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RD Congo : Les forces de sécurité ont tiré sur des fidèles catholiques

Il faut mettre fin à la répression et autoriser services religieux et manifestations pacifiques

(Kinshasa) - Les forces de sécurité en République démocratique du Congo ont fait un usage excessif de la force, notamment en tirant des gaz lacrymogènes et à balles réelles sur des manifestants pacifiques dans des églises catholiques de Kinshasa et d’autres villes du pays le 31 décembre 2017, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Face aux policiers et aux militaires lourdement armés, certains manifestants, vêtus de blanc, ont chanté des hymnes ou se sont agenouillés au sol. Au moins huit personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées, dont au moins 27 par balles. Le nombre de morts et de blessés pourrait cependant être beaucoup plus élevé.

Les tirs, passages à tabac et arrestations arbitraires de fidèles pacifiques par les forces de sécurité congolaises sont une violation des droits de ces personnes à la liberté de culte, d’expression et de réunion pacifique, a souligné Human Rights Watch. Ceux qui ont fait un usage illégal de la force meurtrière devraient être poursuivis. D’autres marches étant prévues, les autorités devraient lever l’interdiction de manifester et permettre aux personnes qui le souhaitent de pratiquer leur religion sans interférence.

« Les forces de sécurité congolaises ont battu un triste record en tirant dans l’enceinte d’églises pour interrompre les services religieux et empêcher des processions pacifiques », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait cesser d’interdire les manifestations et laisser les fidèles pratiquer leur religion sans être inquiétés. »

Depuis ces fusillades, des responsables laïcs de l’Église catholique en RD Congo ont appelé à des marches pacifiques après la messe dominicale du 21 janvier 2018, afin d’exhorter les dirigeants congolais à respecter l’accord politique négocié avec la médiation de l’Église catholique et signé fin 2016. L’accord prévoyait la tenue d’élections présidentielles fin 2017, ainsi que des mesures visant à atténuer les tensions politiques. Ces engagements ont cependant été largement ignorés, et le président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir par la violence et la répression.

Depuis le 31 décembre 2017, Human Rights Watch a interrogé 86 personnes en RD Congo, parmi lesquelles des victimes et des membres de leur famille, des témoins, des prêtres et d’autres responsables cléricaux, des employés des hôpitaux et des morgues, des activistes locaux, des agents des forces de sécurité et des dirigeants politiques.

Début décembre, le Comité laïc de coordination (CLC), un groupe d’intellectuels catholiques soutenu par des prêtres catholiques et des évêques de la RD Congo, a lancé un appel à manifester le 31 décembre. Ils appelaient tous les Congolais à protester contre l’échec de la mise en œuvre de l’accord dit de la Saint-Sylvestre et à « libérer l’avenir du Congo ». Les prêtres des paroisses congolaises avaient prévu d’organiser des processions pacifiques à partir de leurs églises, juste après la messe dominicale. Tous les grands dirigeants de l’opposition politique, les organisations de la société civile et les mouvements citoyens soutenaient l’appel à manifester, nombre d’entre eux demandant aussi de manière explicite la démission immédiate de Kabila ainsi qu’une « transition citoyenne » pour restaurer l’ordre constitutionnel et organiser des élections crédibles.

Le 31 décembre, mais aussi les jours qui ont précédé les manifestations, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation d’un grand nombre de personnes, dont au moins six prêtres catholiques ainsi que des activistes pro-démocratie, des membres des partis d’opposition et d’autres manifestants pacifiques. Dans une tentative évidente d’empêcher l’information sur les manifestations de se propager, le gouvernement a ordonné aux compagnies de télécommunication de bloquer la diffusion des SMS et l’accès à Internet en RD Congo le 30 décembre. Le service n’a été rétabli que trois jours plus tard.

Selon l’Église, le 31 décembre au matin les forces de sécurité ont encerclé au moins 134 paroisses catholiques à Kinshasa et érigé des barrages routiers à travers toute la ville. Nombre d’habitants de Kinshasa ont été obligés de montrer leurs cartes d’électeurs, qui servent de carte d’identité en RD Congo, pour passer les barrages routiers et se rendre à l’église. Certaines personnes, notamment celles qui portaient ou tenaient de manière visible des objets à connotation religieuse – comme des croix, des bibles, des chapelets et des rameaux – ont été empêchées de passer ces barrages. Les forces de sécurité ont annoncé à certains d’entre eux qu’il n’y aurait pas de messe ce jour-là et qu’ils devaient rentrer chez eux.

