Aujourd'hui, nous avons des témoignages exclusifs sur le conflit au Soudan.
Mohamed Osman et Laetitia Bader de HRW viennent de rentrer de la ville de Renk, au Sud-Soudan, près de la frontière avec le Soudan. Plus de 700 000 personnes sont arrivées au Sud-Soudan par cet endroit depuis le début du conflit dévastateur au Soudan en avril 2023.
Rappelons que ces chiffres s'ajoutent aux plus d'un demi-million de personnes qui ont fui la frontière vers le Tchad, à l'ouest, et aux 11 millions de personnes déplacées à l'intérieur du Soudan. L'ampleur de la crise est énorme.
Mes collègues ont visité un camp de transit à Renk qui était prévu pour accueillir temporairement des personnes. Il s'étend maintenant le long d'un chemin de terre d'un kilomètre, avec des abris de fortune et quelques grands hangars en tôle.
Lors de la visite de la semaine dernière, le nombre de personnes fuyant vers Renk a augmenté, des milliers de nouveaux arrivants se précipitant de l'autre côté de la frontière, alors que les combats entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) se rapprochaient de plus en plus. Le week-end dernier, les combats ont atteint la dernière ville soudanaise avant la frontière.
Les personnes ont des raisons différentes de prendre la fuite.
Mes collègues ont parlé aux habitants d'un village de 350 personnes qui sont arrivés ces derniers jours dans des camions à ciel ouvert tirés par des tracteurs. Les femmes, les enfants, les personnes âgées et les adolescents se sont tous entassés dans ces camions après avoir entendu que les RSF approchaient de leur village.
En revanche, une famille de 13 personnes s'est enfuie lorsque les SAF sont arrivées dans leur ville, craignant d'être accusée d'être membre des RSF pour avoir vécu si longtemps dans une zone contrôlée par ces forces. Ils ont fui sans rien d'autre qu'un sac de sorgho, ramassant quelques couvertures sur leur chemin.
L'absence totale de possessions parmi les arrivants est frappante.
Depuis les premiers jours des combats au Soudan, les RSF ont notoirement pillé les biens des gens. Elles ont saccagé les maisons, volé l'or, les meubles et même les cartables des enfants. Les gens ont dû vendre leurs dernières possessions pour pouvoir manger. D'autres ont été dépouillés par des combattants ou des bandes criminelles alors qu'ils fuyaient.
Parmi ceux qui sont finalement arrivés à Renk, beaucoup ont dû fuir plusieurs fois. Certains ont déclaré être arrivés avec à peine plus que les vêtements qu'ils portaient sur le dos.
Le contraste est frappant pour une femme à sa descente du bus qui a amené des dizaines de personnes de la frontière. Elle tenait un petit chien blanc et pelucheux dans une cage. Elle avait fui Khartoum au cours d'un voyage qui n'aurait duré que cinq heures avant la guerre, mais qui lui a pris deux semaines aujourd'hui.
La plupart des gens ont été contraints de laisser derrière eux des proches - des parents âgés qui ne peuvent pas fuir, beaucoup qui n'ont pas les moyens. D'autres ont perdu le contact avec leurs proches dans le chaos de la fuite.
Les communications étant coupées dans de nombreuses régions du Soudan et beaucoup de personnes s’étant fait voler leur téléphone, il est difficile de reprendre contact avec les membres de la famille avec lesqueils ils ont été séparés.
Un homme a récemment fui sa ville natale de Jebel Moya après que deux de ses enfants, âgés de 8 et 11 ans, ont été tués lors d'une frappe aérienne. C'est alors que sa mère l'a poussé à fuir. Il est parti dans l'obscurité de la nuit.
Il était très troublé lorsqu'il a raconté son expérience. Il n'a pas pu parler à ses quatre enfants survivants.
« Je vois des enfants jouer dans le centre de transit et je pense à eux. Si j'entendais leur voix, cela serait suffisant pour moi ».