(Beyrouth, 24 avril 2024) – Un tribunal iranien a prononcé la peine de mort contre Toomaj Salehi, un rappeur populaire emprisonné sur la base d’accusations liées aux opinions qu’il a exprimées, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les poursuites judiciaires visant Salehi, 33 ans, et la condamnation prononcée contre lui violent de manière cruelle et aberrante les droits fondamentaux, y compris le droit à un procès équitable.
Le 24 avril, Amir Raeesian, l'avocat de Toomaj Saheli, a informé le site média Shargh que la première branche du Tribunal révolutionnaire d'Ispahan avait condamné son client à mort pour « corruption sur Terre ». En novembre 2023, la Cour suprême iranienne avait pourtant annulé la peine de six ans de prison précédemment prononcée contre Salehi dans cette affaire, renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance, et libéré Saleh sous caution. Douze jours après ce jugement, les forces de sécurité iraniennes avaient de nouveau arrêté Salehi.
« Les juges des tribunaux révolutionnaires iraniens agissent comme s’ils étaient habilités à violer les droits fondamentaux des citoyens, en faisant fi de toute protection juridique », a déclaré Tara Sepehri Far, chercheuse senior sur l’Iran à Human Rights Watch. « Le verdict scandaleux prononcé contre Toomaj Salehi n’est que le dernier exemple de la brutalité du système judiciaire iranien. Il devrait être libéré immédiatement. »
Le 30 octobre 2022, les autorités ont violemment arrêté Toomaj Salehi, le musicien ayant ouvertement critiqué le gouvernement lors des manifestations tenues suite au décès de Mahsa Jina Amini un mois auparavant, alors que cette jeune femme iranienne d’origine kurde était détenue par la police des mœurs. Les autorités ont détenu Salehi en isolement cellulaire et ont porté plusieurs accusations contre lui, y compris celle de « corruption sur Terre », une accusation vaguement formulée qui est passible de la peine de mort en Iran. L'agence de presse des militants iraniens des droits humains (Human Rights Activists News Agency, HRANA) a rapporté que les forces de sécurité gouvernementales avaient battu Salehi lors de sa détention.
Le 10 juillet 2023, la Première branche du Tribunal révolutionnaire d’Ispahan a condamné Salehi à six ans et trois mois de prison, en vertu de l’article 286 du Code pénal islamique en vigueur en Iran ; le tribunal a toutefois statué que le seuil requis pour l’accusation de « corruption sur Terre » n’avait pas été atteint dans cette affaire. L’article 286 punit certains crimes liés à la sécurité nationale, ou à l’ordre public, de peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison ; un crime qualifié de « corruption sur Terre » est passible de la peine de mort.
Le 18 novembre 2023, Amir Raeesian a déclaré à Shargh que Toomaj Salehi avait été libéré sous caution, suite au jugement de la Cour suprême annulant sa peine et renvoyant l'affaire devant le tribunal de première instance. Mais Salehi a été réarrêté le 30 novembre, avoir diffusé en ligne une vidéo dans laquelle il accusait ses interrogateurs de l’avoir maltraité ; les autorités ont alors porté de nouvelles accusations contre lui. Le 1er janvier 2024, HRANA a rapporté que Salehi avait été condamné à un an de prison et à une interdiction de voyager de deux ans, en guise de punition dans cette nouvelle affaire.
Le 18 avril, la Première branche du Tribunal révolutionnaire d’Ispahan a tenu un nouveau procès afin de juger Toomaj Salehi, visé par de nouvelles accusations comme l’a indiqué son avocat Amir Raeesian ; le tribunal a finalement reconnu Salehi coupable, et l'a condamné à mort sur la base de l'accusation de « corruption sur Terre ». Raeesian a affirmé que cette décision comportait d'importantes erreurs juridiques, dont certaines en contradiction avec le verdict de la Cour suprême. Il a ajouté qu'il ferait appel du nouveau verdict.
Human Rights Watch s'oppose à la peine de mort en toutes circonstance, en raison de son caractère intrinsèquement cruel et irréversible.
Suite au début de la répression des manifestations, les autorités judiciaires iraniennes ont considérablement accru le recours à des accusations liées a la sécurité nationale et vaguement définies contre des manifestants ; certaines accusations, y compris pour destruction de biens publics, sont passibles de la peine de mortÀ l'issue de procès manifestement inéquitables au cours desquels de nombreux accusés n'ont pas eu accès à un avocat de leur choix, les autorités ont prononcé 25 condamnations à mort en lien avec les manifestations. Au mois d’avril 2024, le gouvernement avait déjà exécuté huit personnes condamnées dans le cadre des manifestations. La Cour suprême a annulé 11 autres condamnations à mort.
Parmi les personnes arrêtées lors des manifestations figurait un autre rappeur iranien (d’origine kurde), Saman Seyedi, connu sous le nom de « Yasin ». Il a été condamné à mort pour « hostilité contre l’État » et pour « possession d’armes et complot visant à menacer la sécurité nationale », mais la Cour suprême a annulé la peine. Le 21 avril, HRANA a rapporté que la 15e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran avait condamné Seyedi à cinq ans de prison.
« Le gouvernement iranien a fait des tribunaux inéquitables la pierre angulaire de sa répression brutale de la dissidence populaire », a observé Tara Sepehri Far.
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