Des membres des forces de sécurité congolaises poursuivent des personnes qui participaient à une manifestation pacifique dans la capitale de la RD Congo, Kinshasa, le 31 décembre 2017. © 2017 John Bompengo

Malgré ces méthodes d’intimidation musclées, les églises étaient ce jour-là bondées selon les prêtres et les fidèles. Ces fidèles ont tenté, avec d’autres, de manifester dans les villes de Beni, Bukavu, Butembo, Goma, Idjwi, Kindu, Kamina, Kananga, Kisangani, Lubumbashi, Matadi et Mbandaka, et dans la capitale. Partout dans le pays, les forces de sécurité ont rapidement et souvent violemment dispersé les manifestants.

À Kinshasa, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes dans des églises d’au moins trois paroisses. Dans plusieurs autres paroisses, elles ont tiré des gaz lacrymogènes, à balles en caoutchouc et, dans certains cas, à balles réelles juste à l’extérieur des bâtiments de l’église, sur les terrains dépendant de ces paroisses.

« Au début de l’homélie, j’ai entendu un grand bruit à l’extérieur au moment où la police s’est mise à tirer des gaz lacrymogènes », a déclaré un prêtre de Kinshasa. « J’ai poursuivi mon service malgré tout. Il y a eu une deuxième détonation, puis une autre encore, et cette fois la police a tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur de l’église. C’était impossible de continuer et j’ai dû arrêter la messe pour permettre aux fidèles d’aller dehors pour respirer. »

Le 5 janvier, le porte-parole de la police de Kinshasa a déclaré que cinq personnes avaient été tuées le 31 décembre : un policier, deux bandits connus sous le nom de « kulunas », un soi-disant « terroriste » et un membre de la milice Kamuina Nsapu, qui seraient tous morts dans des circonstances sans rapport avec les manifestations.

En plus des huit décès qui ont pu être confirmés, Human Rights Watch a reçu des informations crédibles d’agents des forces de sécurité, de responsables des morgues et d’autres personnes faisant état d’au moins 20 autres personnes tuées à Kinshasa dont les corps ont été emmenés par les forces de sécurité vers des lieux qui n’ont pu être identifiés. Certains auraient été jetés dans le fleuve Congo. Human Rights Watch poursuit ses enquêtes sur tous les décès qui lui ont été signalés.

Les autorités congolaises devraient autoriser toutes les manifestations pacifiques conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et veiller à ce que les forces de sécurité n’utilisent pas la force de manière excessive ou quand cela est inutile. Les individus qui font un usage illégal de la force ou se rendent coupables d’arrestations arbitraires et d’autres violations graves des droits humains devraient faire l’objet de mesures disciplinaires adaptées, ou être poursuivis. Les autorités devraient aussi cesser de bloquer les communications, notamment en obligeant les entreprises de télécommunications à limiter l’accès à leurs services.

La mission de maintien de la paix de l’ONU en RD Congo, la MONUSCO, devrait appliquer son mandat en protégeant plus activement la population, notamment en se déployant avant les manifestations autour des zones où il est probable que des personnes se rassemblent, pour empêcher les abus.

Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient montrer aux responsables gouvernementaux et aux forces de sécurité qu’ils paieront le prix des méthodes violentes et répressives qu’ils utilisent pour maintenir l’emprise de Kabila sur le pouvoir, et que les principaux responsables de ces abus et ceux qui apportent un soutien financier ou politique à ces méthodes s’exposent notamment à des sanctions ciblées. Les bailleurs de fonds devraient cesser tout soutien direct au gouvernement et aux forces de sécurité congolaises jusqu’à l’adoption de mesures concrètes d’ouverture de l’espace politique, et demander des comptes aux responsables de violations graves des droits humains. Le financement devrait être redirigé vers l’aide humanitaire, la société civile congolaise et les groupes de défense des droits humains. Les dirigeants régionaux devraient faire pression pour obtenir la démission de Kabila et travailler avec d’autres partenaires pour répondre aux préoccupations relatives à sa sécurité physique après son départ du pouvoir.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction devrait effectuer une visite en RD Congo pour enquêter et rendre compte publiquement de la violence contre les prêtres et les fidèles dans les paroisses catholiques autour du 31 décembre.

