(Rabat) – Les autorités marocaines devraient remettre en liberté un militant sahraoui qui est en détention préventive dans l'attente d'un procès depuis plus de 15 mois. Mbarek Daoudi, contre qui pèsent des accusations qu'il conteste de possession et manufacture illégales d'armes, a comparu devant un tribunal militaire le 30 janvier 2014 mais depuis lors, la procédure engagée à son encontre a été reportée sine die.
Cet activiste sahraoui, âgé de 58 ans, observe une grève de la faim depuis début novembre, afin de protester contre ses conditions de détention et contre le report de son procès. Après son arrestation fin septembre 2013, il avait affirmé à ses avocats que la police l'avait passé à tabac et insulté, et l'avait forcé à signer des « aveux ».
« Si le Maroc dispose de preuves que Mbarek Daoudi s'est livré à des activités criminelles, les autorités devraient le juger de manière équitable et sans tarder devant un tribunal civil », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du nord. « En attendant, les autorités devraient le remettre en liberté. »
Le fils de Mbarek Daoudi, Omar, a déclaré à Human Rights Watch que son père subsistait en absorbant du sucre et du thé mais que son état de santé s'était considérablement détérioré. Il partage une cellule collective avec des prisonniers de droit commun.
Les tribunaux marocains ont manifesté une tendance à condamner des militants du Sahara occidental inculpés d'activités criminelles à l'issue de procès iniques. Certain de ces procès ont été entachés d'irrégularités, notamment du fait que les tribunaux se sont abstenus d'examiner les affirmations des accusés selon lesquelles leurs aveux leur avaient été extorqués par la police sous la torture ou les mauvais traitements ou avaient été falsifiés, ou que la police les avait forcés à signer des déclarations sans les lire.
Dans une décision qui a été saluée à l'époque par les militants des droits humains, le gouvernement du Maroc a proposé en mars des réformes du code de justice militaire qui mettraient fin à la compétence des tribunaux militaires pour juger des prévenus civils. Les chambres basse et haute du parlement ont approuvé ces amendements, respectivement en juillet et en octobre, mais ils doivent encore être publiés au Journal Officiel du Maroc avant de prendre effet.
Daoudi est le seul civil sahraoui à devoir être jugé par un tribunal militaire, selon son avocat, Mohamed Fadhel Leïli. Un autre civil, Mamadou Traoré, un migrant originaire du Mali, doit également être jugé par un tribunal militaire pour avoir prétendument lancé une pierre qui a causé la mort d'un membre des Forces auxiliaires près de Nador en juillet 2012. Aux termes du code de justice militaire dans sa forme actuelle, les infractions commises contre des membres des forces de sécurité sont passibles des juridictions militaires. Le tribunal militaire de Rabat a ouvert le procès de Traoré en février, puis l’a reporté sine die ; il est détenu depuis deux ans et demi.
Depuis que Daoudi a pris sa retraite en 2008 après une carrière dans l'armée marocaine, il s'est exprimé publiquement en faveur de l'autodétermination du Sahara occidental, territoire revendiqué par le Maroc situé juste au sud de Guelmim, une capitale provinciale d'où il est originaire. Daoudi a organisé des réunions politiques à son domicile et a reçu des délégations étrangères favorables à l'autodétermination du Sahara occidental.
Guelmim a été le théâtre d'affrontements sporadiques entre membres de ses populations sahraouie et non sahraouie.
Le 28 septembre 2013, la police a effectué une perquisition au domicile de Daoudi, ainsi que dans une autre propriété de sa famille dans le village voisin de Legsabi. Les policiers ont affirmé avoir saisi 35 cartouches de fusil de chasse, un canon antique et un long tube métallique, et ont arrêté Daoudi. Après trois jours de détention et d'interrogatoires, Daoudi a signé une déclaration dans laquelle il reconnaissait être le propriétaire de ces objets et avoir eu l'intention de fabriquer une arme – apparemment en se servant du tube métallique -- bien que sachant que c'était illégal.
