watch.
Les violences dans la région côtière de la Syrie mettent en évidence le besoin urgent de justice et de reddition de comptes. Les efforts pour faire rendre des comptes pour les atrocités commises devraient porter sur toutes les parties, y compris Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et l’Armée nationale syrienne, un groupe armé soutenu par la Turquie, qui constituent actuellement les nouvelles forces de sécurité syriennes. Ces deux groupes armés ont des antécédents amplement documentés de violations des droits humains et du droit international. Les efforts de justice devraient porter sur les violations passées et actuelles, afin que les auteurs d’abus rendent des comptes et que les victimes soient indemnisées.
Les nouvelles autorités syriennes devraient aussi coopérer pleinement avec les observateurs indépendants, notamment le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie et la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, et leur assurer un accès sans entraves.
En même temps, une réforme profonde des fonctions sécuritaires de la nouvelle armée et des nouvelles forces de sécurité syriennes est d’une importance critique. Cette réforme devrait inclure la création d’un secteur de la sécurité conforme aux normes internationales en matière de droits humains, assurant une supervision civile, et la mise en application d’un système rigoureux de contrôle afin d’en retirer les individus impliqués dans des abus. D’autres pays devraient apporter une assistance technique et financière pour assurer que les nouvelles forces de sécurité protègent les civils et respectent l’État de droit. Ceci devrait aussi inclure un soutien à la mise en place d’une justice indépendante qui puisse assurer la légalité des détentions et le traitement légal de tous les détenus.
« Une justice qui ne s’applique qu’à certains mais pas à d’autres n’est pas une véritable justice », a conclu Adam Coogle. « L’obligation de rendre des comptes devrait être imposée à tous les auteurs d’abus, indépendamment de leur statut, passé ou actuel. Sans cela, une paix et une stabilité durables resteront inaccessibles en Syrie. »
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