« Kabila et sa clique semblent prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition pour écraser, faire taire et éliminer toute opposition à leurs efforts de maintien au pouvoir », a déclaré Ida Sawyer. « Avant la prochaine série de violences meurtrières et de répression, les partenaires internationaux de la RD Congo feraient bien de montrer à Kabila que de nouveaux abus ne pourront être tolérés. ».

Les forces de sécurité encerclent les églises, interrompent les services religieux et dispersent les processions

Kinshasa compte plus de 160 paroisses catholiques. Des prêtres et des responsables cléricaux ont indiqué que ces paroisses avaient dans leur grande majorité été encerclées ou que leur fonctionnement avait été perturbé par les forces de sécurité pendant ou après la messe du dimanche 31 décembre. Selon une note technique publiée le 3 janvier par le nonce apostolique, le représentant diplomatique permanent du Saint-Siège à Kinshasa, les forces de sécurité ont encerclé 134 paroisses catholiques dans la capitale ; elles ont entièrement bloqué l’accès aux messes et empêché leur célébration dans deux d’entre elles ; perturbé les services de la messe dans cinq autres ; pénétré dans les enceintes d’au moins dix-huit paroisses ; et tiré des gaz lacrymogènes dans au moins 10 d’entre elles. La note indique que des décès ont été signalés dans au moins trois paroisses.

Un prêtre de Kinshasa a déclaré à Human Rights Watch avoir été surpris par le nombre de personnes présentes pour assister à la messe ce jour-là, alors même que sa paroisse était encerclée par les forces de sécurité :

Généralement, une telle foule n’est présente que pour les grandes cérémonies religieuses. Mais le 31, c’était plutôt une messe ordinaire. Pourtant, ma paroisse a été inondée de fidèles, à l’intérieur de l’église comme à l’extérieur, dans la cour. J’ai été très surpris parce que les policiers s’étaient déjà déployés la veille à proximité de la paroisse et qu’ils avaient multiplié les barrières. J’étais certain que les fidèles auraient trop peur de venir assister à la messe le lendemain. Mais maintenant, je vois bien que le peuple congolais est déterminé.

Un autre prêtre de Kinshasa a déclaré que les policiers ont tiré des gaz lacrymogènes et à balles réelles sur la foule des fidèles qui voulaient défiler après la messe, et qu’ils ont poursuivi ceux qui cherchaient à se réfugier à l’intérieur de l’église, où ils se sont servis de gaz lacrymogènes et se sont attaqués à la sacristie. Il a déclaré :

Quand les fidèles ont voulu défiler, les forces de sécurité ont tenté de les arrêter en bloquant la route et en tirant des gaz lacrymogènes en direction de la foule. Suivant des instructions données à l’avance, tous les Chrétiens se sont agenouillés et ont commencé à chanter des hymnes. Les forces de sécurité ont riposté en tirant à balles réelles, blessant deux personnes. Dans la panique, certains fidèles ont couru se réfugier dans l’église.

Dix minutes plus tard environ, les policiers ont fait effraction dans la paroisse et ont tiré au moins six salves de gaz lacrymogènes sur les enfants, les personnes âgées et les autres personnes qui cherchaient refuge à l’intérieur de l’église. Ensuite ils ont tout saccagé, y compris les bancs et la crèche. Ils ont même tenté de mettre le feu à la statue de la Vierge Marie. Ils sont entrés dans la sacristie et ils ont tout fouillé de manière systématique, apparemment pour trouver de l’argent ou d’autres objets de valeur.

Dans une autre paroisse de Kinshasa, le prêtre a décidé, compte tenu de l’important déploiement de forces de sécurité, de ne pas faire de marche en dehors de la paroisse, mais d’organiser une procession entre l’église et la grotte. « Les fidèles suivaient les acolytes qui portaient des croix et d’autres symboles religieux tout en s’avançant vers la statue », a-t-il expliqué. « Quand les forces de sécurité qui se trouvaient dehors ont vu ce qui se passait, ils ont immédiatement lancé des gaz lacrymogènes. Un policier a alors tiré à balles réelles sur les personnes qui étaient arrivées jusqu’à la grotte et blessé deux d’entre elles ».

Meurtres commis par les forces de sécurité

Les huit personnes dont le meurtre a été confirmé par Human Rights Watch étaient toutes des hommes d’âge adulte. Trois d’entre eux étaient des personnes âgées.

