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Maroc : Propos homophobes suite à une agression commise par une foule

Le ministre de la Justice a laissé entendre que la faute était également celle de la victime

(Rabat) – Les autorités marocaines devraient cesser de faire des commentaires homophobes à la suite d'une agression collective contre un homme à Fès le 29 juin 2015, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Alors que ministre de la Justice Mustapha Ramid a affirmé que les assaillants devraient être poursuivis et que deux suspects sont en garde à vue, il a fait plusieurs déclarations homophobes depuis l'agression. Il a déclaré que les homosexuels devraient éviter de « provoquer la société » et que les citoyens ne doivent pas « faire appliquer la loi eux-mêmes » – comme si la victime avait enfreint la loi en raison de son apparence. Le ministère de la Justice poursuit fréquemment des hommes en vertu des lois anti-homosexuelles du pays.

Le ministre marocain de la Justice Mustapha Ramid, lors d'une conférence de presse à Rabat, le 12 septembre 2013. © 2013 AP


« Ce que la personne chargée  de la justice au Maroc devrait annoncer dans la foulée de cet incident de chasse aux homosexuels est une politique de tolérance zéro à l'égard de telles attaques », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Au lieu de cela, il continue de faire des déclarations qui suggèrent que les personnes perçues comme gay sont anormales et partagent la responsabilité de la violence anti-gay. »

Le passage à tabac a commencé vers 01h30, le 29 juillet, lorsqu’un chauffeur de taxi a éjecté un passager de sexe masculin après une dispute, en criant à plusieurs reprises que le passager était un « khanit », l'argot péjoratif local pour désigner un homosexuel ou un homme efféminé, a expliqué la victime à Human Rights Watch. Une foule a entouré l'homme et l'a roué de coups, en le renversant au sol tout en continuant l’attaque, une scène qui a été saisie sur des téléphones portables et publiée sur des sites d'actualité marocains. Dans les vidéos, la victime semble avoir les cheveux longs et porter une chemise longue blanche. « Ce sont les hurlements du chauffeur de taxi qui ont causé toute cette affaire », a-t-il confié. « Je n’ai pas provoqué ni mérité cette attaque. Je suis comme n’importe quelle autre personne. »
Capture d’écran montrant un homme roué de coups par une foule à Fez, au Maroc, le 29  juin 2015. L’attaque est survenue immédiatement après qu’un chauffeur de taxi ait éjecté l’homme de son véhicule en le traitant de « khanit », terme péjoratif local signifiant gay ou homme efféminé.

Le 1er juillet, la police a annoncé l'arrestation de deux suspects âgés de 30 ans. Lors d'une première audience le 7 juillet, le tribunal de Fès a refusé de libérer provisoirement les suspects et a prévu une deuxième audience pour le 23 juillet. Les médias marocains ont indiqué qu'ils sont accusés de voies de fait. Cinquante-cinq avocats de plusieurs régions du pays, dont un grand nombre représentent des organisations marocaines de défense des droits humains, ont offert un soutien juridique à la victime.

Un policier aidé par quelques jeunes a finalement dégagé la victime, qui a été emmenée dans un poste de police, où elle est restée jusqu'à midi le lendemain. La police l'a interrogé sur le passage à tabac, mais n'a pas déposé d'accusations contre lui.

Human Rights Watch a connaissance d'une série de cas dans lesquels des hommes ont été poursuivis et emprisonnés en vertu de l'article 489 du Code pénal du Maroc, qui prévoit une peine de prison comprise entre 6 mois et 3 ans pour « quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe ». Un grand nombre de procès semblent avoir été inéquitables, notamment deux affaires jugées en 2014. En mai, un tribunal de première instance a condamné trois hommes à Taourirt à trois ans de prison pour des actes présumés homosexuels dans un cadre privé. L'affaire est devant la Cour d'appel d’Oujda.

Le Maroc devrait abolir l'article 489 et dépénaliser les relations sexuelles entre adultes consentants, selon Human Rights Watch. La combinaison d'un pays qui applique des lois anti-homosexuelles, d’un système de justice qui refuse l’accès à un procès équitable et de la stigmatisation sociale attachée à l'homosexualité est une formule pour porter atteinte aux droits à la vie privée et à la non-discrimination, et à d’autres droits fondamentaux.

En outre, la criminalisation d’« actes contre nature » – et la tendance démontrée de poursuites menées contre des hommes perçus comme étant homosexuels, même lorsque la preuve d'un acte sexuel est faible ou inexistante, empêche les victimes de violence anti gay de déposer une plainte auprès de la police.

Dans un récent forum sur les mises à jour proposées au Code pénal marocain préparé par le ministère de la Justice plus tôt en 2015, le ministre Ramid a déclaré que l’article 489 devrait être conservé et que toute tentative de dépénaliser l'homosexualité franchirait une « ligne rouge ». Les projets de révision du Code pénal maintiennent le langage et les peines de prison de la disposition, mais augmentent les amendes associées de 200 à 1 000 dirhams (entre 20 et 100 dollars US) à 2000 – 20 000 dirhams (entre 200 et 2000 dollars US).

Le 6 juillet, une semaine après l'attaque de Fès, Ramid a déclaré que « l'homosexualité ne sera pas autorisée au Maroc, [sinon il] démissionner[ait ]». Il a également affirmé qu'il « ne sera pas responsable de la défense de (l'homosexualité) devant Allah », a signalé le site web d’information Alyaoum24.com.

S’exprimant au sujet de l'attaque de Fès, le ministre a déclaré : « Nous ne devrions pas laisser les individus faire appliquer la loi eux-mêmes... mais les personnes impliquées ne devraient pas provoquer la société, parce que la société est comme ça. »

Dans une interview sur Chada FM, il a affirmé qu'il était favorable à une intervention chirurgicale pour un homme qui « à l'intérieur, est une femme et agit comme une femme ». Mais il a déclaré que lorsque, au lieu de cela, un homme « conserve l'apparence d'une femme, et en outre, a des pratiques sexuelles qui ne conviennent pas à son [sexe], il s’agit alors d’une question de droit. »

L'Organisation mondiale de la Santé a explicitement maintenu depuis 1990 que « l'orientation sexuelle en elle-même ne doit pas être considérée comme un trouble ». L'American Psychiatric Association a retiré l'homosexualité du Manuel diagnostique et statistique des troubles psychiatriques dès 1973.

Criminaliser la conduite homosexuelle consensuelle adulte viole le droit international des droits humains. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Maroc a ratifié, interdit l’ingérence dans le droit à la vie privée. Le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies a condamné les lois contre la conduite homosexuelle consensuelle comme étant des violations du PIDCP. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a estimé que les arrestations pour conduite homosexuelle consensuelle sont, par définition, des violations des droits humains.

La Constitution de 2011 du Maroc devrait également être interprétée pour protéger tous les actes privés consensuels des adultes, quelle que soit leur orientation sexuelle. La Constitution stipule dans son article 24 : « Toutes les personnes ont le droit à la protection de leur vie privée ». Ce droit, absent dans la constitution précédente, devrait conduire à la décriminalisation des relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe. Le ministère de la Justice doit veiller à ce que personne ne soit poursuivi pour des crimes en violation du droit international.

« Le ministre de la Justice ne peut pas jouer sur les deux tableaux », a conclu Sarah Leah Whitson. « Il reconnaît que c'est un crime d'agresser quelqu'un en fonction de son apparence, mais il insiste ensuite qu'être gay est un état anormal que la société rejette et qui devrait rester criminalisé. »

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