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Des agents de police contrôlent les documents d'identité de passants pendant le confinement à Rennes, en France. Le 11 avril 2020.

« Ces contrôles abusifs me font sentir comme un citoyen de seconde zone »

Pourquoi des ONG lancent une action de groupe contre les contrôles au faciès en France.

Des agents de police contrôlent les documents d'identité de passants pendant le confinement à Rennes, en France. Le 11 avril 2020. © 2020 Sipa via AP Images

Parce que la France n'a pas pris les mesures pour prévenir et mettre un terme aux contrôles d’identité discriminatoires, six organisations françaises et internationales de défense des droits humains saisissent le Conseil d’État. Omer Mas Capitolin, président de la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS) représente l'une d'elles. Vivant à Belleville, un quartier populaire de Paris, il milite depuis plus de 20 ans contre les discriminations policières. Léa Pernot s'est entretenue avec lui au sujet de sa propre expériences de ces abus et de leurs conséquences, et de ce qui l'a conduit à participer à cette action en justice inédite. 

Qu’est-ce qu’un contrôle d’identité et quelle expérience en avez-vous ?

Omer Mas Capitolin ©

Un contrôle d’identité, c’est lorsqu’un citoyen se fait arrêter dans l’espace public par des agents de police pour contrôler ses papiers. Or souvent, ces contrôles se font en fonction de l’origine supposée de la personne et sont accompagnés de palpations. Si on a le malheur de demander la raison du contrôle au policier, on se retrouve très souvent mis en cause pour « outrage à agent » ou rébellion.

Le dernier contrôle qui m’a marqué et même terrorisé, c’était en juin de l’année dernière. Je traversais la gare de Lyon à Paris quand je me suis fait arrêter sans raison, par une brigade qui m’a demandé mes papiers. J’ai demandé le motif du contrôle à la policière qui a pris cela pour de l’arrogance et ne m’a pas fourni d’explication. Pour éviter les ennuis, j’ai montré mes papiers d’identité et ai pu repartir sans qu’elle ne m’ait indiqué que j’avais commis un quelconque délit. Trois semaines plus tard, j’ai eu la désagréable surprise de recevoir trois amendes pour non-port du masque anti-covid, déplacement sans attestation dans les transports en commun [pendant les mesures de restrictions sanitaires durant la pandémie] et tapage nocturne. Tout était faux : je portais un masque, je n’étais pas dans les transports mais traversais la gare, et le contrôle a eu lieu en milieu d’après-midi ce qui rend l’infraction de tapage nocturne aberrante. J’ai contesté ces amendes et ai finalement obtenu gain de cause. La réalité est qu’il n’y avait aucune raison objective de me contrôler, que les agents sont tenus à des objectifs chiffrés en matière de contrôles d’identité et que l’agente s’est dit « Allez, je me chope un Noir ».

Cette expérience a renforcé mon sentiment d’être un citoyen de seconde zone, j’ai vraiment vécu ce contrôle comme une cérémonie de dégradation.

En quoi pensez-vous que ces contrôles discriminatoires sont « systémiques » ?

Le problème est systémique parce qu’il n’est pas le fait du comportement de quelques agents, mais est ancré notamment dans l’histoire coloniale de la France, dans des préjugés racistes ainsi que dans des textes de loi qui favorisent les contrôles au faciès.  On ne peut pas dire que le fonctionnaire de police est nécessairement raciste mais les ordres qu’il reçoit conduisent à des comportements discriminatoires.

Les contrôles d’identité dits administratifs, les plus courants, ceux qui permettent à la police de contrôler sans motif particulier, sont en grande partie opérés dans les quartiers populaires à forte population de personnes de couleur. On a le sentiment qu’il y a une volonté de faire en sorte qu’une frange de la population ne bénéficie pas de traitement égalitaire en matière de contrôle d’identité et d’interaction avec la police.  

Depuis des années, malgré les condamnations de l’Etat par la justice française, malgré les dénonciations des institutions nationales et internationales, malgré le travail des associations qui documentent ces pratiques, malgré les morts qu’il y a eu en lien avec ces contrôles, rien ne bouge.

Quelle sont les conséquences des contrôles de police abusifs sur ceux qui les subissent au quotidien ?

Cela engendre de la colère, de la haine, une dévalorisation de soi-même, dégrade le sentiment d’appartenance à la République et renforce celui de n’être pas pleinement considéré comme un Français.

Prenons l’exemple de ce garçon que j’accompagne dans le cadre de mon association : en rentrant chez lui, la semaine dernière, il s’est fait accoster par un policier qui n’a même pas pris le temps de lui demander ses papiers avant de l’asperger de gaz lacrymogène et de l’insulter. Ce garçon sait pertinemment que ces discriminations sont liées à deux choses : sa couleur de peau et le fait qu’il habite dans un quartier dit « populaire », donc à son statut social. Être pris dans ce double étau est très fatigant. Et, lorsque c’est régulier, que vous devez subir les coups, les insultes, ne rien dire pour ne pas risquer d’être accusé d’outrage à agent, cela devient vraiment insupportable et nuit fortement à la cohésion nationale.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager sur ce sujet ?