Les forces de sécurité ont abattu un percepteur dans un bus de 23 ans à Kinshasa alors qu’il se rendait à son travail. Son frère a déclaré à Human Rights Watch :

Mon frère allait à son travail quand il a aperçu des gens qui couraient dans tous les sens, poursuivis par les forces de sécurité. Il a fini par se retrouver face à un groupe de militaires qui l’ont accusé d’être avec les manifestants. Il leur a répondu qu’il n’était pas avec eux, puis il a vu un militaire charger son arme et il s’est enfui. Le militaire lui a tiré dessus, le touchant à la main puis à l’épaule... Ça me fait mal d’entendre les autorités dire que les militaires n’ont tué personne, quand c’est le cas dans ma propre famille.

Une femme a raconté que la police avait abattu son fiancé, un chauffeur de moto-taxi âgé de 44 ans, à 10 mètres de l’entrée d’une église de Kinshasa :

Mon fiancé n’était pas un catholique, mais il avait participé à la marche comme tout citoyen qui veut que notre pays change. Après la marche, alors qu’ils rentraient à la paroisse sous la conduite des prêtres catholiques, les policiers ont commencé à les disperser avec du gaz lacrymogène et en tirant sur la foule à balles réelles. Mon fiancé a tenté d’aider une bonne sœur à ramasser sa chaussure qui s’était détachée. Il a été frappé d’une balle à la poitrine, juste devant la paroisse. Nous devions célébrer notre mariage dans quelques semaines. Maintenant il n’est plus là.

Après que le chauffeur de taxi ait été abattu, un homme a crié que les policiers avaient tué « un innocent » connu de tout le voisinage. Les policiers l’ont abattu lui aussi.

Un acteur de théâtre âgé de 60 ans a été abattu devant son domicile à Kinshasa lorsque les forces de sécurité ont dispersé la foule qui se trouvait à proximité. Sa femme a raconté la scène :

Mon mari ne participait pas à la manifestation, il parlait à son frère devant notre maison quand une jeep de la police est arrivée. Ils se sont mis à tirer sur la foule qui se trouvait à proximité. Mon mari a été touché au flanc droit par une balle qui est ressortie au niveau du bas-ventre. Comme il saignait beaucoup, nous l’avons emmené directement à la clinique de notre quartier. Il a ensuite été transféré dans un hôpital public. Il est mort des suites de sa blessure quatre jours plus tard.

Une femme a déclaré que son mari, un retraité de 75 ans, était mort asphyxié après avoir respiré du gaz lacrymogène pendant la messe à Kinshasa le 31 décembre :

Le dimanche, je suis allé à l’église avec mon mari, qui était en très bonne santé. Après la messe, le prêtre nous a conseillé de ne pas sortir parce que l’église était cernée par les policiers. Mon mari est quand même sorti. Peu après, je l’ai vu revenir en courant, les mains sur le visage. Ses yeux étaient enflés, ses lèvres semblaient brûlées, et tout son corps s’est soudainement transformé. Un autre fidèle m’a dit qu’un policier avait tiré des gaz lacrymogènes dans sa direction au moment où il s’approchait avec d’autres du portail pour quitter l’enceinte de la paroisse et manifester. Nous l’avons emmené à l’hôpital où il est mort le jour même.

Le fils d’un enseignant catholique de 67 ans a déclaré que son père était mort après avoir inhalé des gaz lacrymogènes tirés par des policiers dans sa paroisse après la messe dominicale :

Le dimanche, quand mon père est rentré de l’église, il a dit qu’il avait des vertiges à cause des gaz lacrymogènes tirés par la police à l’extérieur de l’église. Le mardi suivant, tout son corps a commencé à être affecté. Il ne pouvait plus parler, ni bouger ; seule sa main droite bougeait encore un peu. Nous l’avons emmené à la clinique locale. Ils l’ont transféré aux services d’urgence. Il est mort deux jours plus tard.

À Kananga, dans la province du Kasaï-Central, un prêtre a déclaré à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient abattu un membre de sa paroisse âgé de 22 ans alors qu’il rejoignait les fidèles qui organisaient une marche.

