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Rumeurs et violences alimentent l’incertitude au Burundi

Publié dans: The Guardian
Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) au Burundi. © 2007 Fondation Martin Ennals
 
Lundi matin, la panique s’est répandue après que des rumeurs ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux signalant que Pierre Claver Mbonimpa, éminent défenseur des droits humains burundais, avait été tué. En réalité, il était en vie et en bonne santé, au travail comme d’habitude, documentant des atteintes aux droits humains et tentant d’alerter le monde sur la crise qui frappe son pays.
 
Les rumeurs sont fréquentes au Burundi et, heureusement, bon nombre d’entre elles s’avèrent fausses. J’ai donc poussé un soupir de soulagement pour Mbonimpa... pour quelques heures seulement. Vers 18 h, j’ai reçu les premiers appels m’informant que Mbonimpa avait été blessé par balles. J’ai immédiatement téléphoné à sa famille et à ses collègues dans la capitale burundaise, Bujumbura, en espérant que ce serait, une fois de plus, une fausse rumeur. Mais cette fois-ci, c’était vrai. Peu après que Mbonimpa ait quitté son bureau, vers 17 h, un homme à moto a tiré dans sa voiture, le blessant au visage et au cou. Mbonimpa a été immédiatement conduit à l’hôpital et admis en soins intensifs. Il se rétablit lentement, mais il est encore très faible.
 
Le fait que ces rumeurs aient circulé depuis le matin est très troublant. Il n’y a pas d’explication simple, mais une chose est claire : cette attaque était ciblée, bien planifiée, et l’un des défenseurs des droits humains les plus éminents du Burundi a échappé de justesse à la mort.
 
Mbonimpa, âgé de 67 ans, est le président d’une association de défense des droits humains reconnue qu’il a fondée dans les années 1990, après un séjour en prison, dans le but de défendre les droits des prisonniers. Mais il est bien plus qu’un président symbolique pour l’organisation. C’est un militant de terrain infatigable, faisant campagne sur la ligne de front chaque jour et refusant de céder aux menaces répétées du gouvernement.
 
En mai de l’année dernière, il a été jeté en prison, accusé d’atteinte à la sûreté de l’État suite à des propos qu’il avait tenus à la radio. Il est tombé gravement malade et a été libéré pour raisons médicales en septembre, mais les charges retenues contre lui n’ont pas été abandonnées. Malgré cela, il a continué son travail.
 
La situation pour Mbonimpa et d’autres militants a considérablement empiré au fil des derniers mois. Le Burundi est secoué par des turbulences politiques depuis avril, alors que desmanifestations publiques ont été déclenchées en protestation de la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat. La police a réprimé les manifestations de manière brutale et des dizaines de personnes ont été tuées. Des défenseurs des droits humains, des journalistes et des membres des partis d’opposition figuraient parmi les principales cibles, ce qui a forcé beaucoup d’entre eux à fuir le pays. Mbonimpa est un des rares qui ont choisi de rester.
 
Ma dernière visite au Burundi a eu lieu en juin, juste avant les élections controversées. L’ambiance y était morose. Les affrontements entre police et manifestants étaient fréquents et on entendait des tirs quasiment chaque nuit dans certains quartiers de Bujumbura. La plupart des personnes continuaient à vaquer à leurs affaires, du moins pendant la journée. Mais lorsque la nuit tombait, les rues se vidaient et les conversations privées révélaient des peurs profondes. Quasiment tous ceux avec qui j’ai parlé ont indiqué qu’ils ne savaient pas ce qui pouvait se passer du jour au lendemain. Il n’était pas rare qu’une personne avec qui j’avais parlé un jour ait disparu le lendemain, rejoignant les quelque 140 000 personnes qui ont fui le pays.
 
Le président Nkurunziza a été réélu en juillet, mais les élections ont été boycottées par la plupart des partis d’opposition ainsi que par de nombreux électeurs. Dans un consensus international rarement atteint, de nombreux gouvernements, ainsi que les Nations Unies et l’Union africaine, ont convenu que les conditions essentielles à des élections libres et justes n’avaient pas été réunies.
 
Le Burundi semble se diriger vers une situation de plus en plus incertaine et chaotique. La veille de l’attaque contre Mbonimpa, l’ancien chef des services de renseignement, le général Adolphe Nshimirimana – personnage puissant et allié proche de Nkurunziza – a été assassiné dans la capitale.
 
Les attaques contre Mbonimpa et Nshimirimana, visant toutes deux des personnalités publiques très en vue, semblent avoir été délibérément organisées comme une provocation. Il est impératif que les autorités burundaises agissent rapidement pour prévenir les attaques de représailles, enquêter sur ces incidents et traduire les auteurs en justice.
 
La suppression quasi totale des médias indépendants est tout aussi préoccupante que la violence qui s’empare du Burundi: les principales stations de radio privées – première source d’information pour la plupart des Burundais – ont été suspendues il y a plus de deux mois. Dans un pays où les rumeurs vont bon train, le manque d’informations indépendantes devient non seulement très vite frustrant, mais aussi dangereux.
 
Jusqu’à cette semaine, j’étais tentée de croire que de nombreuses rumeurs n’étaient rien d’autre que des ouï-dire, mais après ce qui est arrivé à Mbonimpa, je n’en suis plus si sûre.

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