Il y a un contrôle qui, pour moi, a été déclencheur. Un jour de décembre 2001, il y a eu un contrôle de police dans la rue sur la devanture de l’association dont j’étais le Coordinateur, et où nous avions une réunion. L’intervention de police était tellement violente qu’elle faisait trembler les vitres de notre local et je suis donc sorti pour demander aux policiers de se déplacer. Les policiers sont alors entrés dans nos locaux, m’ont demandé mes papiers puis m’ont violemment interpellé. Je me suis retrouvé menotté, sorti à l’extérieur où le policier a commencé à m’étrangler. Il me serrait tellement la gorge que je ne pouvais plus respirer ni parler. Je sentais que je commençais à perdre connaissance et c’est finalement la directrice de l’association qui est intervenue. En me mettant dans la voiture de police, le policier m’a doublement giflé. D’autres responsables de l’association ont été emmenés au commissariat. Après cette histoire, on a écrit au ministre de l’Intérieur mais n’avons jamais eu de réponse. Nous avons déposé plainte, ça a été classé sans suite. C’est cet événement, extrêmement violent, qui a été à l’origine de mon engagement.

Qu’avez-vous entrepris avec votre association pour dénoncer et mettre un terme aux contrôles au faciès depuis ?

Au départ, nous nous sommes renseignés sur les actions qui avaient déjà été entreprises dans le passé et à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Nous avons organisé des tables rondes sur le sujet mais j’en suis très vite arrivé à la conclusion qu’il nous fallait utiliser le droit, changer les mentalités et aller vers des solutions qui permettaient non seulement d’être inclusifs mais qui intégraient l’aspect systémique de la problématique. Nous avons monté une plateforme pour mettre fin aux contrôles au faciès avec des avocats et des ONG dont Human Rights Watch et l'Open Society Justice Initiative et les premiers procès ont suivi. Le premier a eu lieu en 2012 avec quinze jeunes qui ont déposé plainte contre l’Etat. J’ai assisté aux audiences et me souviens de propos particulièrement violents de la partie adverse, sous-entendant que, par notre couleur de peau, nous étions des personnes anxiogènes et criminogènes. Après des années, le procès a finalement abouti à une décision de la Cour de cassation extrêmement importante en 2016 puisqu’elle reconnaissait la réalité des contrôles au faciès, ce que les institutions avaient nié jusqu’alors. Depuis, il y a eu d’autres condamnations de l’Etat.

Ces procès, c’était le moyen, en utilisant le droit, de redonner confiance dans les institutions de la République aux gamins et aux autres citoyens qui subissent ces discriminations. Aujourd’hui, notre action de groupe devant le Conseil d’Etat  relève de la même démarche : elle cherche à contribuer au changement, à faire évoluer les choses. On n’est pas en train d’accuser les uns et les autres, on est en train de dire qu’il y a un problème et qu’il faut le régler.

Cette action doit permettre aussi aux jeunes de ne pas se laisser envahir par la colère, d’éviter qu’ils n’utilisent des moyens plus violents pour essayer de récupérer la dignité qu’on leur enlève à travers ces contrôles. C’est, pour moi, un outil émancipateur.

Qu’attendez-vous de cette action de groupe ?

J’attends de cette action qu’il y ait une obligation à l’Etat de réformer, de se conformer au droit international et tout simplement à la Constitution : « Tous les citoyens naissent libres et égaux en droit ». On veut contribuer à changer la société pour qu’elle soit plus juste, plus égalitaire et plus éthique et démontrer au reste de la population qu’en utilisant le droit, en demandant à la justice de trancher, on peut obliger l’Etat à mettre fin à un abus. Je suis conscient que mes ancêtres qui étaient des esclaves se sont battus pour leur liberté, pour être reconnus comme des êtres humains - et non pas comme des meubles appartenant à des propriétaires. C’est parce qu’ils ont lutté au prix de leur vie qu’aujourd’hui, je ne suis pas dans un champ de coton. Cette action de groupe permet le débat dans la société avec les victimes et les citoyens qui observent. Je veux que l’action de groupe puisse apporter une réponse à un jeune qui vient de se faire contrôler, qui s’est fait humilier, à qui on a palpé les parties génitales, à qui on a fouillé le téléphone, violant son intimité, l’exposant à la vue des passants, le renvoyant à l’image qu’il peut être un criminel ou un délinquant, pour éviter qu’il ne soit tenté par la violence, lui montrer qu’on essaie de faire bouger les choses.

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