Un maçon catholique de 28 ans a été abattu après avoir assisté à la messe dominicale dans une église de Kinshasa. Son oncle a déclaré à Human Rights Watch que sa famille n’avait pas pu récupérer son corps à la morgue ou organiser ses funérailles :

Quand nous sommes allés à la morgue, des membres de la police militaire nous ont interceptés et nous ont arrêtés avec un journaliste étranger et deux avocats qui nous accompagnaient. Ils nous ont emmenés dans un camp militaire où nous avons été détenus jusqu’au soir. Ils nous ont reproché d’emmener des étrangers à la morgue pour faire des interviews et lancer des accusations contre le président. Deux jours plus tard, nous sommes retournés à la morgue avec l’argent pour embaumer le corps, mais une fois les formalités accomplies, un officier du renseignement est intervenu pour nous dire que personne n’avait le droit de toucher à ce corps jusqu’à nouvel ordre. Il a déchiré tous les documents que nous avions remplis et pris notre argent. Depuis, nous craignons de retourner à la morgue, tout en redoutant que le corps de notre frère ne commence à se décomposer. Nous espérons que les autorités nous le rendront et qu’elles nous autoriseront à organiser les funérailles qu’il mérite en toute dignité.

Le 18 janvier, la famille a finalement été autorisée à récupérer le corps.

Personnes blessées par les forces de sécurité

Des dizaines de personnes ont été blessées à Kinshasa et dans d’autres villes lorsque les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes, avec des balles en caoutchouc et à balles réelles dans l’enceinte des églises et sur les manifestants le 31 décembre. Au moins 27 personnes ont été blessées par balle à Kinshasa selon les registres des hôpitaux consultés par Human Rights Watch.

Une femme a raconté à Human Rights Watch que sa sœur de 20 ans, étudiante à Kinshasa, avait été blessée au visage :

Ma petite sœur venait de sortir pour acheter du pain quand un policier a tiré sur une foule et c’est comme ça que ma sœur a été touchée. La balle l’a atteinte au visage, elle a perdu ses dents, sa lèvre supérieure et une partie de sa lèvre inférieure. Sa langue a également été touchée.

La jeune femme a ensuite été évacuée pour être soignée à l’étranger.

Un prêtre de Kinshasa a déclaré qu’il avait été touché sous l’œil par une balle en caoutchouc :

Je suis allé à la porte de l’église pour demander aux fidèles d’entrer calmement et pour demander aux forces de sécurité d’arrêter de leur tirer dessus. Je faisais des signes de la main aux forces stationnées juste en face de l’église et j’ai vu une femme blessée par balles juste devant la paroisse. Des jeunes l’ont tirée sur le bord de la route face aux forces de sécurité et ont commencé à crier que les policiers avaient tué une fille innocente ; elle ne bougeait pas et nous pensions qu’elle était morte. Alors je me suis adressé aux forces de sécurité pour dire : « Regardez ce que vous avez fait. Personne ne protestait, personne ne vous attaquait, pourquoi avez-vous tiré ? »

Un policier a alors demandé à un autre de me tirer dessus. Il a tiré une balle en caoutchouc en visant mon œil gauche. J’ai bougé un peu, et la balle m’a touché entre l’œil et la joue. Malgré cela, je pensais que nous ne pouvions pas laisser le corps de cette jeune fille à cet endroit, sinon les forces de sécurité l’emmèneraient, sans laisser de trace. J’ai traîné son corps vers l’église. Mais la police m’a dit que je ne pouvais pas l’emmener, et c’est à ce moment-là qu’ils ont tiré les gaz lacrymogènes pour empêcher les gens de s’emparer de son corps.

Un journaliste à Kinshasa a déclaré que des policiers et des militaires l’avaient violemment passé à tabac :

Après la messe, nous sommes sortis manifester pacifiquement malgré les balles et les gaz lacrymogènes tirés par les forces de sécurité. Lorsque nous nous sommes rapprochés des policiers et des militaires, les tirs se sont intensifiés et j’ai voulu m’enfuir. Ils m’ont poursuivi et m’ont rattrapé. L’un des policiers m’a frappé à la tête avec son fusil et je suis tombé par terre. Quand j’ai essayé de me relever, un militaire m’a frappé au bras droit, et je suis retombé. J’avais des douleurs lancinantes à la tête et au bras. L’un d’eux a dit : « Tu joues avec Kabila, mais c’est lui qui a les armes ». Ils ont ensuite fouillé mes poches, ils ont pris ce qui s’y trouvait, j’étais ensanglanté, ils m’ont dit de filer.

