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Pakistan : Violences policières à l’encontre de réfugiés afghans

Des passages à tabac et des actes d’extorsion menaçant les moyens de subsistance suscitent de nombreux retours vers l’Afghanistan

(New York, le 18 novembre 2015) – Le gouvernement du Pakistan devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux multiples formes d’abus policiers –harcèlement, violences et menaces – à l’encontre d’Afghans résidant dans le pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans un nouveau rapport. Les incidents de violences policières à l’encontre d’Afghans se sont multipliés depuis que des talibans pakistanais ont attaqué une école à Peshawar en décembre 2014. Ces agressions incitent beaucoup d’Afghans à retourner en Afghanistan, ce pays déchiré par la guerre, et dans certains cas à demander l’asile en Europe.

« Les mauvais traitements aberrants infligés par la police pakistanaise à de nombreux Afghans au cours de l’année passée exigent une réaction immédiate du gouvernement », a déclaré Phelim Kine, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement pakistanais devrait s’assurer que la police appréhende les auteurs de ces actes au lieu de transformer l’ensemble de la communauté afghane en bouc émissaire. »

Le rapport de 37 pages, intitulé « "What Are You Doing Here?" : Police Abuses against Afghans in Pakistan » («"Que faites-vous ici ?” : Abus policiers à l’encontre d’Afghans vivant au Pakistan »), documente un grand nombre de violations des droits des Afghans vivant au Pakistan commises depuis décembre 2014. Le gouvernement pakistanais est tenu de veiller à ce que tous les membres des forces de l’ordre et des autres organismes gouvernementaux traitent les Afghans résidant au Pakistan avec dignité, en respectant leurs droits humains en conformité avec le droit interne et international. Mettre fin aux abus commis par la police et veiller à ce que les Afghans soient traités équitablement devraient être la première étape vers l’élaboration d’un cadre juridique viable pour gérer la population afghane qui se trouve au Pakistan.

Human Rights Watch a interviewé 50 Afghans revenus en Afghanistan après avoir vécu de nombreuses années au Pakistan et 46 Afghans résidant au Pakistan, ainsi que des responsables des gouvernements pakistanais et afghan, des membres du personnel d’organisations non gouvernementales locales, des responsables de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, des diplomates, des journalistes et d’autres experts.

Le Pakistan est la terre d’accueil de l’une des plus importantes populations déplacées dans le monde. Les 1,5 million de réfugiés afghans enregistrés et le 1 million d’Afghans sans-papiers vivant au Pakistan depuis novembre 2015 selon les estimations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), comprennent beaucoup de ceux qui ont fui le conflit et la répression en Afghanistan vers la fin des années 1970 et le début des années 1980 de même que leurs descendants. Certains sont arrivés enfants, ont grandi au Pakistan, se sont mariés et ont eu leurs propres enfants qui n’ont jamais vécu en Afghanistan. D’autres sont arrivés durant les décennies de troubles qu’a connues depuis l’Afghanistan, recherchant la sécurité, l’emploi et un niveau de vie plus élevé.

Les Afghans résidant au Pakistan ont dû subir une montée importante de l’hostilité à leur encontre depuis que les Tehrik-e-Taliban Pakistan, désignés communément par les talibans pakistanais, ont attaqué l’école publique de l’armée à Peshawar le 16 décembre 2014, tuant 145 personnes, dont 132 enfants. Le gouvernement pakistanais a réagi à cette attaque avec des mesures répressives, y compris le recours à des tribunaux militaires pour poursuivre les suspects de terrorisme, la levée d’un moratoire non officiel sur l’application de la peine de mort de même que des propositions d’enregistrer et de rapatrier les Afghans vivant au Pakistan. Le 23 juin, le Ministre fédéral des États et des régions frontalières, le Lieutenant-général (à la retraite) Abdul Qadir Baloch, a annoncé qu’il n’y aurait pas de représailles officielles contre la population Afghane vivant au Pakistan en réponse à l’attaque de Peshawar. Malgré cette promesse, la police pakistanaise a mené une politique non officielle de représailles punitives incluant des raids sur des camps afghans, des détentions, des harcèlements, des violences physiques à l’encontre d’afghans ainsi que des extorsions et des démolitions de maisons d’afghans.