Selon son avocat, Mohamed Fadhel Leïli, Daoudi nie les accusations portées contre lui et soutient que la police l'a forcé à signer la déclaration. Daoudi insiste, selon Leïli, sur le fait que les cartouches trouvées par la police étaient destinées à un fusil de chasse dont il avait été le propriétaire légal et qu'il avait vendu, que le canon était une pièce d'antiquité héritée de son grand-père et qu'il n'avait aucune intention d'utiliser le tube métallique pour fabriquer une arme.
Le 2 octobre 2013, le procureur militaire a inculpé Daoudi de possession d'armes sans licence et de tentative de fabriquer une arme à feu, en violation d'un décret du 31 mars 1937 (article 11) et d'un décret du 2 septembre 1958 (article 1), ainsi que de l'article 114 du code pénal, qui criminalise le fait de prendre des mesures concrètes en vue de la commission d'un crime, que ce crime ait été commis ou pas. L'article 2 du décret de 1958 donne compétence aux tribunaux militaires pour juger quiconque est accusé de possession de certains types d'armes sans autorisation, et prévoit pour cela une peine de 5 à 20 ans de prison.
Les autorités ont transféré Daoudi à la prison Salé afin qu'il soit à proximité du seul tribunal militaire du pays, à 785 kilomètres de la résidence de sa famille à Guelmim. Le tribunal a ouvert son procès le 30 janvier, mais l'a immédiatement ajourné dans l'attente de l'arrivée des éléments de preuve matériels, a indiqué Leïli. Mais au cours des onze mois écoulés depuis lors, le tribunal n'a ni tenu de nouvelles audiences, ni accepté de remettre Daoudi en liberté provisoire.
Les cinq fils de Daoudi ont été arrêtés depuis 2013: Omar et Taha l'ont été en août de cette année-là, alors qu'ils venaient d'assister à un match de football entre équipes locales lors duquel des heurts s'étaient produits entre Sahraouis et non-Sahraouis. Ils ont été condamnés le mois suivant, puis remis en liberté après avoir purgé leur peine. Ibrahim et Mohamed sont actuellement incarcérés, dans les prisons d'Inezgane et de Tiznit respectivement, sous des accusations de vol. Un cinquième fils, Hassan, a été accusé d'infractions pénales de droit commun alors qu'il était encore mineur et n'a pas été emprisonné.
Un tribunal militaire a condamné 25 autres civils sahraouis, dont plusieurs militants des droits humains, à l'issue d'un procès collectif inique en février 2013, pour leur rôle prétendu dans des violences survenues à l'occasion du démantèlement par les forces de sécurité d'un campement de tentes sahraoui édifié en signe de protestation à Gdeim Izik, au Sahara occidental, en novembre 2010, lors duquel 11 membres des forces de sécurité et deux civils avaient été tués. Vingt-deux de ces condamnés purgent des peines de prison allant de 20 ans à perpétuité.
Déférer des civils devant des tribunaux militaires pour qu'ils soient jugés contrevient à l'un des principes fondamentaux du droit international, qui exige que les civils soient jugés par des tribunaux civils, a rappelé Human Rights Watch. Au Maroc, les verdicts des tribunaux militaires ne peuvent être contestés en appel, contrairement à ceux des tribunaux ordinaires, mais la Cour de Cassation peut les invalider.
Le code de procédure pénale du Maroc limite la détention préventive avant le procès à 12 mois au total, mais une fois qu’une affaire a été déférée au tribunal – comme dans le cas de Daoudi – la loi n'impose plus de limite au temps que le prévenu peut passer en détention.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifié, stipule dans son article 9(3) que « tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale ... devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. »
« Le Maroc s'est engagé à mettre fin aux procès de civils devant des tribunaux militaires », a affirmé Sarah Leah Whitson. « Il devrait maintenant acter cette réforme et remédier à la situation critique de civils comme Mbarek Daoudi et Mamadou Traoré, qui languissent en détention prolongée en attendant d'être jugés par un tribunal militaire. »