Dans la ville de Kasindi, dans la province du Nord-Kivu, des jeunes activistes pro-démocratie ont tenté de protester, brandissant des pancartes demandant à Kabila de quitter le pouvoir. Les policiers les ont rapidement dispersés et deux activistes ont été battus jusqu’à en perdre connaissance. Quatre d’entre eux ont été hospitalisés pendant deux jours.

Arrestations arbitraires

Les forces de sécurité ont arrêté des dizaines de personnes le 31 décembre et dans les jours qui ont précédé les manifestations. De nombreuses personnes arrêtées ont été violemment battues. Le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies a documenté 140 arrestations pour la seule journée du 31 décembre. Selon la note technique du nonce apostolique, six prêtres au moins figuraient parmi les personnes arrêtées le 31 décembre.

Selon les recherches menées par Human Rights Watch, les forces de sécurité ont, les 29 et 30 décembre, arrêté au moins 22 individus, des activistes pour la plupart, alors qu’ils organisaient des manifestations de petite taille ou mobilisaient des personnes afin qu’elles participent aux manifestations plus importantes prévues pour le 31 décembre.

Le 29 décembre à Kananga, la police a arrêté 12 personnes lors d’une manifestation pacifique. L’un d’entre eux a été libéré, mais les autres sont toujours incarcérés à la prison centrale de Kananga : parmi eux se trouvent 10 activistes des mouvements citoyens LUCHA, Filimbi et « Debout Congolais Bâtissons » et un membre du parti politique Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS). Ils ont tous été accusés de « désobéissance à l’autorité publique ».

À Kindu, dans la province de Maniema, le 29 décembre, des agents de la police et du renseignement ont arrêté un activiste du mouvement Filimbi qui avait mobilisé des personnes afin qu’elles participent à la marche prévue le 31 décembre. Il est toujours en prison et a été accusé d’insulte au chef de l’État et d’incitation à la révolte.

À Kisangani, dans la province de la Tshopo, deux activistes de LUCHA ont été arrêtés le 29 décembre et un autre le 30 décembre alors qu’ils mobilisaient des personnes afin qu’elles participent aux manifestations prévues. Ils ont d’abord été détenus par les services de renseignement puis transférés à la prison centrale de Kisangani. Ils sont poursuivis pour « incitation de la population à la révolte contre les autorités au pouvoir ». L’un d’entre eux a été libéré provisoirement le 15 janvier et les deux autres le 18 janvier, mais les poursuites n’ont pas été abandonnées.

Le 30 décembre, Carbone Beni, coordinateur national du collectif de jeunes Filimbi, a été arrêté avec cinq autres activistes alors qu’ils mobilisaient des habitants de Kinshasa afin qu’ils participent à des manifestations prévues pour le lendemain. Deux activistes ont été libérés, mais les services de renseignement maintiennent les quatre autres en détention arbitraire et au secret, sans qu’ils puissent avoir accès à leurs familles ou à leurs avocats.

L’un des activistes libérés a décrit leur arrestation :

Vers 14h ou 15h, nous avons décidé de faire une pause pour manger. Les autres sont entrés dans un restaurant et je suis resté dans la voiture. J’ai alors vu un homme en civil s’approcher de la voiture. Il a pointé son arme sur moi et m’a donné l’ordre d’entrer dans le restaurant où les autres se trouvaient. Une douzaine d’assaillants ont alors fait irruption dans le restaurant et nous ont forcés à sortir du restaurant et à entrer dans leur voiture. Ils nous ont emmenés dans l’immeuble administratif local où ils nous ont tabassés et nous ont dit que nous nous battions contre le chef de l’État et que nous allions mourir à cause de notre obstination. Ensuite ils nous ont emmenés à un poste de police où ils nous ont présentés à des journalistes comme des terroristes qui troublaient l’ordre public. Ils nous ont interrogés jusqu’à la tombée de la nuit. Chaque fois que nous donnions une réponse qui ne les satisfaisait pas, ils nous tabassaient. Plus tard, ils ont dit qu’ils nous emmèneraient voir les services de renseignement, où nous serions tués.

Human Rights Watch a documenté des arrestations du 31 décembre à Kinshasa, Idjwi, Beni, Butembo, Kamina, Mbandaka et Lubumbashi.

