(Beyrouth) – Le système discriminatoire de tutelle masculine au Qatar prive les femmes du droit de prendre librement leurs décisions dans des domaines clés de leur vie, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Ce rapport de 94 pages, intitulé « ‘Everything I Have to Do is Tied to a Man’: Women and Qatar’s Male Guardianship Rules » (« ‘Tout ce que je fais nécessite l’accord d’un homme’ : Les femmes et les règles de la tutelle masculine au Qatar »), analyse les règles officielles de la tutelle masculine et leur mise en pratique. Human Rights Watch a constaté qu’au Qatar, les femmes doivent obtenir la permission de leur tuteur masculin pour se marier, pour faire des études à l’étranger à l’aide de bourses du gouvernement, pour travailler dans de nombreux secteurs de la fonction publique, pour voyager à l’étranger jusqu’à un certain âge et pour recevoir certains soins médicaux dans le domaine reproductif. Ce système discriminatoire empêche également les femmes d’être le principal titulaire de l’autorité parentale sur leurs enfants, même lorsqu’elles ont divorcé et qu’elles en ont la garde. Ces restrictions constituent des violations de la constitution du Qatar et du droit international.
« Les femmes au Qatar ont réussi à renverser des barrières et obtenu des progrès significatifs dans des domaines comme l’éducation, mais elles sont toujours obligées d’observer les règles de la tutelle masculine, qui sont appliquées par l’État et limitent leur capacité de mener une vie accomplie, productive et indépendante », a déclaré Rothna Begum, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Le système de tutelle renforce le pouvoir de contrôle des hommes sur la vie et sur les décisions des femmes, et est susceptible d’encourager ou d’alimenter des violences, laissant aux femmes peu d’options réalistes pour échapper aux abus pouvant être commis par leurs familles et leurs maris. »
Les conclusions de Human Rights Watch se fondent sur l’examen de 27 lois, de règlements, de politiques, de formulaires et d’échanges de communications écrites avec le gouvernement, ainsi que sur 73 entretiens, notamment 50 discussions approfondies avec des femmes affectées par ce système. Dans des communications écrites datées de février et de mars 2021, des représentants du gouvernement ont confirmé nombre de ces conclusions et en ont contesté d’autres, malgré l’apport par Human Rights Watch de preuves du contraire.
Les lois du Qatar exigent qu’une femme obtienne l’autorisation de son tuteur masculin pour se marier, quel que soit son âge ou sa précédente situation maritale. Une fois mariée, elle peut être considérée comme « désobéissante » si elle n’obtient pas au préalable de son mari la permission de travailler ou de voyager, ou si elle déserte son foyer ou refuse d’avoir des rapports sexuels avec lui, sans raison « légitime ». Un homme peut avoir jusqu’à quatre épouses en même temps, sans avoir besoin de la permission d’un tuteur, ni même de sa - ou de ses - première(s) femme(s).
Une femme qatarie ne peut en aucun cas être le principal titulaire de l’autorité parentale sur ses propres enfants. Elle n’a pas autorité pour prendre de manière indépendante des décisions concernant les documents d’état-civil de ses enfants, leurs finances, leurs voyages et parfois même leur scolarité et leurs soins médicaux, même si elle est divorcée et si un tribunal lui a confié la « garde » de ses enfants, ou si le père de ceux-ci est mort. Si l’enfant n’a plus de parent ou de proche de sexe masculin pour agir en tant que tuteur, c’est le gouvernement qui assume ce rôle.
Le caractère discriminatoire des lois relatives au divorce et des décisions concernant les enfants a eu pour effet d’enfermer des femmes dans des liens matrimoniaux où elles étaient victimes d’abus, devant souvent attendre des années avant d’obtenir un divorce. Si elles parviennent à en sortir, elles peuvent être dans l’impossibilité de se remarier, de peur de perdre la garde de leurs enfants et demeurent dépendantes de leurs ex-maris, qui demeurent les tuteurs légaux des enfants.
Des femmes interrogées par Human Rights Watch ont déclaré que leurs tuteurs masculins leur avaient interdit d’aller faire des études à l’étranger ou de s’inscrire dans des universités mixtes au Qatar, imposant ainsi des limites à ce qu’elles pouvaient étudier et à leurs futures carrières. Les femmes ont indirectement besoin de l’autorisation de leur tuteur masculin afin d’obtenir une bourse du gouvernement pour suivre des études supérieures. Des femmes ont indiqué avoir eu à affronter des obstacles à l’Université du Qatar (Qatar University), établissement d’État où les étudiants sont séparés selon leur sexe, notamment en ayant besoin d’une autorisation de leur tuteur pour entrer ou sortir du campus en taxi, pour vivre dans un logement d’étudiant et pour participer à des excursions de classe dans le cadre de leurs études.
