(Paris) – Hissène Habré, l’ancien dictateur du Tchad qui a été condamné pour crimes contre l’Humanité par un tribunal spécial à Dakar le 30 mai 2016, a été soutenu par les États-Unis et la France tout au long de son règne, a déclaré Human Rights Watch dans deux rapports publiés aujourd’hui.
Les rapports, intitulés « Enabling a Dictator : The United States and Chad’s Hissène Habré 1982-1990 » (« Un dictateur soutenu : Les États-Unis et Hissène Habré, dirigeant du Tchad de 1982 à 1990 ») et « Allié de la France, Condamné par l’Afrique – Les relations entre la France et le régime tchadien de Hissène Habré (1982-1990) », décrivent comment la France, et surtout les États-Unis, ont apporté une aide cruciale à Habré dans sa prise de pouvoir, alors même qu’il était déjà évident qu’il utilisait des méthodes brutales. Les deux pays considéraient Habré comme un rempart contre les visées expansionnistes de la Libye de Mouammar Kadhafi, dont les forces occupaient alors le nord du Tchad. Human Rights Watch décrit en détails comme les États-Unis, tout comme la France, ont continué à apporter un soutien essentiel au gouvernement de Habré, alors même que celui-ci commettait des violations massives et systématiques des droits humains.
« Les États-Unis et la France étaient bien informés sur les moyens brutaux employés par Habré, mais ils ont quand même continué à le soutenir tout au long de son règne », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui a travaillé avec les victimes de Hissène Habré depuis 1999. « Ces deux pays devraient examiner comment et pourquoi ils ont soutenu un homme qui est à présent condamné pour crimes contre l’humanité. »
Le 30 mai 2016, Habré a été condamné à la prison à perpétuité pour torture, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris pour violences sexuelles et viol, par les Chambres africaines extraordinaires établies au sein du système judiciaire sénégalais. Ce verdict a été prononcé après une lutte de plus de 20 ans menée par les victimes de Habré pour le traduire en justice.
Les États-Unis, tout comme la France, devraient mettre en place des commissions d’enquête officielles afin de déterminer ce que les responsables de ces deux pays savaient à propos des graves crimes qui étaient alors commis au Tchad, et si des mesures ont été prises afin d’amener les autorités tchadiennes à y mettre fin, a déclaré Human Rights Watch.
En saluant la condamnation « historique » de Habré, le Secrétaire d’État américain John Kerry a déclaré que ce verdict représente « une opportunité pour les États-Unis d’entamer une réflexion sur nos propres liens avec les événements survenus dans le passé au Tchad, afin d’en tirer des enseignements ».
Le régime à parti unique de Habré fut marqué par des atrocités généralisées, notamment des vagues de nettoyage ethnique. Les fichiers de la police politique de Habré, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), qui ont été retrouvés par Human Rights Watch en 2001, révèlent les noms de 1208 personnes qui ont été tuées ou qui sont décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains.
Sous la présidence de Ronald Reagan, les États-Unis ont apporté une assistance secrète en 1981 et 1982 aux forces rebelles de Habré pour l’aider à renverser le Président Goukouni Oueddei, qui était perçu comme étant pro-Libyen et ont ensuite accordé des millions de dollars au gouvernement Habré en aide militaire et de sécurité. Bien qu’il n’y ait pas de preuves que les États-Unis ont été directement impliqués dans les crimes internationaux commis alors au Tchad, ou qu’ils aient apporté un soutien actif à ces crimes, l’ancien directeur de la DDS a affirmé lors de son procès pour torture au Tchad en novembre 2014 qu’il était « constamment assisté par un agent de la CIA qui lui donnait des conseils ». Les documents de la DDS retrouvés montrent qu’un officiel de l’ambassade américaine, que les Tchadiens considéraient être le « lien » avec la DDS, a visité le siège de la DDS, qui comportait une salle de torture et la prison souterraine de Habré dénommée « la Piscine », alors même que la répression contre le groupe ethnique des Zaghawa était à son comble.
Les États-Unis ont également utilisé une base secrète au Tchad pour créer et former une petite armée de « Contras » libyens anti-Khadafi, sélectionnée parmi les rangs des troupes libyennes capturées. Le leader de la force des « Contras » était Khalifa Haftar, l’actuel commandant de l’Armée nationale libyenne qui contrôle aujourd’hui une grande partie de l’est de la Libye.
Malgré l’enlèvement de l’anthropologue française Françoise Claustre par les forces de Habré en 1974, suivi du meurtre du Capitaine Pierre Galopin, qui s’était rendu au Tchad pour négocier sa libération en 1975, la France a également soutenu Habré, en lui fournissant des armes, une aide logistique et des renseignements, et en menant d’importantes opérations militaires pour aider le Tchad à repousser les forces libyennes. Chaque département de l’armée tchadienne disposait du soutien d’un conseiller français. Les services de renseignements français (la DGSE) et l’armée française ont également formé des officiers de la DDS et de l’armée tchadienne, parfois en France même, y compris le président actuel Idriss Déby Itno et l’ancien directeur de la DDS Guihini Korei, qui est actuellement en fuite.