Les abus commis par la police ont provoqué la peur des Afghans et les ont incités à restreindre leurs mouvements, induisant des difficultés économiques et réduisant l’accès à l’éducation et à l’emploi. Cette situation étouffante a poussé un grand nombre d’Afghans à retourner en Afghanistan où ils font face à un conflit grandissant et une insécurité continue. La détérioration des conditions de vie en Afghanistan a déjà poussé plus de 80 000 Afghans à quitter leur pays en 2015 et à demander l’asile en Europe. Les Afghans qui, à cause des abus de la police, ont quitté le Pakistan où ils vivaient depuis des décennies pour retourner à leur pays, pourraient bien venir grossir le nombre de ceux qui cherchent refuge en Europe alors que les conditions de vie en Afghanistan se détériorent.

Les hommes et les femmes afghans que Human Rights Watch a interviewés ont décrit comment le climat de plus en plus hostile aux Afghans vivant au Pakistan leur a donné le sentiment d’être pris au piège : ils ont peur de retourner en Afghanistan, ils ont peur des descentes de la police pakistanaise dans leurs maisons et leurs lieux de travail, ils ont peur de soudoyer la police pour éviter les arrestations et les détentions. Beaucoup d’Afghan ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils sont revenus en Afghanistan parce qu’ils avaient du mal à joindre les deux bouts à cause de la prolifération de l’extorsion au Pakistan.

« Le gouvernement pakistanais a le devoir de prévenir les attaques terroristes et de poursuivre leurs auteurs en justice », a affirmé Phelim Kine. « Cependant, permettre des représailles de la part de la police contre la population afghane n’est ni légitime ni efficace dans la lutte contre le terrorisme. »

Le HCR a déclaré dans ses rapports d’août et de septembre 2015 : « en général, les avis d’expulsion par les autorités, le harcèlement, l’intimidation, les restrictions de déplacement, les facteurs économiques, les fermetures/consolidations des transactions et la peur d’être arrêté et/ou déporté ont été mentionné par les interviewés [Afghans] rapatriés comme étant les principaux facteurs les incitant à quitter le Pakistan jusqu’à présent cette année. »

Les alliés du Pakistan devraient faire pression sur le gouvernement pour mettre fin aux abus commis par les forces de l’ordre à l’encontre des réfugiés et des sans-papiers afghans. Les bailleurs de fonds devraient envisager de fournir un soutien supplémentaire au Pakistan et à l'Afghanistan afin d’aider la population de réfugiés afghans vivant au Pakistan et les rapatriés en Afghanistan, notamment en améliorant leur accès à l’éducation, aux services de santé, au logement et à la terre. Le HCR devrait collaborer étroitement avec le gouvernement pakistanais pour veiller à ce que tous les Afghans sans-papiers en quête de protection au Pakistan soient en mesure de s’enregistrer auprès du HCR. Le gouvernement de l’Afghanistan a le devoir de garantir aux rapatriés afghans la liberté de s’installer où ils le souhaitent de même que l’accès aux services gouvernementaux de santé, d’éducation et d’affectation des terres indépendamment de leur statut enregistré au Pakistan.

« Une raison simple explique la continuation des abus de la police pakistanaise à l’encontre des Afghans : le gouvernement permet à la police de s’en tirer sans aucun problème », a ajouté Phelim Kine. « Le gouvernement pakistanais devrait développer une stratégie à long terme qui met l'accent sur la protection de la population afghane résidant sur ses terres plutôt que de poursuivre une politique de punition vindicative qui est illégale autant qu’inhumaine. »

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Témoignages extraits du rapport

Karim, 42 ans, vivant actuellement à Peshawar, est originaire de la province de Laghmân de l’Afghanistan. Il s’est installé avec sa famille au Pakistan en 1985. Il a déclaré à Human Rights Watch que le harcèlement par la police et les fonctionnaires de l’administration du district a mis en danger son travail et effrayé les membres de sa famille :

J’ai très peur maintenant. Je n’ai plus les moyens de verser des pots-de-vin. Ils [la police] demandent des pots-de-vin quotidiennement. L’administration du district nous [les Afghans] nous fait payer des amendes sans raison… Si tu poses des questions concernant ces amendes à la police ou à l’administration du district, ils nous frappent. Mon frère, qui travaille aussi avec moi, a été frappé par la police avec un poids de balance parce qu’il n’avait pas l’argent du pot-de-vin. Il a dû avoir des points de suture suite à cet incident. La police n’avait pas l’habitude de trop nous battre avant [l’attaque contre l’école de Peshawar le 16 décembre 2014]. Maintenant, ils nous torturent sans aucune raison. J’ai peur qu’ils me tuent le jour où je n’aurais pas de l’argent pour les soudoyer. A l’exception de mon frère et moi, aucun autre membre de ma famille ne quitte la maison à présent. Nos enfants ne vont pas à l’école ; ils ne sortent même plus jouer à l’extérieur.

