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Ouganda : Des centaines de dissidents torturés ou « disparus »

Le gouvernement devrait fermer les centres de détention illégaux et s’assurer que les victimes aient un moyen d'obtenir justice

Ces deux soldats ougandais patrouillaient près de la maison du chef de l'opposition Bobi Wine (Robert Kyagulanyi) à Magere, en Ouganda, le 16 janvier 2021. Bobi Wine, qui était candidat à l’élection présidentielle du 14 janvier 2021, avait été assigné à résidence durant cette période. © 2021 Sally Hayden / SOPA Images/Sipa via AP Images

(Kampala) – Le gouvernement ougandais n’a pas sanctionné des responsables des services de sécurité et d’autres d’individus qui ont illégalement placé en détention et torturé des centaines de personnes dont des détracteurs du gouvernement, des partisans de l’opposition et des manifestants pacifiques, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.

Le rapport de 62 pages, intitulé « ‘I Only Need Justice’ : Unlawful Detention and Abuse in Unauthorized Places of Detention in Uganda » (« ‘‘Je veux juste obtenir justice : Détention illégale et abus dans des centres illégaux en Ouganda’’ »), documente des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés par des membres de la police ougandaise, de l’armée, de l’agence de renseignement militaire et de l’Organisation de la sécurité intérieure (Internal Security Organisation, ISO). La plupart des actes examinés ont été commis en 2018, 2019 et à l’approche des élections générales de janvier 2021, dans des centres de détention non autorisés.

« Le gouvernement ougandais a toléré les arrestations arbitraires éhontées, la détention illégale et les mauvais traitements infligés aux détenus par ses responsables sécuritaires », a déclaré Oryem Nyeko, chercheur sur l’Ouganda et la Tanzanie auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Des mesures urgentes sont nécessaires pour aider les victimes, exiger des comptes des agents qui se sont livrés à de tels abus et mettre fin à ce cycle d’impunité et d’injustice. »

Bien que les autorités aient parfois reconnu certains abus, elles n’ont pris que peu de mesures pour y mettre fin ou rendre justice aux victimes. Celles-ci ont été confrontées à des problèmes physiques, mentaux et économiques persistants pendant et après leur détention, ainsi qu’à des obstacles pour avoir accès à des recours judiciaires.

Entre avril 2019 et novembre 2021, à Kampala, la capitale ougandaise, Human Rights Watch s’est entretenu avec 51 personnes, dont 34 ex-détenus, des témoins d’enlèvements et d’arrestations, des responsables gouvernementaux, des députés, des membres de partis d’opposition, des diplomates, des défenseurs des droits humains et des journalistes.

D’anciens détenus ont décrit la manière dont les responsables de la sécurité ont déclenché des procédures pénales lors des arrestations et pendant les détentions. Des agents ont accosté les victimes sur leur lieu de travail, à leur domicile ou dans la rue et les ont forcées, parfois sous la menace d’une arme, à monter à bord de véhicules banalisés, généralement des fourgonnettes Toyota Hiace, connues localement sous le nom de « drones ».

Les victimes ont été détenues dans divers lieux non autorisés, dans de nombreux cas dans de prétendus refuges, théoriquement destinés à la protection des témoins, mais qui servaient plutôt de centres de détention improvisés placés sous l’autorité de l’Organisation de la sécurité intérieure.

Dans certains cas, les détenus ont été retenus à bord de véhicules ou conduits sur une île du lac Victoria, dans une salle au sous-sol du parlement ougandais et dans des casernes militaires. Un homme qui a été détenu par les services de sécurité intérieure dans une maison sécurisée à Kyengera en 2019 a déclaré :

J’ai vu trois tentes militaires et deux camionnettes du State House [bâtiment gouvernemental] et trois autres véhicules. Ces véhicules transportaient des victimes comme moi, mais je ne le savais pas en arrivant. J’ai d’abord cru que c’était une maison privée.