Un prêtre de Kinshasa a déclaré que la police l’avait arrêté dans sa paroisse peu après la messe du dimanche :

Les policiers m’ont fait sortir de la sacristie. Ils m’ont attaché les mains avec une corde avant de me mettre les menottes. Ils m’ont ensuite embarqué dans leur pick-up et m’ont forcé à m’allonger sous le banc. Un policier m’a dit : « Voilà, tu vas mourir pour rien. Ce que tu fais, ce n’est plus de la religion, c’est de la politique, et nous allons t’emmener dans un endroit dont tu ne reviendras jamais. » Malgré tout ça, je n’ai pas répondu, j’ai gardé mon calme.

Le prêtre a été emmené au poste de police et détenu pendant plusieurs heures avant d’être relâché.

À Mbandaka, dans la province d’Équateur, la police a arrêté six manifestants pacifiques, dont trois activistes de LUCHA. Ils ont été libérés deux jours plus tard. À Idjwi, la police a arrêté sept personnes, dont plusieurs membres des mouvements citoyens « C’en est trop » et LUCHA, peu après le départ de leur marche. Ils ont été libérés plus tard dans la journée. À Lubumbashi, la police a arrêté 21 personnes alors qu’elles tentaient d’entamer leur marche. Elles ont été libérées plusieurs jours après.

À Kamina, dans la province de Haut-Lomani, la police a arrêté 11 membres du parti d’opposition UDPS alors qu’ils quittaient l’église après la messe du dimanche et se préparaient à entamer la marche. Quatre d’entre eux ont été passés à tabac par la police et grièvement blessés. Ils ont tous été libérés deux jours plus tard. L’un d’eux a décrit ainsi leur arrestation :

Quand la messe a pris fin, nous étions prêts à commencer la marche lorsque nous nous sommes retrouvés devant un groupe de policiers qui s’est mis à tirer des gaz lacrymogènes dans notre direction. Nous nous sommes agenouillés pour montrer que nous étions pacifiques, mais ils ont commencé à nous rouer de coups.

À Beni, dans la province de Nord-Kivu, des activistes de LUCHA ont tenté de marcher avec d’autres personnes, mais des policiers les ont rapidement encerclés et battus avant d’emmener quatre activistes et deux journalistes à un poste de police, puis de les relâcher plus tard dans la soirée. Un activiste de LUCHA qui figurait parmi les personnes arrêtées a déclaré :

Nous étions au moins 13. On brandissait des pancartes quand les policiers nous ont encerclés. Ils ont pris nos pancartes et ont commencé à nous battre à coups de grands gourdins. Nous avons résisté en nous donnant la main. Puis ils nous ont forcés à monter dans une jeep de la police et nous ont emmenés en prison. Un autre activiste est venu nous voir avec de la nourriture, mais la police l’a battu lui aussi et lui a fracturé le bras gauche.

À Butembo, dans la province de Nord-Kivu, la police a tiré des gaz lacrymogènes et lancé des coups de semonce en direction des manifestants qui tentaient de marcher pacifiquement. Une femme a été blessée. Quatre activistes de LUCHA ont été arrêtés et passés à tabac. Ils ont été libérés quatre jours plus tard. L’un des activistes a raconté :

Peu après le début de notre marche avec les fidèles catholiques, la police est venue et a arrêté certains d’entre nous tandis que d’autres parvenaient à s’échapper. Ils nous ont battus avec des gourdins. Ils nous ont ensuite emmenés voir d’autres policiers, qui nous ont battus eux aussi. Un agent du renseignement est ensuite venu nous frapper avec des bâtons et des tubes en fer comme ceux qu’on trouve dans les stations-service. Nous avons passé quatre jours en prison, sans droit de visite ni accès à notre avocat. Nous avons eu du mal à trouver à manger, mais certains prisonniers ont partagé le peu qu’ils avaient. Nous avons finalement été libérés après l’intervention de la MONUSCO et d’autres personnes. Notre santé reste fragile. J’ai mal partout et j’ai des plaies aux mains et aux fesses.

Violences commises par des manifestants

Violence ou vandalisme de la part des manifestants ont été absents dans la plupart des villes. À Lubumbashi dans le sud-est du pays, certains manifestants ont néanmoins lancé des pierres aux policiers après que ces derniers aient commencé à tirer des gaz lacrymogènes pour les disperser. Certains manifestants de Lubumbashi ont également brûlé des pneus dans les rues de la commune de la Kenya et incendié deux véhicules, l’un à la Kenya et l’autre dans la commune de Katuba.