Le gouvernement, dans sa réponse écrite à Human Rights Watch, a affirmé que les femmes pouvaient agir elles-mêmes en tant que tutrices pour obtenir des passeports ou des cartes d’identité pour leurs enfants, qu’elles n’avaient pas besoin de l’autorisation de leur tuteur pour accepter une bourse ou pour travailler dans un ministère, dans les institutions ou les établissements scolaires gouvernementaux, et que l’approbation du tuteur n’était pas exigée pour les excursions éducatives de l’Université du Qatar qui font partie des programmes d’enseignement. Cependant, les recherches effectuées par Human Rights Watch, notamment les entretiens et l’examen de certains documents comme les demandes d’autorisation des tuteurs présentées par les écoles et les employeurs, permettent de contredire les affirmations du gouvernement.
Des femmes qataries ont affirmé à Human Rights Watch qu’elles avaient besoin de l’autorisation de leur tuteur masculin pour de nombreux emplois gouvernementaux, notamment dans les ministères et dans les écoles ou universités d’État. Quoique aucune loi n’exige que les femmes aient l’autorisation de leur tuteur pour travailler, aucune loi n’interdit la discrimination à l’encontre des femmes dans le processus d’embauche.
Human Rights Watch a constaté que les femmes qataries non mariées et âgées de moins de 25 ans doivent obtenir la permission de leur tuteur pour voyager à l’étranger et que les femmes peuvent aussi faire l’objet d’une interdiction de voyager, quel que soit leur âge, par leur mari ou par leur père. Dans plusieurs domaines, notamment celui des voyages, le manque de transparence concernant les règles - et d’information lorsqu’elles changent - rend difficile pour les femmes de les contester. En 2020, les responsables aéroportuaires ont empêché des femmes de partir en voyage sans être escortées par un parent de sexe masculin et ont insisté pour appeler leurs tuteurs afin de vérifier qu’elles n’essayaient pas de « s’enfuir. » Les autorités ont stoppé aussi bien des Qataries célibataires âgées de moins de 25 ans et munies de permissions de sortir valides que des femmes de plus de 25 ans, qui devraient être exemptées de présenter une telle permission.
Des femmes ont également affirmé qu’elles avaient dû fournir une preuve de mariage pour accéder à certains soins médicaux dans les domaines sexuel et reproductif, par exemple des soins lors de la grossesse, des échographies, des frottis vaginaux et des examens gynécologiques. Elles avaient également eu besoin de l’accord de leur mari pour recevoir certains soins dans le domaine reproductif, tels que la stérilisation et l’avortement.
Certains hôtels refusent de louer une chambre à des femmes qataries non mariées âgées de moins de 30 ans si elles ne sont pas accompagnées d’un proche de sexe masculin, et les Qataries n’ont pas le droit de participer à certains événements et d’entrer dans des lieux où l’on sert des boissons alcoolisées.
Les femmes étrangères vivant au Qatar, qui dépendent du parrainage de leur mari ou de leur père pour leur visa, sont elles aussi soumises à des contrôles comparables à ceux de la tutelle masculine. Elles ont besoin de l’autorisation de l’homme qui les a parrainées pour leur visa pour obtenir un permis de conduire, un emploi ou une bourse du gouvernement pour faire des études au Qatar.
La plupart des femmes interrogées par Human Rights Watch ont affirmé que ces règles avaient eu un impact très négatif sur leur capacité à mener une vie indépendante. Certaines ont indiqué en avoir été affectées sur le plan psychologique, ce qui les avait conduites à des pulsions auto-destructrices, à des crises de dépression, à du stress et à des pensées suicidaires.
Aujourd’hui, les femmes au Qatar s’expriment davantage au sujet de leurs droits, en particulier sur internet. Mais les lois qui limitent les libertés d’expression et de réunion, les manœuvres d’intimidation du gouvernement et les actes de harcèlement sur les réseaux sociaux demeurent de gros obstacles, a constaté Human Rights Watch. Il n’y a pas d’organisation indépendante de défense des droits des femmes.
Les règles de la tutelle masculine sont en contradiction avec certaines lois du Qatar stipulant que la tutelle sur les filles prend fin quand elles atteignent l’âge de 18 ans et violent sa constitution, ainsi que les obligations du pays aux termes du droit international en matière humanitaire. Elles rendent également difficile la réalisation par le Qatar de sa Vision nationale pour 2030 (National Vision 2030), qui définit les objectifs à long terme du pays, y compris celui d’une force de travail diversifiée, avec des possibilités d’emploi pour les femmes qataries.