Le 5 février 2020, la Commission parlementaire des droits humains a rendu public un rapport sur les enquêtes qu’elle avait ouvertes l’année précédente sur des allégations selon lesquelles des responsables de l’ISO auraient enlevé et détenu illégalement plus de 400 personnes. Le rapport a confirmé que les agences de sécurité gouvernementales détenaient et maltraitaient des individus dans des « refuges ». La commission a recommandé que les agences compétentes enquêtent plus avant sur ces allégations, mais aucune mesure n’a été prise pour mettre en œuvre cette recommandation ou mettre fin aux pratiques illégales et abusives.

Au cours des deux mois précédant les élections générales de janvier 2021, et pendant plusieurs mois ensuite, les cas d’abus se sont multipliés. À Kampala et dans les districts alentours, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation arbitraire et parfois fait disparaître de force des détracteurs du gouvernement, des dirigeants et partisans de l’opposition et des manifestants présumés. Bien que les autorités aient remis en liberté certains détenus au cours de l’année écoulée, le sort de beaucoup d’entre eux n’a pas été révélé.

D’anciens détenus ont déclaré que l’accès à des avocats ou à leur famille leur avait été refusé et qu’ils avaient été torturés, passés à tabac ou enchaînés par des agents de sécurité, qui leur ont infligés des décharges électriques et des injections de substances non identifiées. Certains, hommes et femmes, ont subi des viols et des actes de violence sexuelle en détention.

Une femme qui avait été détenue par les services de sécurité intérieure dans un refuge a déclaré qu’un fonctionnaire l’avait violée à deux reprises et que d’autres l’avaient également torturée :

J’ai été ligotée, ils appelaient cela la technique « Rambo », dans la position de crucifixion. J’avais mal. Je suis restée [dans cette position, dehors] pendant 12 heures. J’ai été ramenée à l’intérieur à 1h du matin. [Mon corps] avait enflé avant que je ne sois ramenée à l’intérieur.

Des agents de sécurité ont accusé certains détenus de tentatives d’assassinat de hauts responsables gouvernementaux, d’espionnage et de collusion avec des rivaux du président Yoweri Museveni pour le renverser. D’autres ont été accusés de crimes tels que l’incendie d’une école ou le vol de motos. Dans presque tous les cas de détention illégale documentés, les victimes ont déclaré que des agents de sécurité leur avaient volé et extorqué de l’argent, à elles ou à leurs familles, lors des arrestations ou comme condition de leur remise en liberté.

À plusieurs reprises, des agents de sécurité ont ignoré les décisions de justice ordonnant la libération de détenus ou arrêté de nouveau des personnes qui avaient été remises en liberté sous caution.

Le droit ougandais et le droit international interdisent catégoriquement la détention arbitraire, les disparitions forcées et la torture. La Constitution ougandaise de 1995 stipule qu’une personne arrêtée ou détenue doit être placée dans un centre de détention légalement reconnu. La loi de 2012 sur la prévention et l’interdiction de la torture et celle de 2019 relative à la mise en œuvre des droits de la personne criminalisent davantage la torture et prévoient la responsabilité individuelle des agents publics qui se livrent à des violations des droits humains. Cependant, aucun n’a encore été condamné en vertu de l’une de ces lois.

Les autorités ougandaises devraient fermer tous les centres de détention illégaux et enquêter sur toutes les informations faisant état d’abus, notamment les disparitions forcées, la détention arbitraire, la torture, le viol et d’autres formes de violence sexuelle, et veiller à ce que tous les responsables répondent de leurs actes, a préconisé Human Rights Watch. Les partenaires internationaux de l’Ouganda devraient prendre publiquement position sur ces graves violations et exhorter le gouvernement à garantir la justice pour les victimes.

« Les autorités ougandaises doivent de toute urgence réformer la police et les autres agences de sécurité pour démanteler les structures ayant permis que des abus aussi horribles aient pu être commis et rester impunis », a conclu Oryem Nyeko. « Toute mesure qui ne relève pas une refonte complète du système ne fera que perpétuer la culture d’impunité et entravera la création de services de sécurité respectueux des droits et en mesure d’être jugés. »

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