Réponse de l’Église catholique à la crise politique en RD Congo

Presque six mois après la signature de l’accord de la Saint-Sylvestre, les 49 archevêques et évêques de l’influente Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) ont publié le 23 juin 2017 une déclaration appelant le peuple congolais à se mettre « debout » et à « prendre [son] destin en main ». Ils ont appelé à la mise en œuvre intégrale de l’accord de la Saint-Sylvestre et ont mis en cause ceux qui sont au pouvoir pour avoir échoué à organiser des élections et pour les nombreux problèmes que traverse le pays. Selon la constitution congolaise, Kabila aurait dû quitter le pouvoir au plus tard le 19 décembre 2016, à la fin de ses deux mandats. Les évêques ont réitéré leur appel dans une deuxième déclaration publiée le 24 novembre.

Le 2 décembre, en réponse à ces appels, le Comité laïc de coordination (CLC) a lancé un « dernier appel » à Kabila pour qu’il déclare publiquement qu’il ne sera pas candidat aux prochaines élections conformément à la constitution, et pour mettre en application les conditions préalables nécessaires à la tenue des élections, notamment la libération des prisonniers politiques, le retour des dirigeants de l’opposition en exil, la réouverture des médias arbitrairement fermés, la restructuration de la commission électorale nationale et la fin du « dédoublement » des partis politiques – c’est-à-dire la création de nouveaux partis politiques alliés à la coalition au pouvoir et qui portent le même nom que les partis d’opposition.

Le 17 décembre, ces demandes n’ayant pas été satisfaites, le CLC a appelé la population congolaise, y compris les Chrétiens de tout le pays et de l’étranger, à marcher le 31 décembre.

Le cardinal Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, a publié une déclaration le 2 janvier qualifiant de « barbare » l’usage excessif de la force contre les fidèles catholiques et autres manifestants pacifiques et appelant les dirigeants du pays à « se retirer et permettre à la paix et la justice de régner au Congo ».

Le 11 janvier, la Conférence nationale des évêques a publié un communiqué dénonçant les attaques contre l’Église catholique et sa hiérarchie et demandant des sanctions contre ceux qui ont torturé, blessé et tué des concitoyens et délibérément profané des églises.

Le 12 janvier, le cardinal Monsengwo a présidé une messe de requiem à la cathédrale Notre-Dame de Kinshasa à la mémoire des personnes tuées le 31 décembre. Après la messe, la police a tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les fidèles qui quittaient l’église, y compris ceux qui accompagnaient un chef de l’opposition, Vital Kamerhe. Au moins deux personnes ont été grièvement blessées.

De nombreux membres du CLC craignent pour leur sécurité et ont reçu des appels et visites suspects, tandis que des rumeurs circulaient au sujet des mandats d’arrêt qui auraient été émis à leur encontre.

Normes juridiques congolaises et internationales

Il apparaît que les actions des autorités congolaises et des forces de sécurité le 31 décembre et autour de cette date ont été menées en violation du droit congolais et des normes internationales des droits humains.

La constitution congolaise et les accords internationaux auxquels la RD Congo est partie, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantissent tous le droit à la liberté de religion, de réunion pacifique et à la liberté d’expression.

La constitution et la loi électorale exigent que les organisateurs de manifestations politiques informent les autorités locales par écrit 24 heures avant la date prévue pour l’événement, mais aucune autorisation préalable n’est exigée. Dans une lettre remise le 27 décembre, le CLC a informé le gouverneur de Kinshasa des marches prévues pour le 31 décembre. Human Rights Watch a obtenu copie de cette lettre, avec accusé de réception de la mairie.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui énoncent les normes juridiques internationales sur le recours à la force par les forces de l’ordre, prévoient que les forces de sécurité usent de moyens non violents avant de recourir à la force. Chaque fois que l’usage légitime de la force est inévitable, les autorités doivent faire preuve de retenue et agir proportionnellement à la gravité de l’infraction. La force mortelle ne peut être utilisée que si elle est strictement inévitable pour protéger la vie. En vertu des Principes de base, en cas de décès ou de blessure grave, les organismes appropriés doivent procéder à une enquête et un rapport détaillé doit être envoyé rapidement aux autorités administratives compétentes ou chargées des poursuites judiciaires.

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