Farhang, 31 ans, originaire de Pârwan, est parti au Pakistan avec sa famille en 1992 quand il avait 8 ans. Ils se sont installés dans la région de Peshawar où son père a trouvé un travail comme chauffeur de taxi. Farhang a finalement trouvé un travail en conduisant un taxi pousse-pousse motorisé. Il a déclaré à Human Rights Watch :

La police a commencé à créer des problèmes. Ils allaient dans les maisons des gens. Ils sont venus à notre maison et ont défoncé la porte à coups de pied – c’était après l’incident de l’école [de Peshawar]. Les enfants ont eu très peur. La police nous a demandés : « Qu’est-ce que vous faites ici ? – Retournez dans votre pays! » C’était il y a environ un mois [début juillet 2015]. C’était à une heure du matin. Ils nous ont embarqués tous, nous les hommes, dans les voitures de police et ils nous ont emmenés au commissariat. Nous avons passé 11 jours en prison. Ils nous ont ensuite emmenés jusqu’à la frontière et nous ont dits de la traverser. Je l’ai traversée, mais je suis ensuite [quelques jours plus tard] revenu pour emmener ma femme et mon enfant en Afghanistan. Je suis alors venu à Kabul, mais je n’ai aucun travail ici [ni] un endroit pour y habiter.

Jalal Shah, 50 ans, est un marchand de légumes, originaire de la province de Nangarhâr de l’Afghanistan, qui vit à Peshawar depuis 20 ans. Shah possède un certificat d’enregistrement qui l’identifie comme un réfugié ayant le droit de résider temporairement au Pakistan. Sa boutique a été détruite lors d’un raid le 30 septembre 2015, et la police a depuis lors continué à le harceler. Il a déclaré à Human Rights Watch :

La police de la circulation vient presque chaque jour maintenant. Ils pillent et saccagent littéralement les boutiques, demandent des pots-de-vin de qui ils veulent et prennent tout ce qu’ils souhaitent. Je n’ai pas de boutique à présent et je vends mes légumes au bord de la rue. Cependant, j’ai possédé une boutique – un stand en bois recouvert – jusqu’à il y a un mois. La police de la circulation ainsi que certaines personnes de l’administration du district y sont venus les derniers jours de septembre. Les policiers ont emporté tous mes légumes et ont démoli ma boutique. La démolition s’est poursuivie durant toute la journée ; ils ont démoli presque toutes les boutiques du marché. La police dit que nous, les Afghans, n’avons aucun droit d’être ici et d’y faire des affaires.

Abdullah, 55ans, et son frère Rohullah, 32 ans, ont quitté la province de Paktiyâ de l’Afghanistan peu après l’invasion soviétique au début des années 1980 alors qu’ils étaient encore des enfants. Leurs familles se sont installées au camp de Kohat au Pakistan, puis ont déménagé en ville où les deux frères sont devenus des chauffeurs de pousse-pousse motorisés. Ils ont subi un harcèlement intensif de la part de la police après l’attaque contre l’école de Peshawar en juillet 2015, moment où ils ont décidé de retourner en Afghanistan. Abdullah a déclaré :

L’année dernière [après l’attaque contre l’école de Peshawar], la police a commencé à arrêter les gens. La raison de notre retour en Afghanistan, c’est que la police a commencé à venir aux maisons des gens. Voilà donc pourquoi – nous n’avons pas voulu qu’ils entrent dans notre maison. Dans notre camp, la plupart des hommes ont été emportés. La police est venue au milieu de la nuit pour les mener à la prison puis les déporter. Lorsqu’ils viennent durant la nuit, peu leur importe si vous portez des chaussures où comment vous êtes habillés – ils vous emmènent tout simplement en prison et ensuite vous déportent. Tout le monde le savait – les plus âgés au camp nous ont dits : « Vous devez partir, sinon la police va vous arrêter et vous déporter. »

 

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