« En appliquant les règles de la tutelle masculine sur les femmes, le Qatar rend un mauvais service à sa population féminine et se retrouve maintenant à la traîne dans ce domaine derrière certains pays voisins, alors que dans le passé, il avait parfois montré la voie », a affirmé Rothna Begum. « Le Qatar devrait abroger toutes les règles discriminatoires à l’encontre des femmes, donner une large publicité à ces changements, adopter des lois anti-discrimination et s’assurer que les femmes disposent d’un espace civique suffisant pour faire valoir leurs droits. »
Témoignages cités dans le rapport
« Nawal », citoyenne qatarie âgée de 32 ans, a déclaré que lorsqu’elle a sollicité auprès de la commission gouvernementale des mariages l’autorisation d’épouser un ressortissant étranger en se conformant à la loi du Qatar, son frère lui a refusé sa permission en tant que tuteur. « J’avais besoin de sa signature et d’une lettre de consentement de sa part, il s’est senti plein de pouvoir et a fait de l’obstruction », a-t-elle dit. « Nous avions un différend personnel et il m’a dit: ‘Je ne t’aiderai pas.’ »
Um Qahtan, une femme de 44 ans de nationalité qatarie, a affirmé que son mari l’avait avertie que si elle le quittait, il empêcherait leur quatre enfants de voyager avec elle et les retirerait de leurs écoles internationales pour les inscrire dans des écoles publiques qataries. Elle a précisé qu’après qu’elle l’eut quitté, « il a fait ces deux choses. »
Elle a ajouté que lors d’une audience de tribunal en février 2021, un juge a rejeté sa demande de transférer son fils dans une école différente, en arguant qu’il ne pouvait s’ingérer dans le « droit divin du père de décider où son enfant doit aller à l’école. »
« Sanaa », Qatarie de 31 ans, a déclaré: « Pour obtenir une bourse pour faire des études à l’étranger, vous devez avoir la permission de votre tuteur … Même à l’Université du Qatar, en tant que professeur assistant, vous avez besoin de l’autorisation de votre tuteur, spécifiant qu’il n’a pas d’objection à ce que vous alliez à l’étranger pour poursuivre vos études. »
« Nayla », enseignante qatarie âgée de 24 ans, a décrit comment elle avait pu accéder à un poste de professeur en 2019: « J’ai dû fournir une pièce d’identité de mon père et une lettre de consentement de sa part, indiquant qu’il ne s’opposait pas à ce que je prenne cet emploi et travaille ici…. C’est pour le ministère de l’Éducation. »
« Muna », Qatarie âgée de 32 ans, a déclaré que les autorités l’avaient bloquée à l’aéroport en 2020 et lui avaient dit: « Le gouvernement a pris de nouvelles règles en interne. » Elle a tout d’abord refusé de leur donner le numéro de téléphone de son père et a plaidé: « Ce que vous faites est illégal, j’ai le droit de voyager puisque j’ai plus de 25 ans. » Mais, a-t-elle ajouté, « Ils ont dit que c’était dans l’intérêt de la sécurité intérieure de l’État du Qatar et dans l’intérêt des familles du Qatar… Alors je leur ai donné le numéro en espérant que mon père était encore éveillé car il était minuit et il a 67 ans…. En tant que citoyens, nous avons le droit de savoir en vertu de quelle loi on nous empêche de voyager. »
« Dana », jeune Qatarie âgée de 20 ans, a déclaré que, lorsqu’elle avait 18 ans, elle a dû prétendre de manière mensongère qu’elle était mariée et donner le nom et le numéro de téléphone d’un ami, le faisant passer pour son mari, afin d’obtenir des soins médicaux urgents, alors même que ces soins n’avaient aucun rapport avec une quelconque activité sexuelle. « Une fois, un médecin des urgences m’a recommandée à l’hôpital des femmes pour des ultrasons », a-t-elle dit. « Je souffrais tellement qu’il croyait que j’avais un kyste ovarien qui s’était rompu. Mais ils ne voulaient pas me faire une échographie vaginale sans certificat de mariage. En fait, ils ont refusé de me faire subir un examen médical car je n’étais pas mariée. »
« Nadine », citoyenne britannique de 33 ans résidant au Qatar, a déclaré qu’elle souffrait d’endométriose depuis l’âge de 13 ans, mais qu’elle n’a pas pu le faire diagnostiquer au Qatar avant d’être mariée depuis plusieurs années. Elle a précisé que les personnels de santé ne voulaient pas pratiquer sur elle certains examens, comme une échographie transvaginale, un test de frottis vaginal ou une biopsie utérine, sans certificat de mariage. Elle a conclu: « Donc vous devez souffrir en silence. J’avais d’horribles douleurs. »
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